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En Birmanie, dans les ruines d’un village chrétien bombardé par l’armée

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Alors que la junte militaire perd du terrain face à la résistance dans plusieurs régions birmanes, le régime du général Min Aung Hlaing multiplie les bombardements visant des civils.

Dans l’État karen, dans l’est du pays, le village de Lay Wah et ses deux églises, l’une catholique, l’autre protestante, ont été presque entièrement détruits par des frappes aériennes en janvier 2023. Retour sur les lieux d’un crime de guerre.

Le bambou craque comme des ossements sous ses sandales en plastique. D’un pas hésitant, Zaw Thay marche sur la charpente effondrée d’une maison. « Attention aux clous », prévient le quadragénaire aux bras trapus, portant une machette dont la lame brille et chaloupe dans son dos. Le chef du village montre les cratères de bombes dans la terre sèche, les éclats de métal tordu, les habitations aplaties ou chancelantes. Ce qu’il reste de Lay Wah. La vie a déserté ce hameau chrétien du district de Hpapun, dans l’État karen, une région de l’est de la Birmanie.

La catastrophe est venue des cieux

Bâti sur une colline, Lay Wah compte deux églises, l’une protestante baptiste, l’autre catholique, fait rare pour un village aussi petit. Une quinzaine de familles de l’ethnie karene, très croyantes, y « vivaient en harmonie et fêtaient Noël ensemble », précise avec une pointe de nostalgie Zaw Thay, lui-même baptiste. Le 12 janvier 2023, la catastrophe est venue des cieux que les habitants chérissaient tant. Aux alentours de 14 heures, sous un soleil blanc, la junte militaire a largué huit bombes sur le minuscule village. Une exécution. Une « punition », suggère le chef meurtri.

Au moment fatidique, Zaw Thay coupait du bois dans la forêt. « Quand j’ai entendu les avions, j’étais terrifié, admet-il. C’est moi qui ai découvert les corps. » Les victimes, au nombre de cinq, furent enveloppées dans des couvertures tressées. Une jeune mère et sa fille de 2 ans. Le pasteur. Le diacre. Et le charpentier, celui qui avait bâti les églises. De cet homme dévoué, on n’a retrouvé que les jambes, selon les Free Burma Rangers, une ONG américaine chrétienne dont les volontaires furent, eux aussi, parmi les premiers à arriver sur place.

L’école a été totalement soufflée

L’une des bombes a soufflé l’école aussi facilement que la flamme d’une bougie, il n’en reste rien. « J’ai cru que mes enfants étaient morts », se souvient Heh Rah, 40 ans, qui envoie chaque matin sa progéniture à l’école de Lay Wah. La classe était heureusement vide, les cours se déroulaient dans la forêt. Le bilan humain aurait été bien plus lourd si les habitants de Lay Wah n’avaient pas pris l’habitude, depuis des mois, de vivre et dormir dans la jungle voisine pour se protéger.

Depuis le coup d’État militaire du 1er février 2021, qui a plongé la Birmanie dans une violente guerre civile, les avions de la junte survolent quotidiennement l’État karen, cherchant à bombarder les forces rebelles dont la puissante Armée karene de libération nationale (Karen National Liberation Army, KNLA). Celle-ci contrôle la majorité du district de Hpapun, où 90 % de la population a été déplacée par les combats, d’après l’ONG Karen Support Peace Network.

Les deux églises faisaient la fierté de Lay Wah. Touché par une frappe aérienne, l’édifice baptiste n’est plus qu’un squelette de bois. L’église catholique, qui détonne avec ses murs couleur rubis et son clocher d’aluminium, a mieux résisté. À l’intérieur, tout semble figé. Les portraits bien accrochés du Christ. L’horloge étrangement bloquée à 13 h 49, une dizaine de minutes avant l’attaque. La Bible ouverte sur l’autel, où quelqu’un a posé le fragment de plâtre d’un visage fracassé. Le front, les cheveux, c’est tout ce qu’il subsiste de saint Joseph, dont la statue trônait au-dessus de l’entrée.

Pourquoi ce petit village de Lay Wah a-t-il été bombardé ?

Pourquoi Lay Wah ? Pourquoi frapper avec une telle force un village sans histoires, semblable à tous ceux qui bourgeonnent dans les montagnes karenes ? Zaw Thay retourne la question dans son esprit sans parvenir à trouver de réponse. « Est-ce à cause de nos deux églises ? L’armée birmane a peut-être pensé que nous étions un village arrogant, ou important, ou quelque chose comme ça », dit-il en triturant une noix de bétel entre ses doigts.

Dans les parages, chacun a son hypothèse. Certains pensent que les militaires ont pris pour une base rebelle un bâtiment en construction – une nouvelle église baptiste, en brique cette fois. D’autres, comme le pasteur Ni Thaw, vivant en aval de Lay Wah, assurent que le bombardement n’avait que pour objectif de faire « un maximum de victimes ».« Ils savent très bien que les églises servent de refuges à la population », accuse le responsable des cinq églises baptistes du district. Prévenant, le patriarche de 51 ans a creusé, au pied de sa maison, un bunker de glaise et de bambou pour abriter ses six enfants.

Lay Wah n’est pas un cas isolé. Dans tout le pays, la junte s’acharne sur les civils et leurs édifices religieux, violant les conventions de Genève et multipliant les crimes de guerre. « Ces attaques sont délibérées, dénonce Aung Myo Min, ministre des droits humains du gouvernement d’unité nationale (National Unity Government, NUG), qui fédère l’opposition aux militaires. Nous avons comptabilisé, depuis le coup d’État, au moins 153 églises, monastères ou mosquées détruits par la junte. Elle mène une guerre psychologique et tente d’effrayer, de démoraliser la population, particulièrement les minorités ethniques et religieuses (chrétiennes et musulmanes dans un pays à large majorité bouddhiste, NDLR), en s’attaquant à ce qu’elles ont de plus cher. L’armée espère dissuader le peuple de soutenir la résistance. Mais sa stratégie ne fonctionnera pas. »

Plusieurs fois la cible des militaires

En 1986, sous une précédente junte, l’armée birmane avait déjà attaqué Lay Wah, faisant irruption dans le village à la recherche de rebelles karens. Le hameau avait été brûlé. Saw Rally s’en souvient. Il avait 8 ans à l’époque, et la jungle servait déjà de refuge. « J’ai vu ma maison partir en fumée pendant qu’on se cachait dans la forêt », raconte cet ancien habitant de 47 ans, qui a fui la Birmanie pour la Thaïlande. Cette nuit-là, les militaires ont occupé le village, dormant sur les cendres de leur forfait avant de lever le camp. Puis les habitants ont reconstruit le hameau et ses églises. Lay Wah s’était relevé du cauchemar.

Aujourd’hui, il n’y a guère que les journalistes et le bétail pour s’aventurer dans le village détruit. Un buffle assommé par la chaleur erre parmi les ruines, en quête d’un point d’eau. C’est la possession la plus précieuse du chef Zaw Thay, sa dernière bête ; l’autre a été tuée à Lay Wah pendant le bombardement. L’animal rescapé a eu de la chance, même si la guerre palpite encore sous sa peau rêche. Blessé aux pattes, le bovin traîne dans sa cuisse gauche un douloureux éclat de shrapnel.

Par Guillaume Pajot – La croix – 31 janvier 2024

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