Birmanie : trois ans après la chute d’Aung San Suu Kyi, la junte vacille
Le 1er février 2021, les soldats du général Min Aung Hlaing renversaient le gouvernement d’Aung San Suu Kyi et massacrant des civils. Trois ans plus tard, la junte vacille sous l’offensive des groupes rebelles du nord et cherche son salut à l’étranger.
Il y a fort à parier que les familles birmanes souhaiteraient ne jamais avoir vécu le 1er février 2021. Depuis le coup d’État des militaires, elles comptent par milliers leurs morts et blessés, par millions leurs déplacés. Dans le nord, particulièrement, les civils sont pris entre les feux des différents groupes armés – souvent organisés sur une base ethnique – et de l’armée du général putschiste Min Aung Hlaing. Cette dernière s’est distinguée par des massacres visant parfois des villages entiers ou encore des camps de réfugiés internes, à la faveur de raids sanguinaires ou de frappes aériennes aveugles.
Un « printemps birman » ?
Aujourd’hui, le pouvoir militaire est encerclé. De nombreux groupes armés – unis autour d’une coalition – tiennent des villes dans les États du Kachin et du Sagaing, au nord, et dans le Shan, au nord-est. À l’est, les Karens ont rejoint la lutte, tout comme l’armée de l’Arakan, à l’ouest, qui a pris la ville de Pauktaw le 24 janvier dernier. La guérilla ethnique bat son plein, et les militaires répondent à chaque perte de territoire par des bombardements. Mais les groupes armés, surnommés « Forces de défense du peuple », ont une organisation stricte et sont constitués en grande partie de civils, bien motivés et prêts à continuer le combat malgré les sacrifices.
Au début du mois de janvier, les hommes de Min Aung Hlaing ont enregistré l’une de leurs plus grosses défaites avec la ville de Laukkai (Shan), à la frontière chinoise, tombée aux mains de la coalition, après la désertion de quelque 2 000 soldats de la junte et de leurs familles. Les six généraux en charge de la brigade ont immédiatement été arrêtés ; ils risquent la peine de mort. De quoi donner de l’espoir à la diaspora, qui n’hésite pas à faire fleurir le terme de « printemps birman » sur les réseaux sociaux.
De son côté, le gouvernement d’union nationale (NUG) en exil, constitué d’anciens membres du gouvernement ou du Parlement et de représentants des minorités, soutient la coalition armée. Dans un communiqué commun daté de ce mercredi 31 janvier, groupes armés et NUG prévoient déjà la chute de l’armée et pensent à une restructuration des institutions, ainsi qu’au futur gouvernement transitoire. « Nous envisageons l’établissement d’une union fédérale défendant les principes de démocratie, d’égalité nationale et d’autodétermination dans les États constituants », ambitionnent-ils. Est également au programme l’abolition de la Constitution de 2008, qui serait remplacée par un nouveau texte empêchant un énième putsch. La coalition annonce poursuivre sa « pression politique et militaire, interne et externe » sur la junte, ainsi que ses « efforts révolutionnaires, en maintenant une coopération et une collaboration inébranlables avec les forces révolutionnaires alliées ».
Des liens étroits avec la Russie et la Chine
Il y a quelques jours, les deux parties avaient pourtant signé un accord de cessez-le-feu – qu’elles s’accusent mutuellement de ne pas respecter – chapeauté par la Chine. Pékin préserve ses intérêts : certaines des infrastructures prévues dans le cadre de l’Initiative Route et Ceinture (projet anciennement connu comme « nouvelle route de la soie »), telles que des lignes de chemin de fer, doivent être construites dans l’est de la Birmanie. Des rencontres entre les diplomates chinois et les militaires birmans avaient déjà eu lieu en novembre dernier.
Min Aung Hlaing peut aussi compter sur la Russie. À la fin de l’année 2023, des exercices maritimes conjoints avaient été menés par les deux pays au large des côtes birmanes. De plus, Moscou aurait vendu plus de 406 millions de dollars d’armement à Naypyidaw depuis le coup d’État, selon Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général des Nations unies.
Outre les affrontements armés, les responsables de la junte militaire s’activent également sur le front diplomatique. Ce lundi 29 janvier, les ministres des Affaires étrangères de l’Association des nations d’Asie du sud-est (ASEAN) se réunissaient au Laos. Pour la première fois depuis 2021, l’assemblée accueillait une représentante du régime militaire, Marlar Than Htike. L’année dernière, le gouvernement thaïlandais franchissait même le Rubicon en choisissant de rencontrer Than Shwe, ministre des Affaires étrangères de la junte birmane. L’ASEAN, qui avait prévu un plan de paix – resté sans effet -, soutient cependant en grande partie le NUG.
Pour afficher sa bonne volonté, le gouvernement militaire a récemment assoupli les conditions pour se présenter aux prochaines élections, qu’il rechigne à organiser. Un an auparavant, il dissolvait la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d’Aung San Suu Kyi, qui était au pouvoir avant le 1er février 2021. L’ancienne prix Nobel de la paix fête aujourd’hui trois ans d’enfermement.
Par Axel Nodinot – L’Humanité – 31 janvier 2024
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