Au Vietnam, les immenses cimetières de scooters abandonnés par ceux qui ne veulent pas payer pour avoir conduit saoul

La politique agressive de répression de l’alcool au Vietnam a entraîné une augmentation sans précédent des amendes pour conduite en état d’ivresse. À Ho Chi Minh-Ville, nombreux sont ceux à abandonner leur moto, tandis que les autorités ne savent plus quoi faire des fourrières bondées.

Jusqu’à aujourd’hui, le mode de transport privilégié des Vietnamiens était la moto. Mais, à l’allure où la législation réprimant l’alcool se durcit, la population n’aura bientôt plus d’autre choix que de se déplacer à pied. À Ho Chi Minh-Ville, de nombreux propriétaires préfèrent abandonner leur moto plutôt que de s’acquitter d’une amende souvent plus chère que leur deux-roues. Dans les fourrières, les véhicules s’accumulent, rapporte le New York Times dans un reportage publié le 14 février 2024.

Voici quatre ans que le Vietnam s’est lancé dans une campagne de lutte sans précédent contre les effets de l’alcool. « Toute quantité d’alcool trouvée dans l’organisme d’une personne entraînera la révocation de son permis de conduire », écrivait le journal en ligne vietnamien VnExpress le 14 juin 2019, quelques jours après l’adoption du projet de loi.

En 2022 à Ho Chi Minh-Ville, des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur permis de conduire et près de 155.000 véhicules ont été saisis, en majorité des motos, relate le New York Times.

300 euros d’amende

Sans compter l’amende maximale pour conduite en état d’ébriété, qui a presque doublé en 2020. « L’amende la plus élevée pour les conducteurs de motos ayant un taux d’alcool dans le sang est de 8 millions de dongs », précise la plateforme de promotion du pays Vietnam.vn. Cela équivaut à 300 euros, une somme supérieure au salaire moyen mensuel des travailleurs vietnamiens.

Le permis de conduire et la moto de Nguyen Huu Liem, 56 ans, salarié dans la construction à Ho Chi Minh-Ville, lui ont été confisqués en janvier 2024 après qu’il a été arrêté alors qu’il avait « bu un peu pour se détendre avec un ami à la fin de la journée », comme il l’a confié au quotidien américain. Il a dû s’acquitter d’une amende de près de 7 millions de dongs, alors que sa moto lui en a couté 5 millions. C’était le seul moyen de récupérer son permis. « À mon avis, l’amende est excessive pour le travailleur moyen. »

D’autres conducteurs choisissent tout simplement de laisser leur moto à la fourrière de Ho Chi Minh-Ville, qui se retrouve débordée. Le mois dernier, le service de police de la ville a déclaré manquer d’un espace de stockage de 9.000 m2 pour les motos, soit l’équivalent d’un parc municipal, relate le New York Times. Des milliers de deux-roues ont également été vendus aux enchères. Jack Dang, un travailleur de la construction de 35 ans, a assuré au quotidien new-yorkais avoir été témoin de plusieurs vols de pièces de motos : « Une fois qu’elles sont amenées ici, c’est fini. »

Une baisse de la mortalité liée à l’alcool

Nguyen Khang, banquier de 30 ans, déplore un système inefficace et inutilement punitif. « Les autorités compétentes comprennent également cela, a-t-il déclaré, toujours au New York Times. Mais elles n’ont pas encore trouvé de meilleure approche. »

Pour autant, si ces méthodes questionnent notamment en matière de justice sociale, elles ont eu des effets notables sur la consommation d’alcool. À l’échelle nationale, les ventes de bières ont chuté d’un quart au cours de la première année d’application de la loi. En 2023, les accidents de la route et les décès liés à l’alcool au volant ont eux aussi diminué, a déclaré la police de Ho Chi Minh-Ville au média new-yorkais.

Géo Magazine – 16 février 2024