Birmanie : «Nous, forces révolutionnaires, sommes en train de gagner», explique une ministre du gouvernement pro-démocratie
Plus de trois ans après le coup d’État du général Min Aung Hlaing, une guerre civile fait rage en Birmanie. Sur le terrain, la junte a subi plusieurs revers stratégiques face à l’avancée des multiples groupes insurgés. Sur le plan politique, le Gouvernement d’unité nationale en exil (NUG) poursuit son offensive diplomatique en tentant de rallier le plus grand nombre à sa cause : l’avènement de la démocratie et la construction d’une union fédérale.
En tournée européenne, Zin Mar Aung, la ministre des Affaires étrangères du gouvernement pro-démocratie en exil a accordé un entretien exclusif à RFI.
RFI : Le 10 février, la junte birmane a imposé un service militaire obligatoire d’au moins deux ans pour les hommes de 18 à 35 ans et les femmes de 18 à 27 ans. Récemment, le parti du Progrès de l’État Shan a annoncé qu’il allait rejoindre les forces anti-junte dans le sud de cet État frontalier avec la Chine. Ces deux évènements ont-ils une quelconque incidence sur l’équilibre des forces sur le champ de bataille ?
Zin Mar Aung : La junte militaire perd du terrain, car elle n’est même plus capable de recruter. C’est un ennemi public. Personne ne veut se battre dans ses rangs. Les jeunes, en particulier, préfèrent rejoindre les forces de défense du peuple (PDF) ou les organisations armées ethniques. Aussi, l’armée compte beaucoup de déserteurs. Nous avons spécialement créé un département chargé de recevoir ces déserteurs. Nous en avons accueilli entre 10 000 et 20 000, mais ils sont bien plus nombreux. Nos forces révolutionnaires ont aujourd’hui la responsabilité de gouverner, d’instaurer un État de droit et des services publics. Pour cela, nous devons nous coordonner, mais pas seulement sur le plan militaire et sur le champ de bataille. Nous devons nous organiser politiquement et dialoguer sur ce à quoi devrait ressembler la Birmanie de demain. On en est là aujourd’hui.
Le Gouvernement d’unité nationale a été créé comme une alternative à la junte militaire qui a renversé, dans un putsch en 2021, un gouvernement démocratiquement élu. Comment expliquez-vous que ce gouvernement peine à obtenir jusqu’ici une reconnaissance internationale ?
L’Asean et ses leaders, avec le consensus en 5 points trouvé en (avril) 2021, continuent d’empêcher la junte militaire de représenter politiquement la Birmanie. C’est la même chose au sein des Nations unies et de l’Assemblée générale à New York, où notre ambassadeur représente la voix du peuple et non de la junte. Nous sommes en revanche inquiets de constater que certains pays essayent discrètement d’échanger et de faire revenir la junte dans les institutions internationales. C’est un point sur lequel nous devons rester très vigilants. Quant au manque de soutien, de nombreux pays nous répondent qu’ils reconnaissent non pas un gouvernement, mais un pays. Mais je pense que d’un point de vue moral et politique, il est tout à fait clair que nous sommes les représentants de la voix de notre pays. C’est pourquoi les échanges formels et informels sont extrêmement importants. Seront-ils en mesure de nous reconnaître en tant que gouvernement ? Je pense qu’ils doivent savoir qui représente vraiment le peuple de Birmanie.
Quelle aide concrète avez-vous obtenue de la communauté internationale ?
Depuis le premier jour où nous avons lancé notre offensive contre le pouvoir militaire, nous avons fait part de nos besoins en termes d’armement et d’aide politique. En réponse, nous n’avons obtenu que des mots de soutiens et des déclarations. Concrètement, nous n’avons rien reçu, en partie aussi parce que les leaders mondiaux sont débordés par d’autres conflits entre l’Ukraine et la Russie et entre Gaza et Israël. Les guerres et la lutte pour la démocratie sont un défi partout dans le monde.
Quelles sont les forces et les faiblesses du Gouvernement d’unité nationale et quels sont les points à améliorer en vue d’obtenir le soutien de tous les groupes ethniques armés qui affrontent la Tatmadaw (l’armée birmane) sur le terrain ?
Évidemment, c’est une tâche énorme qui nous attend. Depuis l’indépendance, nous n’avons jamais réussi à atteindre cet objectif, car nous avons subi plusieurs putschs. Notre premier objectif est donc de nous unir et mettre un terme au pouvoir militaire. Ce devrait être notre ultime appel à toutes les forces démocratiques. Nous devons nous unir pour atteindre ce but. La construction d’une union fédérale sera un réel défi. Nous avons également un projet de Constitution, car celle de 2008 doit disparaître. Enfin, concernant les futures disputes politiques, nous nous engageons à ne pas utiliser la force, mais à privilégier le dialogue. C’est ce sur quoi nous travaillons et les sujets sur lesquels nous sommes d’accord.
Début décembre, votre gouvernement a annoncé être prêt à dialoguer avec la junte. Pouvez-vous préciser dans quelles conditions un tel dialogue pourrait avoir lieu ?
Les dirigeants militaires doivent être en mesure d’écouter nos demandes. C’est la première condition. Comme je l’ai déjà dit, nous devons modifier la Constitution. Selon ce nouveau texte, les militaires seront exclus de la vie politique et devront céder le contrôle du pouvoir aux civils démocrates. Nous devons également mettre en place des mécanismes de justice transitionnelle, que la junte doit accepter.
Un accord de paix a récemment été signé entre l’armée birmane et une alliance de groupes armés ethniques, sous l’égide de Pékin dans le nord de l’État Shan. Quelles relations le Gouvernement d’unité nationale entretient-il avec le voisin chinois ?
Nos principes sont clairs et notre politique étrangère est indépendante. Nous souhaitons rester vigilants sur le fait que nous devons traiter avec nos voisins, car sans leur soutien notre révolution est vouée à l’échec. Et dans le même temps, nous devons essayer de comprendre ce que sont leurs intérêts. Ce qui importe à la Chine, c’est la stabilité dans mon pays. Et il est tout à fait clair que les militaires n’apportent pas de stabilité, ni dans le pays, ni dans la région. Et sans stabilité, aucun investissement durable ne peut être garanti. Que l’on parle de dictature ou de nations démocratiques, toutes sont guidées par leurs propres intérêts nationaux.
Au terme de votre tournée européenne, quel message voudriez-vous transmettre à l’Union européenne ?
Mon principal message est le suivant : nous, forces révolutionnaires, regroupant le gouvernement d’unité nationale, les groupes armés ethniques et les révolutionnaires du peuple, sommes en train de gagner. Nous remportons la victoire et nous sommes du bon côté de l’Histoire. Par conséquent, à tous ceux qui souhaitent se joindre à nous et être du bon côté de l’Histoire je dis ceci : « soutenez-nous, rejoignez notre combat avec détermination sur le plan politique et diplomatique ». C’est mon message à l’Europe. L’Allemagne, la France et d’autres pays sont traditionnellement d’importants contributeurs des agences des Nations unies et des organisations humanitaires déjà sur le terrain. Mais nous avons besoin d’avantage d’aide, car le coup d’État a provoqué 2,6 millions de déplacés internes et le service militaire obligatoire entraînera une augmentation du nombre de réfugiés. Nous avons donc besoin de plus d’aide humanitaire, mais cette assistance ne devrait pas être politisée.
Radio France Internationale – 28 février 2024
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