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Le retour de Thaksin en Thaïlande ou le dénouement d’“une pièce de théâtre magistrale”

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L’ancien Premier ministre, renversé par un coup d’État en 2006, est revenu d’exil en août dernier à la faveur d’un accord avec les royalistes. Jusqu’alors, ces derniers le voyaient pourtant comme une menace pour leurs intérêts. Pourquoi un tel revirement ? La réponse dans le dernier numéro de “The Diplomat”.

Thaksin Shinawatra a de quoi être heureux. Bête noire de l’establishment thaïlandais pendant de longues années, l’ancien Premier ministre (2001-2006) est désormais courtisé par ceux-là mêmes qui l’avaient renversé et contraint à l’exil. En devenant, en quelque sorte, un garant de l’institution monarchique et des privilèges des puissants, il est aujourd’hui au cœur d’“une grande réconciliation en Thaïlande”, comme le titre le magazine The Diplomat en une de son édition du mois de mai.

Le chemin a été long. À son arrivée au pouvoir au début du siècle, le milliardaire, qui a fait fortune dans les télécoms, avait fait voler en éclats le vieil équilibre politique en offrant une voix à un électorat pauvre et méprisé par les riches citadins. Les élites (aristocratie, armée) s’étaient senties menacées et avaient tout fait pour écarter ce trublion.

En 2006, après cinq ans aux commandes, il s’est exilé à Dubaï, d’où, dit-on, il a continué à tirer les ficelles de l’opposition. Son nom est resté associé à la vague de manifestations des “chemises rouges” qui a déferlé sur le pays à partir de 2009 pour dénoncer les profondes inégalités dans la société. Il n’était pas loin, bien évidemment, de sa sœur, Yingluck, quand elle est devenue Première ministre en 2011 et a été, comme lui, renversée trois ans plus tard par un putsch.

Son ombre n’a jamais cessé de planer sur la vie politique du pays et son nom de polariser la société. Pourtant, relève l’universitaire James Buchanan dans son long article, sur la question de la réforme de la monarchie, il n’a jamais franchi la ligne rouge. “Lorsqu’un de ses proches conseillers l’a exhorté à adopter une approche plus radicale, Thaksin aurait perdu son sang-froid. ‘Depuis quand ai-je dit que j’étais Hô Chi Minh ?’, a-t-il explosé en tapant du poing sur la table. Thaksin est un homme d’affaires, pas un révolutionnaire, et son instinct l’a toujours poussé à éviter la bagarre et à plutôt conclure un accord.”

L’apparition d’un parti au programme radical

Une prudence qui a frustré les plus radicaux de ses partisans. Le coup d’État de 2014, qui a ouvert la voie à l’instauration d’une dictature militaire, a fait naître “une nouvelle génération de révolutionnaires potentiels”, explique The Diplomat. En 2016, le roi Bhumibol Adulyadej, qui jouissait d’une image d’intégrité exemplaire, est mort. Son fils, Maha Vajiralongkorn, lui a succédé. Ses frasques, parce qu’il est mal-aimé, lui valent de nombreuses critiques. “De moins en moins de royalistes sont disposés à prendre sa défense.”

Dans ce contexte, un nouveau parti politique au programme radical a fait son apparition. “Le parti Future Forward [Parti du nouvel avenir], dirigé par le jeune milliardaire Thanathorn Juangroongruangkit, magnat de l’automobile, a eu un impact immédiat sur la scène politique thaïlandaise.” Plus que le Pheu Thai des proches de Thaksin, c’est cette nouvelle formation qui a commencé à inquiéter l’establishment. En 2020, elle a été dissoute.

La décision a fait descendre des centaines de jeunes Thaïlandais prodémocratiques dans la rue pendant des mois. “Si les royalistes ont un temps redouté Thaksin et les chemises rouges, Future Forward et la nouvelle génération intrépide de militants antimonarchiques semblaient désormais devoir être leur pire cauchemar”, analyse James Buchanan.

“Thaksin, le moindre des deux maux”

En 2023, des élections se profilaient. En raison du mécontentement grandissant lié entre autres aux effets dévastateurs de la pandémie de Covid-19 sur l’économie, le résultat le plus probable était une victoire de l’opposition et la formation d’une coalition entre le Pheu Thai et le Move Forward (successeur de Future Forward).

“Soudainement, aux yeux de l’establishment, Thaksin est apparu comme le moindre des deux maux.”

Les royalistes ont proposé à leur ancienne bête noire de s’allier aux partis pro-establishment. Move Forward s’est vu confisquer sa victoire aux législatives. Un gouvernement dirigé par Strettha Thavisin, un proche des Shinawatra, a été mis sur pied. Le même jour, Thaksin est revenu en Thaïlande, après plus de quinze ans d’exil. Il aurait dû purger une condamnation à huit ans de prison. Au lieu de cela, il a été admis dans une suite d’un hôpital, le roi a réduit sa peine à un an et il a retrouvé son somptueux manoir au bout de six mois sans avoir passé une seule nuit en prison. “L’ensemble du processus a été une pièce de théâtre magistrale, qui a permis d’annoncer à la nation la réhabilitation de Thaksin.”

Après plus de vingt ans, “le fossé entre Thaksin et l’establishment semble enfin avoir été comblé”, conclut The Diplomat. Cette “chorégraphie” a reçu le feu vert du roi Vajiralongkorn si décrié et fragilisé. “Thaksin lui offre une solution à un problème politique. Le roi a besoin de Thaksin pour maintenir Move Forward loin du pouvoir et Thaksin a besoin du monarque pour rester en Thaïlande sans être poursuivi. Cette interdépendance est partie pour durer.”

Courrier international / The diplomat – 7 mai 2024

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