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En Thaïlande, une ville sanctuaire pour les milliers de Birmans fuyant la guerre

Alors que la junte militaire birmane essuie une série de revers face aux armées ethniques, le régime vient d’instaurer un service militaire obligatoire, qui provoque un afflux massif de jeunes Birmans vers la Thaïlande, fuyant la conscription. La ville frontalière de Mae Sot est devenue une base arrière pour des milliers de réfugiés.

Le regard dans le vide, il parle la gorge nouée. Zwel est soulagé d’être arrivé sain et sauf à Mae Sot, dans le nord-ouest de la Thaïlande. Mais il se sent coupable d’avoir laissé les siens, en Birmanie voisine, où la guerre fait rage depuis près de trois ans. Son plan d’évasion, Zwel n’en avait même pas parlé à ses grands-parents, avec lesquels il vivait à Rangoun. Seule une poignée d’amis était au courant, et le pasteur de la paroisse où ce croyant de 22 ans se rendait souvent.

Couvre-feu, coupures d’électricité, inflation : la vie à Rangoun, qui n’a fait qu’empirer depuis le putsch ayant renversé le gouvernement civil d’Aung San Suu Kyi en février 2021, était déjà « un enfer », décrit Zwel. L’annonce, le 10 février, d’une loi rendant le service militaire obligatoire pour les hommes de 18-35 ans et les femmes de 18-27 ans fut la goutte de trop. « La peur d’être arrêté du jour au lendemain pour être enrôlé de force dans une armée qui tue brutalement des innocents, brûle des maisons et des édifices religieux, m’était insupportable », enchaîne le jeune homme.

Un périple de trois jours

Comment ce pacifiste aurait-il pu prendre les armes à leur côté ? Cette éventualité « répugnante », insiste Zwel, s’est manifestée sous ses yeux lorsqu’il a assisté à l’arrestation d’un chauffeur de pousse-pousse par des soldats de la Tatmadaw (forces armées birmanes). Alors, il a rassemblé ses économies, emporté le strict nécessaire, dont le chapelet qui ne le quitte jamais, et a pris le chemin de la Thaïlande. Après trois jours de périple en bus puis à pied, Zwel a franchi la frontière grâce à un passeur payé 400 €. Le voilà aujourd’hui sans papiers sur le sol thaïlandais, où il partage avec trois autres Birmans une petite maison en périphérie de Mae Sot.

Cette ville frontalière d’environ 100 000 habitants a toujours été un refuge pour les opposants birmans fuyant les exactions des régimes militaires successifs. Mae Sot est presque devenue birmane. Les façades de magasins sont en birman, tout comme les menus des restaurants, où l’on croise des hommes en longys, tenue traditionnelle, et des commerçants le visage recouvert de thanaka, cette pâte utilisée en Birmanie pour se protéger du soleil. Le birman est parlé à chaque coin de rue. Les langues karènes aussi. Car l’État Karen, dont le territoire est en grande partie aux mains de la guérilla des Karens (deuxième minorité ethnique du pays) et ses alliés, partagent plus de 1 000 km de frontière avec la Thaïlande. Plus que jamais, Mae Sot sert de base arrière à la résistance birmane.

Myawaddy, une ville stratégique

De l’autre côté de la rivière Moei, la bataille de Myawaddy, où d’âpres combats ont éclaté en avril, illustre la complexité du conflit birman. Menée par l’Armée de libération nationale (KNLA), la résistance a d’abord pris le contrôle de cette ville birmane. Avant d’être trahie par une autre milice karène ayant pactisé avec la junte. Cette dernière considère Myawaddy comme stratégique : à la fois corridor économique par lequel a transité plus de 1 milliard d’euros de marchandises l’an passé, c’est aussi là que des centres d’arnaques en ligne – gérés par des mafias chinoises et liés à des réseaux de trafic humain – prospèrent avec la complicité du régime qui en tire profit.

En face, Mae Sot a renforcé sa sécurité. Au marché de Rim Moei, sous le pont de l’amitié qui relie la Thaïlande et la Birmanie, les patrouilles de l’armée thaïlandaise sont plus fréquentes. Des blindés sont apparus le long de la frontière et des F16 ont survolé les environs. Sous une cahute, deux soldats racontent avoir dû, le 20 avril, s’abriter derrière un arbre durant des échanges de tirs côté birman. « Des balles ont atterri jusqu’ici », relate le plus bavard, photo d’une balle de 9 mm à l’appui.

Dans le village voisin de Wang Takian Tai, à deux pas, une balle perdue s’est logée dans la chambre de Thong In. « Personne n’a été blessé mais on a tous peur de sortir », confie le doyen de la famille, pointant l’impact de balle. Même si le calme est revenu, les villageois espèrent une stabilité durable à Myawaddy, peu importe l’issue du conflit.

« Les troupes birmanes n’ont pas le moral »

Depuis un bureau de la rébellion karène à Mae Sot, Padoh Saw Taw Nee se veut confiant : « La révolution peut prendre des années, mais la perspective de victoire est claire », soutient le porte-parole de l’Union nationale karen (KNU), qui commande la KNLA. Il évoque l’opération 1027, offensive lancée en octobre par plusieurs groupes ethniques armés et leurs alliés contre l’armée birmane qui, depuis, essuie les revers. « La junte a beau avoir du matériel, reprend-il, ses troupes n’ont pas le moral. »

« Le service militaire obligatoire est l’aveu d’un régime désespéré », appuie Ejaz Min Khant, chercheur pour l’ONG Fortify Rights. La junte, qui affirme pouvoir former 50 000 recrues par an, a déclaré avoir enregistré 10 000 volontaires. « Pure propagande ! Personne n’a envie de s’engager dans une armée que tout un peuple hait », balaie l’expert. Les rares à rejoindre la Tatmadaw sans coercition, dit-il, le font pour des raisons de survie financière.

« Cette loi sème le chaos, poursuit-il, plusieurs milliers de jeunes ont fui vers d’autres pays. » Après son annonce, les ambassades étrangères à Rangoun ont été prises d’assaut. Pour freiner l’exode, le régime birman a suspendu, en mai, les permis de travail à l’étranger et menace de sévèrement punir les réfractaires. À l’inverse, les armées ethniques voient affluer des jeunes désireux de rallier la résistance.

« Cette loi est digne des régimes fascistes pendant la Seconde Guerre mondiale », s’emporte Zwel. Comme la plupart des exilés birmans à Mae Sot, il vit sous la menace constante d’une expulsion. Si le gouvernement thaïlandais s’est dit prêt à accueillir temporairement jusqu’à 100 000 Birmans, la réalité semble différente. Il y a quelques jours, la police a encore fait une descente dans un appartement loué par un groupe d’aide aux réfugiés birmans, leur ordonnant de cesser toute activité en soutien à la résistance. Zwel sait qu’il doit faire profil bas.

Par Valentin Cebron – La Croix – 16 juin 2024

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La guerre en chiffres

Plus de 13 millions de Birmans, sur 54 millions d’habitants, sont éligibles au service militaire obligatoire annoncé par la junte en février 2024.

Des ONG comme Human Rights Watch accusent l’armée birmane d’avoir enlevé des Rohingyas, minorité musulmane déjà victime d’un génocide en 2017, afin d’en faire des « boucliers humains ».

Une étude publiée en mai par le Centre des migrations mixtes (MMC) recense l’arrivée de 252 000 migrants birmans en Thaïlande l’an passé.

La Thaïlande n’est pas signataire de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés et n’accorde donc pas de protection officielle aux personnes fuyant le conflit birman.

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