«Agent orange» au Vietnam : l’action menée par Tran To Nga devant la justice française confirmée «irrecevable» en appel
Cette Franco-Vietnamienne de 82 ans se bat depuis dix ans pour faire reconnaître devant une juridiction française les responsabilités de quatorze industriels de l’agrochimie, dont Bayer-Monsanto, dans l’épandage de ce défoliant durant la guerre du Vietnam. Ce jeudi 22 août, la cour d’appel de Paris a rejeté la possibilité d’un procès en France. Ses avocats comptent se pourvoir en cassation.
L’espoir judiciaire se dissipe un peu plus pour Tran To Nga. Voilà dix ans que cette Franco-Vietnamienne âgée de 82 ans se bat pour faire reconnaître la responsabilité de quatorze de multinationales (parmi lesquelles Bayer-Monsanto et Dow Chemical) dans l’affaire de «l’agent orange» dont le nom provient de la ligne orange peinte sur les barils le contenant. Elle qui durant la guerre de Vietnam a subi de plein fouet l’épandage de ce défoliant ultra-toxique utilisé par l’armée américaine, et dont elle accuse lesdites firmes agrochimiques d’en avoir été les fournisseuses. Ce jeudi 22 août, la cour d’appel de Paris a jugé irrecevables les velléités d’un procès en France pour obtenir réparation. «Les demandes de Madame To Nga Tran se heurtent à l’immunité de juridiction dont les sociétés intimées bénéficient devant les juridictions françaises», peut-on lire dans l’arrêt consulté par Libération. En mai 2021, le tribunal judiciaire d’Evry s’était déclaré incompétent pour juger la plainte de Tran To Nga, considérant que les groupes industriels avaient «agi sur ordre et pour le compte de l’Etat américain».
Les avocats de la plaignante comptent se pourvoir en cassation. «Le combat porté par notre cliente ne s’arrête pas avec cette décision […] La bataille judiciaire continue, a réagi ce jeudi matin l’un de ses conseillers, William Bourdon, dans une déclaration envoyée à la presse. Dans cette affaire qui est une affaire de principe, les juges ont endossé une attitude conservatrice à rebours de la modernité du droit et contraire au droit international et au droit européen. C’est la Cour de cassation qui tranchera.»
100 millions de litres d’herbicides
Libération avait longuement rencontré Tran To Nga en 2018. Elle avait alors raconté la «pluie gluante» qui avait «dégouliné sur ses épaules» et s’était «plaqué sur [sa] peau» ce matin de 1966 lorsque, journaliste pour l’agence d’information Giai Phong, elle couvrait la guerre au nord de Saigon. Puis, les mois suivants, les salves de pluie d’agent orange incessantes. Entre 1961 et 1971, dans le cadre de l’opération baptisée «Ranch Hand», les Etats-Unis ont déversé environ 100 millions de litres d’herbicides au Vietnam, dont le défoliant utilisé pour mettre à découvert les combattants cachés dans les forêts et pour détruire leurs récoltes. Cette substance est composée de deux molécules et d’un sous-produit, le «2,3,7,8-TCDD», plus connu sous le nom de dioxine de Seveso, extrêmement puissant et aux effets durables. Le collectif Vietnam-Dioxine, qui œuvre pour la reconnaissance des victimes de ce produit, estime que «plus de trois millions de personnes» en subissent encore aujourd’hui les répercussions. Dans un communiqué publié ce jeudi midi, l’association a fait part de sa «consternation» face à la décision de la Cour d’appel de Paris et exprimé son «soutien» pour «poursuivre le combat» judiciaire. «Les 3 millions de victimes vietnamiennes […]comptent sur Tran To Nga, qui constitue le dernier espoir pour obtenir justice», est-il écrit.
Tran To Nga a mis du temps avant de faire le lien entre les drames et les malheurs médicaux de sa vie et l’agent orange. Celui-ci ne l’a pas épargné. En 1969, elle a perdu sa première fille, morte à 17 mois des suites d’une malformation cardiaque. Ses deux dernières, nées en 1971 et 1974, souffrent, elles, de complications cardiaques et osseuses. L’une d’elles est atteinte d’alpha-thalassémie, une maladie génétique de l’hémoglobine, tout comme sa mère. Tran To Nga a dû combattre un cancer du sein. Elle est également atteinte de diabète de type 2 avec une allergie rarissime à l’insuline, son corps est parsemé de nodules sous-cutanés, et elle explique avoir déjà souffert de deux tuberculoses. Ses petits-enfants, eux, ont des problèmes cardiaques et respiratoires. «Mes descendants et moi-même sommes empoisonnés», avait-elle résumé dans sa biographie, publiée en 2016.
Libération – 22 Août 2024
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