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Tran To Nga, la « vieille dame » qui veut faire juger les responsables de l’agent orange

Cette Franco-Vietnamienne de 82 ans a entamé un long combat judiciaire pour faire reconnaître la responsabilité d’entreprises américaines dans la fabrication de ce défoliant déversé pendant la guerre du Vietnam. La cour d’appel de Paris doit rendre, jeudi 22 août, une décision très attendue.

C’est depuis son Vietnam natal que Tran To Nga a décidé d’attendre l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris. Celle-ci doit statuer, jeudi 22 août, sur la responsabilité de 14 groupes agrochimiques américains, dont Monsanto, dans la fabrication de l’agent orange, un herbicide contenant de la dioxine utilisé pendant la guerre du Vietnam. Déterminée, la Franco-Vietnamienne de 82 ans dissipe les doutes : « Quelle que soit la décision, je suis prête à sacrifier encore quelques années de ma vie. »

Tran To Nga retrace méticuleusement son histoire. Celle d’une jeune fille née en 1942 dans une Indochine sous emprise coloniale. Sa grand-mère lui fait alors une confidence spirituelle : « Nga, tu es née sous le signe du cheval. Infatigable, le cheval porte le fardeau pour les autres. »« Ma grand-mère avait raison », commente-t-elle aujourd’hui.

Dans les années 1960, le territoire vietnamien est scindé en deux. Les États-Unis soutiennent le gouvernement établi au sud du pays contre l’insurrection communiste. « En 1966, j’arrivais du NordJe n’avais pas d’expérience de la guerre », raconte-t-elle. Un jour, alors qu’elle officie comme jeune journaliste dans une agence de presse clandestine du Sud Vietnam, elle sort de son abri, se sentant encerclée. L’octogénaire cherche ses mots, tout en passant sa main dans ses cheveux gris. « Les avions étaient en fait en train de déverser le poison. »

Quatre millions de Vietnamiens contaminés

Ce « poison », c’est l’agent orange. « Une arme chimique utilisée massivement par l’armée étasunienne entre 1961 et 1971 dans le but de débusquer les résistants vietnamiens cachés dans la forêt », décrypte le collectif Vietnam Dioxine, créé en 2004. Le rapport Stellman, publié en 2003, révèle que quatre millions de Vietnamiens ont alors été contaminés par l’agent orange. « J’ai été choqué en découvrant le nombre de victimes », se rappelle Kim Vo Dinh, franco-vietnamien qui, en réponse, a fondé ce collectif en France.

Tran To Nga connaît ensuite mille vies : journaliste, résistante, directrice d’école à la libération du pays, humanitaire puis directrice d’agence de voyages. Des déboires aussi. Elle perd son premier enfant alors qu’il n’est âgé que de 17 mois. Les deux suivants naissent avec des malformations cardiaques, tandis que les médecins lui découvrent un cancer du sein, du diabète et une tuberculose. Le dénominateur commun de toutes ces pathologies ? « Je pensais que c’était dû à ma vie de résistante. Mais ce n’est que plus tard que j’ai compris que c’était lié à l’agent orange », avance Tran To Nga.

Une rencontre va faire basculer son destin. En 2009, un tribunal d’opinion est organisé à l’initiative du collectif Vietnam Dioxine. Tran To Nga y prend la parole pour raconter son histoire, et rencontre le pénaliste français William Bourdon. Si, aux États-Unis, toutes les tentatives de faire condamner les grandes entreprises américaines ont échoué, l’avocat et le collectif Vietnam Dioxine réfléchissent à intenter une action en justice en France. « Il fallait une victime de nationalité française. Nga a été le porte-voix qui a déclenché la mobilisation », explique Kim Vo Dinh.

Déboutée, mais pas résignée

William Bourdon la prévient que la procédure va être dure. Tran To Nga réfléchit : « Si je ne le faisais pas, le crime de l’agent orange aurait été à jamais enfoui dans les poussières de l’HistoireJe lui ai répondu qu’on fonce quand on décide de se battre. »

Accompagnée de trois avocats, elle décide, en 2014, d’assigner en justice les sociétés américaines. Un premier procès a lieu en 2021, au tribunal d’Évry (Essonne), son lieu de résidence en France. La Franco-Vietnamienne est déboutée. Ce dernier se déclare incompétent pour traiter sa plainte au motif que les entreprises américaines avaient « agi sur ordre de l’État américain ». En mai dernier s’est tenue l’audience en appel. « Si la cour d’appel infirme la décision en première instance, cela ouvrira la porte à un vrai procès sur le fond », explique Bertrand Repolt, un de ses avocats.

En dix ans, Tran To Nga est devenue une icône de la lutte pour la reconnaissance des victimes de l’agent orange. De son appartement d’Hô Chi Minh-Ville, celle qui se qualifie de « vieille dame » anticipe les questions : « Vous n’avez pas besoin de me demander si je suis fatiguée. Je n’ai pas le droit, car les victimes me regardent. »

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L’éprouvant combat judiciaire contre l’agent orange

En 2004, l’Association vietnamienne des victimes de l’agent orange présente un recours collectif aux États-Unis contre 11 fabricants pour crime contre l’humanité et crime de guerre. En 2005, leur plainte est rejetée au motif que l’agent orange ne serait pas une arme chimique, mais un herbicide.

Au printemps 2014, la franco-vietnamienne Tran To Nga assigne en justice 26 multinationales américaines ayant fabriqué ou livré l’agent orange, dont Monsanto et Dow Chemical, en France.

En 2021, le tribunal judiciaire d’Évry se déclare incompétent pour traiter la plainte de Tran To Nga. Ses avocats interjettent appel. La cour d’appel de Paris doit rendre sa décision jeudi 22 août 2024.

Par Hugo Forquès – La Croix – 21 août 2024

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