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Claire Tran : « Le Vietnam et le vatican ont la volonté de privilégier le dialogue »

Le Vietnam ne figure pas au programme du voyage du pape, mais le rapprochement entre ce pays communiste et le Saint-Siège est notable. Décryptage avec Claire Tran, maîtresse de conférences en histoire de l’Asie du Sud-Est et spécialiste du catholicisme vietnamien.

Un représentant du Saint-Siège au Vietnam a été installé en janvier 2024. Une nomination qui couronne des décennies de discussion avec les autorités communistes. Que représente cette arrivée ?

C’est une étape très importante puisque c’est la première fois qu’il y a un représentant résident depuis l’expulsion du délégué apostolique du Nord Vietnam, en 1959, et de celui du Sud Vietnam, en 1975. Bien que ce représentant n’ait pas le titre de nonce, le Vietnam est le premier pays communiste d’Asie à avoir un représentant permanent auprès du Saint-Siège.

Cette nomination est un garant de la continuité des discussions qui existent depuis un certain temps entre les deux parties, depuis la création d’un groupe de travail mixte en 2009. En outre, Marek Zalewski connaît bien le Vietnam car il y était représentant non résident depuis 2018, basé à Singapour, et il est polonais, pays anciennement communiste. Il a l’expérience de la négociation avec les pays communistes.

Qu’est-ce qui explique la réussite de ce dialogue ?

Le pragmatisme des deux États, et la volonté de privilégier le dialogue. La diplomatie vaticane n’a pas cessé de se développer depuis la visite de Roger Etchegaray à Hanoi en 1989. C’est sous le pontificat de Benoît XVI qu’avait été mis en place un groupe de travail qui a permis de nombreuses visites d’État. Côté Vatican, le personnage clé est le secrétaire d’État, Pietro Parolin, bien connu des autorités vietnamiennes, car il a fait sa première visite au Vietnam en 2004, il y a 20 ans.

Il est le principal architecte de la stratégie vaticane au Vietnam et en Chine. Dans ces deux pays, l’objectif du Saint-Siège est de permettre à la minorité catholique de pratiquer et de développer ses œuvres dans le domaine social, avec une reconnaissance de l’Église par l’État. L’intérêt des autorités vietnamiennes est d’accéder au statut de puissance moyenne qui compte en Asie, de donner une bonne image sur la scène internationale et d’avoir des alliés pour faire contrepoids à son voisin chinois, notamment en mer de Chine.

En effet, la Chine entend contrôler cet espace maritime stratégique, en occupant les îles Spratleys et Paracels, revendiqué par les Vietnamiens et en empêchant ces derniers d’exploiter ses richesses halieutiques et ses gisements pétroliers et gaziers. La stratégie vietnamienne a toujours été de compenser la toute-puissance chinoise avec d’autres alliés, comme la Russie – tout récemment encore, Vladimir Poutine est passé par le Vietnam – et, ces dernières décennies, le Japon, l’Inde, les États-Unis, l’Australie et l’Union européenne…

Depuis le rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis en 1995, le Vietnam a tenu compte de l’International Religious Freedom Act promulgué par les États-Unis en 1998, et qui établissait un lien entre coopération économique et la liberté religieuse, et, grâce à des efforts dans ce domaine, a pu développer ses échanges économiques avec les États-Unis et ainsi réintégrer le commerce mondial – il est entré à l’OMC en 2007.

Qu’est-ce qui a empêché la constitution d’une Église séparée comme en Chine ?

Au Vietnam il y a 7 % de catholiques, contre 1 % en Chine, ce qui n’est pas négligeable, avec une longue expérience de négociation avec un pouvoir communiste depuis 1945. Cette capacité de négociation des évêques est une des clés de compréhension.

Le Vietnam n’a de fait pas suivi le modèle chinois d’Église séparée, parce que l’État communiste vietnamien a été en état de guerre constante : guerre d’Indochine, guerre du Vietnam contre les États-Unis, contre la Chine… Des décennies de guerre qui exigeaient une union nationale sans faille, incluant, au moins dans le discours, la minorité catholique.

Le discours d’union nationale a toujours prévalu et la question était de savoir si les catholiques participaient ou non à cette unité. Durant ces dernières décennies, l’Église catholique est devenue un interlocuteur bien identifiable, centralisé et fiable pour le Bureau des religions, en comparaison avec les 43 organisations religieuses reconnues officiellement par l’État. En dépit de désaccords, les discussions avec le Saint-Siège sont franches et l’autorité de la hiérarchie catholique est respectée par les catholiques vietnamiens.

En outre, l’engagement social des catholiques au service de l’ensemble de la population, surtout depuis le rétablissement de Caritas en 2008, est largement apprécié. C’est grâce à cette Église et à ses évêques qu’un accord a été signé avec l’État en 1996 pour la nomination des évêques. Si les jeunes sont peut-être un peu moins pratiquants à cause de la consommation et du matérialisme, on compte aujourd’hui 3000 séminaristes et 8000 prêtres.

Bien sûr, le Vietnam reste un régime communiste qui garde le monopole du pouvoir politique et ne tolère aucune opposition, mais le fait de pouvoir former une élite cléricale au Vietnam et à l’étranger est une avancée notable par rapport à la situation d’avant 1975. Cette situation particulière de l’Église du Vietnam est le fruit d’une politique pragmatique des évêques vietnamiens et de la conférence épiscopale, dont la priorité a toujours été que les 7 millions de catholiques puissent pratiquer le mieux possible dans les conditions politiques qui sont celles du Vietnam.

Par Marie-Lucile Kubacki – La Vie – 28 août 2024

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