Thaïlande : comment sortir de l’ornière ?
La nouvelle Première ministre thaïlandaise Paethongtarn Shinawatra est à 38 ans la femme la plus jeune portée à la tête du gouvernement. Ce n’est pas une garantie de renouveau : Paethongtarn est la fille de Thaksin, qui domine la politique en Thaïlande depuis 20 ans.
L’alliance contre nature entre Thaksin, l’armée et la famille royale vise à maintenir un statu quo politique face à des attentes démocratiques fortes, alors que le pays est confronté à de multiples enjeux économiques, sociaux, géopolitiques et environnementaux. C’est aussi la seule nation d’Asie du Sud-Est engluée dans ce que les économistes du développement appellent le « piège du revenu intermédiaire ».
Paethongtarn Shinawatra est jeune, belle et souriante. Elle promet de « servir chaque citoyen avec équité et ferveur, quel que soit son âge, son sexe ou son appartenance ethnique ». Portée au pouvoir après l’éviction du précédent Premier ministre Srettha Thavisin par la Cour constitutionnelle, Paethongtarn dirigeait précédemment l’empire hôtelier de la famille Shinawatra avant de prendre la tête du Pheu Thai, le parti créé par son père.
L’incarnation du statu quo politique
Il faut revenir en arrière pour comprendre le contexte politique de cette nomination. La Thaïlande a été dirigée entre 2014 et 2023 par l’armée depuis le coup d’État militaire qui avait mis fin au gouvernement de Yingluck Shinawatra, la tante de l’actuelle Première ministre. Le 14 mai 2023 lors des dernières élections législatives le Move Forward Party (« Allons de l’avant ») dirigé par Pita Limjaroenrat, obtient le plus grand nombre de sièges (151 sur 500, dont presque tous les députés de Bangkok) devant le Pheu Thai Party de Thaksin, dans un paysage politique émietté où 67 partis politiques ont présenté des candidats et 17 ont obtenu au moins un siège. Le Move Forward Party a fait campagne en s’appuyant sur le slogan des « trois D » (démilitarisation, démonopolisation, décentralisation). Il crée le 22 mai une coalition de huit partis opposés au régime militaire rassemblant 318 députés, dont le Pheu Thai. Mais la nomination du Premier ministre suppose un vote conjoint de l’Assemblée nationale et du Sénat, dont la plupart des membres ne sont pas élus mais nommés par la junte militaire. Le Move Forward ne parvient pas à obtenir cette majorité en raison du blocage du Sénat tandis que la Cour constitutionnelle, très proche de la junte, remet en cause l’éligibilité de Pita.
Thaksin et son parti, le Pheu Thai, procèdent alors à un renversement d’alliances avec les partis proches des militaires au détriment du Move Forward qui devient le principal parti d’opposition. Cette nouvelle alliance fait élire Premier ministre un tycoon proche de Thaksin, Srettha Thavisin. Il gouverne pendant un an jusqu’à ce que la Cour constitutionnelle ne décide de le démettre – officiellement pour des raisons « éthiques ».
Thaksin, autrefois en exil et condamné par contumace à une peine de 8 ans de prison pour corruption, obtient pour sa part le 1er septembre 2023 un pardon royal qui réduit sa peine à une année de privation de liberté. Il rentre au pays et s’installe dans une suite de l’hôpital militaire de Bangkok, dont il sort six mois plus tard dans le cadre d’une procédure collective de libération conditionnelle. Le 17 août 2024, au lendemain de l’élection de sa fille au poste de Premier ministre, il est définitivement gracié par le Roi. Dix jours avant, le 7 août, le Move Forward a été dissous par la Cour constitutionnelle en raison de sa volonté de remettre en cause certains des privilèges royaux limitant la liberté d’expression – en particulier, la loi sur les crimes de lèse-majesté.
Paethongtarn Shinawatra est l’héritière de ce statu quo politique qui prive la jeunesse urbaine thaïlandaise d’une représentation politique. Sa capacité d’autonomie face à son père et aux membres de la junte est clairement mise en doute : un sondage publié le 25 août dernier par l’Institut national de développement de l’administration montre que 75 % des personnes interrogées jugent « impossible » ou « improbable » que Paethongtarn ne soit pas dépendante des principaux choix politiques de son père.
Croissance d’escargot
L’une des sources du mécontentement populaire est la faible croissance structurelle du pays. La Thaïlande a depuis 2013 une progression moyenne du PIB légèrement inférieure à 2 % (2,7 % si l’on exclut la chute brutale de 6,1 % enregistrée en 2020 sous l’effet de la pandémie). Cette croissance est sensiblement inférieure à la croissance mondiale, qui est de l’ordre de 2,8 % sur cette période. Ce qui veut dire que non seulement le pays a cessé de rattraper les pays riches, mais qu’il régresse lentement alors que les autres pays en développement d’Asie du Sud-Est continuent à progresser. Le revenu par habitant en parité de pouvoir d’achat se situe à 23 400 dollars en 2023. Il est légèrement inférieur à celui de la Chine et représente le tiers du niveau français.
La Thaïlande a subi de plein fouet la crise du Covid-19. Son industrie touristique, qui représentait environ 10 % du PIB, a été ravagée par la pandémie et n’est toujours pas revenue en 2024 au niveau d’activité antérieur. Une série d’autres facteurs freinent la croissance : le vieillissement de la population s’accélère, avec un rythme proche de celui que connaît la Chine, les déséquilibres régionaux s’accentuent et on peut parler de « Bangkok et le désert thaïlandais ». Les monopoles royaux bénéficient à certaines des plus puissantes sociétés privées du pays. Quant à l’innovation, elle a une dynamique faible si on la compare notamment au voisin vietnamien. Les effets du changement climatique, eux, commencent à peser lourd sur l’agriculture thaïlandaise, tandis que l’insertion dans les échanges mondiaux a fortement ralenti au profit des autres pays de la région.
Le Premier ministre démissionnaire Srettha Thavisin a probablement été remercié en raison de son incapacité à relancer l’économie du pays. L’année 2023 était une nouvelle année de faible croissance (1,9 %), et si les prévisions pour 2024 sont un peu meilleures, l’enjeu à moyen terme de la croissance reste essentiel pour le gouvernement de Paethongtarn.
Régression démographique
Selon les démographes des Nations Unies dans leurs dernières prévisions mondiales, la population thaïlandaise va stagner autour de 72 millions d’habitants d’ici 2028 avant de régresser à 68 millions en 2050. L’âge médian va passer de 40 ans aujourd’hui à plus de 50 ans en 2050. Le taux de fertilité est tombé en dessous du seuil de reproduction de la population dès 1993 et n’a cessé de reculer pour atteindre 1,37 enfants par femme (il se situe à 1,83 en France). L’espérance de vie a, en revanche, progressé de huit ans depuis le début du siècle : elle a atteint 80 ans en 2023, un niveau très proche de celui des pays européens.
La Thaïlande fait clairement exception en Asie du Sud-Est, où la dynamique démographique se poursuit. Son poids relatif dans la population de la région devrait régresser de 10,5 % aujourd’hui à 8,5 % en 2050. Les plus de 65 ans représenteront 29 % de la population du pays en 2050 (contre 16 % actuellement) et leur nombre sera presque trois fois supérieur à celui des enfants de moins de 15 ans.
Si les facteurs de décroissance de la fertilité sont à peu près les mêmes dans l’ensemble des pays en développement d’Asie (généralisation de la contraception, urbanisation, coût de l’éducation, préférence pour une carrière enrichissante), la Thaïlande se distingue par la grande efficacité de la contraception liée à un système de santé performant, une bonne insertion des femmes sur le marché du travail à tous les niveaux de qualification qui pèse sur la natalité, des coûts d’éducation élevés en dehors de l’école publique et des prix de l’immobilier dissuasifs conduisant à un surendettement des ménages.
La mobilisation gouvernementale sur le sujet est clairement insuffisante, et Paethongtarn, elle-même mère de deux enfants, devra démontrer sa capacité à faire mieux, en particulier pour les congés maternité, les crèches, les aides à la petite enfance, la flexibilité du marché du travail pour les femmes et l’accès au logement.
Bangkok et le désert thaïlandais
L’une des particularités de la Thaïlande qui pèse sur son développement est l’étendue des déséquilibres spatiaux. Bangkok et sa région représentent 15 % de la population du pays, 35 % du PIB et 60 % de la dépense publique. La politique d’infrastructures et d’industrialisation s’est jusqu’à présent concentrée sur la capitale et la zone côtière du Sud-Est, avec depuis trente ans la création de deux ports en eau profonde, d’un complexe pétrochimique, l’accueil des investissements étrangers dans l’automobile et l’électronique, et depuis 2015 le lancement du projet de « corridor économique de l’Est » qui vise à créer les nouvelles industries high tech du pays dans douze secteurs clés. Ce projet inclut la création d’un nouvel aéroport international, d’une ligne de train à grande vitesse, d’un centre de maintenance aéronautique avec Airbus, ainsi que l’agrandissement des ports existants pour un investissement total de 45 milliards de dollars. Le projet a pris du retard mais reste l’objectif central du gouvernement.
La Banque Mondiale souligne dans son dernier rapport de juillet 2024 sur la Thaïlande les effets pervers de cette hyper-concentration. Congestion des transports, prix immobiliers et fonciers trop élevés, risques environnementaux croissants, en particulier les températures, nettement plus élevées à Bangkok que dans le reste du pays, sans oublier le risque de submersion progressive de la capitale avec la montée des eaux liée au changement climatique…
Bangkok et son agglomération, insiste la Banque Mondiale ont un PIB 29 fois supérieur à celui de Chiangmai, et quarante fois supérieur à celui de Chonburi, qui sont respectivement la deuxième et la troisième ville du pays. Elle recommande une politique d’infrastructures et de développement économique répartie sur le territoire, en tirant parti des avantages comparatifs de villes comme Chiangmai au Nord, Khon Kaen au Nord-est ou Phuket au Sud.
Thaksin et sa fille Paethongtarn devraient être sensibles à ces recommandations car la base électorale du Pheu Thai se situe en zone rurale et dans la moitié Nord du pays. L’un de ses premiers déplacements après sa libération a été une visite à Chiangmai en mars 2024. Mais historiquement, Thaksin a davantage mené une politique de redistribution au profit des agriculteurs qu’une politique de développement industriel dans les zones défavorisées.
Lutte molle contre le changement climatique
Selon les analyses du Global Climate Risk Index, la Thaïlande a été le neuvième pays au monde le plus affecté par le changement climatique depuis le début de ce siècle, avec en particulier les inondations catastrophiques qui ont ravagé Bangkok et sa région en 2011. Pour autant, la priorité politique donnée à la lutte contre le changement climatique reste faible, et le pays est désormais largement dépassé par le Vietnam en matière de transition énergétique. Pour une population proche de celle de la France, la Thaïlande émet davantage de gaz à effet de serre (464 millions de tonnes en 2022 contre 430) malgré un PIB nominal situé au sixième du PIB français en 2023*. Ses émissions n’ont pas encore atteint un pic en dépit de la faible croissance des dernières années, et elles ont plus que doublé depuis 1990.
Pour le développement des énergies renouvelables, la Thaïlande est à la traîne au sein de l’Asean, derrière le Vietnam, qui représente à lui seul près de 70 % des capacités installées d’énergie solaire et éolienne dans la région en 2023. La part du solaire et de l’éolien dans le mix énergétique thaïlandais reste limitée à 4,2 % en 2022 en dépit d’un potentiel jugé considérable. La politique du gouvernement privilégie une transition fondée sur le remplacement du pétrole ou du charbon par le gaz plutôt que par les énergies renouvelables. Le principal avantage de la Thaïlande pour réduire le rôle des énergies fossiles est la faible part du charbon dans le mix énergétique, qui simplifie la stratégie de décarbonation du pays par rapport à ses voisins indonésien, vietnamien ou philippin.
Les ambitions affichées par le pays dans le cadre de la Convention des Nations Unies pour la lutte contre le changement climatique sont faibles à court et moyen terme, et plus volontaristes sur le long terme comme beaucoup d’autres pays en développement, avec l’objectif d’une neutralité carbone en 2050 et de zéro émission en 2065. La plateforme électorale du Pheu Thai est assez peu loquace sur les ambitions climatiques du pays. Elle se concentre sur le développement de la voiture électrique et sur la réduction de la pollution de l’air. Seul le Move Forward manifestait des ambitions plus fortes, demandant l’accélération du calendrier vers l’objectif de zéro émissions et l’interdiction des brûlis en zones rurales. Paethongtarn devra prouver qu’elle est capable de séduire l’électorat jeune et urbain en engageant des politiques climatiques plus volontaristes.
Innovation : progrès fragiles et insuffisants
La création d’une « économie du savoir » est encore un projet largement inachevé pour la Thaïlande et tranche avec le volontarisme chinois à niveau de revenus équivalents. L’effort de recherche et développement du pays est longtemps resté marginal, à moins de 0,4 % du PIB jusqu’en 2012. Les progrès réalisés depuis dix ans sont importants puisque les dépenses de recherche-développement ont atteint 1,2 % du PIB en 2021 selon la Banque Mondiale. Un quart de ces dépenses provient du secteur public et la période du Covid-19 s’est traduite par un net recul des financements publics en 2021 et 2022. L’objectif gouvernemental consistant à porter à 2 % l’effort de R&D d’ici 2027 est donc loin d’être atteint.
En nombre de publications scientifiques, d’impact de ces publications et notoriété de ses chercheurs, la Thaïlande se situe en position intermédiaire au sein de l’Asean : loin derrière Singapour et la Malaisie, mais encore nettement devant le Vietnam, l’Indonésie ou les Philippines. Aucune université thaïlandaise ne figure parmi les cinq cents premières universités des classements de Shanghai ou de Times Higher Education.
L’OMPI (Organisation mondiale de la propriété Intellectuelle) a développé un index global d’innovation qui donne une vision plus large des capacités d’innovation par pays. Il ne se limite pas à l’effort de recherche pour inclure les produits de l’innovation (brevets, dessins et modèles, marques), ainsi que l’effort d’éducation, la sophistication des marchés ou la notoriété des institutions de recherche. La Thaïlande se situe en 2023 à la 43ème place mondiale de ce classement, à la troisième place au sein de l’Asean derrière Singapour et la Malaisie, et légèrement devant le Vietnam dont la montée en gamme est rapide.
Ses points forts sont la sophistication des marchés, avec un bon niveau de financement des start-ups, une réelle diversité de la base industrielle, une proportion assez élevée des échanges portant sur des produits high tech (même si la propriété intellectuelle de ces produits est souvent détenue par les investisseurs étrangers). Ses points faibles portent sur l’effort d’éducation, qui régresse depuis plusieurs années en proportion du PIB, avec des résultats médiocres au test PISA de l’OCDE, et une politique de facilitation des affaires déficiente. Un rapport récent de l’OCDE souligne par ailleurs le frein à l’innovation que constitue l’existence de monopoles ou d’oligopoles dans bon nombre de secteurs, ce qui rejoint les revendications du Move Forward pour mettre frein aux privilèges royaux dans les affaires.
Un rôle de hub régional industriel désormais contesté
Le rattrapage économique de la Thaïlande a été longtemps soutenu par une large ouverture aux investissements étrangers et une place de hub régional au sein de l’Asean pour le développement des chaînes de valeur automobiles et électroniques. Les entreprises japonaises ont été les partenaires privilégiés de cette politique. Elles ont représenté 40 % des investissements étrangers dans le Royaume au cours des quatre dernières décennies. Plus de 6 000 entreprises japonaises et 80 000 expatriés y demeurent.
Mais la Thaïlande n’est plus au centre de la dynamique d’investissement international en Asie du Sud-Est. Selon les statistiques de la CNUCED, elle est désormais le dernier récipiendaire d’investissements étrangers au sein de l’Asean 6 sur la période 2018-2022, et le seul ayant connu une vague de désinvestissements en 2020. L’année 2023 a été plus favorable, avec une progression de 70 % des IDE qui laisse augurer une période plus faste dans les années à venir, sur fond d’une double rivalité sino-japonaise et sino-américaine croissante qui favorise les relocalisations industrielles en Asean.
Dans le secteur automobile, la Thaïlande est devenue le troisième marché de la région derrière l’Indonésie et la Malaisie. Elle conserve une forte capacité d’exportation : 1,1 millions de véhicules en 2023, soit quatre fois plus que la France.
Les partenariats industriels et commerciaux du pays sont en pleine mutation. L’industrie automobile japonaise entend garder sa première place en Thaïlande et sur les marchés de l’Asean. Mais globalement, la Chine est devenue en 2023 le premier investisseur étranger dans le Royaume. Elle a fait une percée rapide dans la voiture électrique, sous forme d’exportations directes dans un premier temps, en s’appuyant sur les aides à l’acquisition de voitures électriques accordées par Bangkok, puis sous forme d’investissements, avec en particulier des projets ambitieux de BYD et SAIC Motors.
La Chine exporte deux fois plus vers la Thaïlande que le Japon en 2023. Elle est aussi devenue le second client du pays derrière les États-Unis et devant le Japon. Les Chinois achètent beaucoup de produits agricoles thaïlandais – ils sont par exemple très friands du durian, ce fruit tropical bourré de vitamines. Il y a en Thaïlande un investissement chinois du quotidien, qui s’ajoute à celui des grands groupes publics et qui accompagne le retour en masse des touristes chinois. Les expatriés chinois multiplient par exemple les restaurants sichuanais, très épicés, dont la mode se développe. Les étudiants chinois représentent 60 % des étudiants étrangers en Thaïlande car le Royaume offre des diplômes internationaux à un coût accessible et permet de contourner l’hyper sélection pratiquée par les grandes universités chinoises. La concurrence sino-japonaise se double par ailleurs d’une concurrence sino-américaine au plan géopolitique.
Opportuniste entre l’Est et l’Ouest
Au moment de la guerre du Vietnam, la Thaïlande constituait la base arrière de l’armée américaine, et les États-Unis continuent d’accorder une importance stratégique majeure au pays dans le contexte de la grande rivalité avec la Chine. L’Ambassade américaine à Bangkok est en effectifs la quatrième du monde, et la Thaïlande est, avec les Philippines, l’un des deux pays d’Asie du Sud-Est ayant signé un traité d’alliance avec Washington. L’aviation américaine continue d’utiliser l’aéroport d’U-Tapao proche de la capitale pour des opérations logistiques liées à ses interventions en Asie ou au Moyen Orient. Les deux armées mènent chaque année des exercices militaires conjoints intitulés « Cobra Gold », en partenariat avec d’autres pays d’Asie du Sud-Est.
Mais la prise du pouvoir par les militaires en 2014 a refroidi les relations politiques entre les deux pays, provoquant une suspension de l’aide militaire américaine. La Chine a pris le relai pour devenir le second, voire certaines années le premier exportateur d’armes vers le Royaume, avec la fourniture d’une frégate, de véhicules blindés et de systèmes de missiles antiaériens et antinavires. Les exercices militaires conjoints se sont également développés entre les armées des deux pays, passant d’un exercice annuel en 2017 à trois en 2023.
Pendant sa brève période à la tête du gouvernement thaïlandais, Srettha Thavisin avait affiché quelques ambitions en matière de politique étrangère en se concentrant sur la poursuite d’une politique d’accords de libre-échange et sur la création de nouvelles infrastructures internationales, comme le futur pont de 100 kilomètres reliant l’océan Indien à l’océan Pacifique. Dans la phase actuelle de composition du gouvernement thaïlandais, personne ne semble s’intéresser au poste de ministre des Affaires étrangères et il est probable que la politique internationale du pays reste une politique de bon voisinage opportuniste et relativement passive, sans implication directe dans le règlement des conflits voisins comme la guerre civile qui ravage actuellement la Birmanie.
Le principal enjeu que Paethongtharn semble vouloir affronter dans les mois qui viennent n’a finalement pas grand-chose à voir avec les questions structurelles qui viennent d’être rappelées. Il s’agit de mettre en œuvre le projet de porte-monnaie digital dont devraient bénéficier cinquante millions de citoyens thaïlandais à raison de 10 000 baths par personne, soit environ 300 dollars, pour un coût global de 15 milliards de dollars représentant 3 % du PIB thaïlandais. Ce projet a été conçu sous le précédent gouvernement de Thavisin et doit être mis en œuvre en deux étapes à partir de la fin de l’année. Il est caractéristique du populisme social dont Thaksin s’était fait le champion lorsqu’il dirigeait le pays. Plutôt que d’entrer dans les difficultés et les complexités des réformes structurelles et des politiques de l’offre, il est plus simple et plus satisfaisant pour les électeurs de créer un choc de demande et de stimuler la croissance en distribuant du revenu, quitte à gérer des conséquences économiques dans un second temps. Un dilemme en fin de compte assez proche de celui que nous connaissons actuellement en France.
Par Hubert Testard – Asialyst – 7 Septembre 2024
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