«Viêt and Nam», la façon magique de Minh Quy Truong «de voir la vie, de voir le Vietnam»
Viêt et Nam travaillent dans une mine de charbon au Vietnam. Ils rêvent et ils s’aiment, en résistant à toutes les pressions de la société. Et en affrontant les fantômes du passé : la guerre de Vietnam, le père disparu… Avec « Viêt and Nam », le réalisateur Minh Quy Truong a réussi une histoire très originale, très profonde, filmée d’une façon unique. Visiblement au grand dam du gouvernement vietnamien. Sélectionné au Festival de Cannes, le film a pourtant été interdit au Vietnam.
RFI : Qui sont Viêt et Nam ?
Minh Quy Trong : Je préfère que cela reste un mystère. Peu importe qui peut être Nam ou Viêt. Ce qui compte, c’est : ils sont deux, mais ne forment qu’un. Ils sont les mêmes.
Nous découvrons dans l’histoire deux jeunes ouvriers qui travaillent sous terre, dans la mine. Dans la première scène, ils sont assis, le visage et tout le corps noircis par le charbon. Dans le film, le charbon joue un rôle très important. C’est bien connu : le charbon n’est rien d’autre que de la matière transformée. S’agit-il d’un film sur la transformation ?
C’est très intéressant de penser ainsi. Le charbon dans le film parle de cette transformation, parce qu’il s’agit d’une fossilisation du passé, de l’histoire. Dans le film, on voit beaucoup de choses fossilisées du passé, les corps, les vestiges, des squelettes, même le paysage… Et le charbon en est l’un des éléments les plus forts. Le charbon est très profond, très sombre. Il faut aller au plus profond de la terre. Il faut remonter des millions d’années en arrière. Oui, la transformation est là.
Votre film évoque beaucoup de sujets fondamentaux : la mort, la disparition du père, l’homosexualité, la guerre…, mais vous ne nous dites presque rien sur toutes ces choses très importantes. Quel est le concept derrière cette approche cinématographique ?
J’ai tendance à tout voir d’une façon très spirituelle. J’essaie d’interconnecter différents événements. Il ne s’agit pas de donner une réponse, mais en essayant de relier ces événements qui ne sont apparemment pas liés, et en les mettant dans ce film de deux heures, alors peut-être que quelque chose de nouveau, d’inattendu en sortira. Ce n’est pas une réponse, mais c’est peut-être une façon de voir la vie, de voir le Vietnam.
Quand je pense à une histoire, je ne veux pas raconter une histoire avec un début et une fin. Je m’intéresse aux différents aspects spirituels de l’histoire ou des histoires du film.
Le rythme de votre film est très particulier. On dirait une sorte de ralenti en 16 mm, où la notion de « motion » est encore surpassée par l’« émotion » et des énergies mystiques. Comment créez-vous ce rythme ?
Je pense que le rythme est déjà présent pendant le tournage. Comme à la très longue première scène ou à la fin. Par exemple, lors de la scène du baiser, on sent que le temps est figé, que les deux jeunes hommes sont complètement immobiles. Nous ressentons donc différemment la texture ou le rythme du temps. Mais le rythme vient aussi de la structure du montage. Si vous lisez le scénario, il sera différent du film. Un aspect important de mon approche est que j’aime vraiment monter le film. Je veux vraiment essayer toutes les possibilités de manipuler ou de jouer avec le temps, avec le déroulement des scènes, les différentes structures, avec l’image et le son… Le rythme du film vient aussi de là.
Avant que vous ayez présenté Viêt and Nam en première mondiale au Festival de Cannes, le gouvernement au Vietnam avait interdit le film dans votre pays de naissance. Comment réagissez-vous à cela ? Comment expliquez-vous cette interdiction ?
Bien sûr, je suis très déçu. Je pense que la façon dont le département cinéma au Vietnam interprète le film ne correspond pas du tout à mon souhait que le film soit interprété par le public. Pour moi, ce film est très sincère de ma part. Bien sûr, parce que le film touche les spectateurs, il s’est transformé en quelque chose de plus « complexe », comme l’Histoire ou un traumatisme. Je comprends donc qu’il y ait des réactions négatives de leur part ou de la part de certains spectateurs, mais que le film soit repoussé au point d’être interdit, je pense que c’est une décision très malheureuse de leur part. Et j’aurais aimé qu’il en soit autrement.
* L’interview a été réalisée lors du Festival de Cannes 2024
Par Siegfried Forster – Radio France Internationale – 2 octobre 2024
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