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Birmanie : les trafics prospèrent dans le chaos de la guerre

Cybercriminalité, trafic de drogues, voire de matériau nucléaire : les trafics prospèrent dans une Birmanie en guerre, notamment à la frontière de la Thaïlande et de la Chine. Olivier Guillard, chercheur-associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée, répond à vos questions.

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  • Olivier Guillard Chercheur-associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée, directeur de l’information chez Crisis24 et chargé de cours à l’EDHEC

Les groupes insurgés gagnent du terrain : « Dans quelques jours, malheureusement, les 51 millions de Birmans célébreront le quatrième anniversaire de la chute du gouvernement civil et surtout du coup d’Etat militaire du général Min Aung Hlaing », rappelle Olivier Guillard, chercheur-associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée. Quatre ans après le putsch du 1er février 2021, « ce moment ne sera pas spécialement festif pour la plupart des Birmans sur le terrain. Cette guerre civile se développe sur pratiquement 100 % du territoire national qui est un peu plus grand que la France. Aujourd’hui donc sur les divers fronts, comme dans l’Etat Shan (nord-est), la junte recule d’une manière inexorable depuis une quinzaine de mois, face aux assauts conjugués des forces pro-démocratiques, des groupes ethniques armés et de ce que l’on appelle les milices populaires locales, un agrégat composite de jeunes et moins jeunes qui ont rejoint la lutte armée, en association avec les forces démocratiques et avec les groupes ethniques armés. Cette association anti-junte contrôlerait, aujourd’hui, l’équivalent de 45 à 55 % du territoire. Donc la junte recule, elle plie, mais elle ne rompt pas », ajoute Olivier Guillard.

La junte s’accroche aux villes et multiplient les exactions : « Les grands centres urbains ne sont pas aux mains des forces de la résistance. Ces places fortes demeurent des leviers très importants pour le régime qui, tant qu’il tient la capitale, Naypyidaw ainsi que la grande ville du pays Rangoun, la junte est en capacité de dire qu’elle est certes défiée, mais sur le terrain, elle n’a pas rendu les armes. Malheureusement, face à cette perte de terrain, la junte recourt de plus en plus fréquemment aux bombardements aériens indiscriminés, touchant la plupart du temps autant les populations civiles que les forces insurgées ciblées. Cela pousse un peu plus loin encore du niveau d’horreur et de chaos dans ce pays. »

De plus en plus de Birmanes, de Birmans rejoignent les rangs insurgés, y compris d’ailleurs des militaires réguliers qui deviennent espions pour le compte de la rébellion, comme l’a révélé une enquête de BBC Eye. « C’est tout à fait vrai », confirme Olivier Guillard, chercheur-associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée : il s’agit « de militaires de haut rang, des officiers de police, des dignitaires du régime dans la partie administrative. La cruauté et la mauvaise gouvernance de la junte face aux horreurs qu’elles perpétuent au quotidien, poussent de plus en plus de Birmans du côté des forces de la résistance et des gouvernements démocratiques plutôt que du côté d’une junte militaire qui reste droite dans ses bottes. Quand bien même ses membres perdraient du terrain tous les jours »

Enlèvements et cybercriminalité : Un acteur chinois s’est rendu en Thaïlande pensant aller à un casting, mais il a finalement été enlevé à Bangkok, racontent Thai PBS, la radio publique thaïlandaise, et la BBC, puis emmené dans un centre spécialisé dans les arnaques en ligne. Sa petite amie s’est inquiétée de ne plus avoir de nouvelles et a lancé un message devenu viral sur les réseaux sociaux, explique le Guardian. L’acteur a finalement été libéré. Mais par crainte de tomber dans les griffes de cybercriminels en Birmanie, ajoute le New York Times, de Chinois annulent leurs voyages en Thaïlande : 20 à 30 % des vols annulés, estime Thai PBS. Des centaines de milliers de personnes ont été victimes de trafic dans la région, alors qu’elles venaient d’Afrique, d’Amérique du Sud et bien sûr d’Asie, précise le Guardian, souvent attirées par la promesse d’un emploi bien rémunéré. Au lieu de cela, elles se retrouvent piégées dans ces centres d’arnaques en ligne. « Ceux qui refusent de se livrer à des activités frauduleuses ou qui n’atteignent pas leurs objectifs sont souvent soumis à la torture. Le seul moyen de partir est généralement de payer une rançon inabordable. Beaucoup de ces camps sont situés dans des zones frontalières comme Myawaddy », explique le quotidien britannique. Pour augmenter, encore, leur profit, les réseaux semblent cibler, désormais, les célébrités, rapporte le journal chinois Global Times.

Trafic de drogues et même de matériaux nucléaires : Takeshi Ebisawa, un yakusa – un mafieux japonais – de 60 ans, a plaidé coupable à Manhattan, aux États-Unis, pour avoir fait circuler illégalement, expliquent la radio publique américaine NPR, l’agence de presse Reuters et le Guardian, des matières nucléaires, notamment de l’uranium et du plutonium de qualité militaire, depuis la Birmanie à destination d’autres pays, dont l’Iran. « Les procureurs affirment qu’Ebisawa ne savait pas qu’il communiquait en 2021 et 2022 avec une source confidentielle de la Drug Enforcement Administration [NDLR : DEA, l’agence américaine anti-drogue] et avec l’associé de cette source, qui se faisait passer pour un général iranien. Ebisawa a été arrêté en avril 2022 à Manhattan », rappelle la NPR. « Le procureur américain par intérim Edward Y. Kim a déclaré qu’Ebisawa avait admis lors de son plaidoyer avoir fait sortir de manière éhontée du matériel nucléaire, notamment du plutonium de qualité militaire, de Birmanie. Dans le même temps, il a œuvré à l’envoi de quantités massives d’héroïne et de méthamphétamine aux États-Unis en échange d’armes lourdes, comme des missiles sol-air destinés à être utilisés sur les champs de bataille en Birmanie », rapporte la radio publique américaine NPR.

Carrefour stratégique : « La Birmanie est un positionnée entre le sous-continent indien, le monde chinois et l’Asie du Sud-Est, avec un certain nombre de voisins comme la Chine, la Thaïlande et avec une souveraineté sur les frontières qui est parfois un peu souple », décrit Olivier Guillard, chercheur-associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée. « Les zones de trafic sont multiples. On pourrait même multiplier, encore, les exemples le trafic de de pierres précieuses, le trafic de drogue, nous l’avons mentionné, le trafic de bois, d’essences exotiques. Effectivement, la corruption locale, la corruption avec les autorités du pays transfrontalier font prospérer, depuis très longtemps et à plus forte raison ces dernières années, des trafics, des réseaux que vous mentionnez, des matériaux nucléaires. Mais pour rassurer nos auditeurs, la Birmanie n’est pas pays qui dispose de capacités nucléaires, ni civiles ni militaires. Il se retrouve, malheureusement, à la confluence d’autres zones de trafics avec des intermédiaires birmans et autres, tirant ce pays davantage vers les tréfonds que vers un lendemain serein », conclut Olivier Guillard.

Par Catherine Duthu – Radio France Culture – 18 janvier 2025

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