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Birmanie : la guerre oubliée

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Deux ans après la prise du pouvoir par une junte militaire en Birmanie, le pays ne cesse de s’enfoncer dans une crise profonde. L’analyse de Sophie Boisseau du Rocher, chercheuse à l’Institut français de relations internationales (Ifri).

On a oublié qu’une guerre civile déchire la Birmanie. L’attaque aérienne de Pazi Gyi le 11 avril dernier démontre à quels excès la junte, qui a pris le pouvoir le 1er février 2021, est prête pour faire taire ceux qui refusent ses coups de force et ses prédations : des avions et hélicoptères de combat ont frappé un bâtiment et provoqué la mort de 170 personnes, femmes et enfants compris. C’était la veille de Thingyan, le Nouvel an bouddhiste. Ce jour-là, le village célébrait aussi l’ouverture d’un bureau de la Force de Défense du Peuple (FDP), la milice d’opposition qui tient tête à la junte.

Une guerre civile

La Birmanie s’enfonce dans une crise profonde, renouant avec ses vieux démons, habilement exploités par l’Armée. Le démon principal, c’est la division, la difficile consolidation d’une unité nationale entre les communautés ethniques (plus de 135 groupes) recensées. La Tatmadaw, l’armée régulière, a repris les pratiques britanniques qui consistaient à diviser pour mieux régner, justifiant ses interventions dans les affaires intérieures, sécuritaires et politiques. Cela tombe bien, les principales ressources du pays – sur lesquelles la Tatmadaw a fait main basse – se trouvent dans les territoires ethniques. Mais pour la première fois, son coup de force a suscité un élan national contre elle. Et aujourd’hui, le rassemblement multiethnique autour de la FDP et du gouvernement d’unité nationale (le NUG) en exil la prive d’un argument !

La guerre s’étend à présent sur l’ensemble du territoire. La violence augmente depuis plusieurs mois (une augmentation de près de 20 % des incidents armés) ; affrontements directs, incendies de villages entiers, explosions et attentats quotidiens minent le quotidien des civils, pris en otage pour servir de boucliers humains. On compte 1,5 million de déplacés et plus de 3 000 morts civils. Les ressources sont évidemment dissymétriques, la Tatmadaw étant équipée par la Russie et la Chine tandis que les rebelles ne bénéficient que d’armes de seconde main, qui transitent le plus souvent par la Thaïlande. Le recours aux frappes aériennes constitue un nouveau palier dans l’usage de la violence auquel les rebelles ne peuvent avoir recours.

Une situation socio-économique dramatique

40 % de la population ne mange pas à sa faim et vit à présent sous le seuil de pauvreté, les circuits de distribution sont bloqués, les magasins pas achalandés et les prix flambent ; les pannes d’électricité sont fréquentes, même dans les grandes villes. Les enfants ne vont plus à l’école et les universités restent désespérément vides, beaucoup d’étudiants ayant rejoint la résistance. Qu’importe pour l’Armée ! Ses principales sources d’enrichissement sont les matières premières (gaz et pétrole, bois, étain, or et pierres précieuses) dont les cours mondiaux sont en hausse.

Et la communauté internationale ?

Après avoir encensé Aung San Suu Kyi et après l’avoir dénigré, la communauté internationale néglige la cause qui lui tient le plus à cœur : l’unité et le développement de son pays. Tandis que la Russie et la Chine agissent discrètement derrière la junte, les pays occidentaux continuent de vociférer, d’exiger « le retour à la normale » sans soutenir les initiatives d’une opposition qui cherche désespérément des soutiens. L’Association des nations de l’Asie du Sud-est (Asean (1)) n’est pas capable d’engager une vraie négociation. Qu’on oublie cette guerre si facilement fait les beaux jours de la junte.

(1) L’Asean regroupe dix pays d’Asie du Sud-est : Philippines, Indonésie, Malaisie, Singapour, Thaïlande, Brunei, Viet Nam, Laos, Birmanie, Cambodge.

Par Sophie Boisseau Du Rocher – Ouest France – 3 mai 2023

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