Infos Birmanie

Six mois d’état d’urgence supplémentaires

Le 1er février, la junte birmane a entamé sa cinquième année d’exercice du pouvoir sans partage. La veille, sur décision du Conseil national de sécurité et de défense (NDSC), l’état d’urgence établi en 2021 a été prorogé de six mois. Le régime d’exception appliqué à l’échelle nationale courra donc, au minimum, jusqu’au 31 juillet 2025.

Selon les termes du général Min Aung cette septième extension n’a pas d’autre raison d’être que de rétablir la sécurité et la stabilité pour tenir des « élections générales démocratiques multipartites libres et équitables ». Rien de moins sûr mais tel est le récit politique élaboré par les généraux pour se maintenir au pouvoir.

Le numéro 1 de la Tatmadaw se garde de dire quand les scrutins se tiendront

Le général Min Aung Hlaing n’a pas même évoqué l’année 2025 dans les propos rapportés par la presse d’État. Cette absence de précision calendaire nourrit de nouvelles supputations sur un possible « report » des votations à l’année 2026. Juridiquement, rien n’empêche toutefois que la population soit appelée aux urnes dans le dernier trimestre de cette année. Pour autant, personne ne croit que la Birmanie puisse retrouver à brève échéance des conditions optimales, ni mêmes minimales, de stabilité pour une consultation électorale « libre et transparente ».

A n’en pas douter, le généralissime se veut le maître des horloges d’un moment qui déterminera autant son avenir propre que celui de son pays. Si une bonne partie de son discours du 31 janvier devant le NDSC a été consacré aux élections, passées et à venir, il est le plus souvent resté flou ou dans le registre de la propagande. Ainsi, selon le chef de l’État par intérim, les conflits armés et les actes « terroristes » qui en découlent depuis quatre années sont le fait d’élus ayant fraudé lors des élections générales du 8 novembre 2020.

Cette réécriture pour le moins orientée de l’histoire va jusqu’à considérer que toutes les personnes responsables des manipulations étaient des membres du Comité exécutif central de la Ligue nationale pour la démocratie. Une affirmation étayée en rien mais qui permet de proclamer ipso facto que les tricheries ont été commises sur la base de directives du parti alors au pouvoir. L’accusation n’est pas explicitement formulée mais elle vise, bien évidemment, à mettre en cause urbi et orbi Daw Aung San Suu Kyi et à disqualifier La Dame incarcérée depuis 1461 jours de tout projet de sortie de crise négociée.

Le régime militaire veut laisser croire qu’il prépare avec sérieux les élections alors que son projet est d’anéantir par la force tous ses adversaires

A défaut de dire quand les élections se tiendront, le général putschiste insiste qu’elles sont au cœur de son projet politique, tout au moins tel qu’il a été énoncé dans sa Feuille de route en cinq points et 9 objectifs le 4 février 2023. Afin de mettre en scène son projet électoraliste, selon ses dires : « il faut absolument organiser les élections » car « les élections générales doivent pouvoir mettre en évidence les véritables aspirations du peuple ».

Mais conscient que les développements des combats territoriaux des derniers dix-huit mois sont un sérieux obstacle, il s’est empressé de préciser qu’il « n’y a pas de minimum de votes requis pour qu’une élection soit validée » et d’obligation de voter pour les électeurs. Autrement dit, il faut que l’on sache que, quel que soit le taux participation aux scrutins à venir et quel que soit le nombre de circonscriptions à même de se prononcer, le résultat des votes ne saurait être contesté en Birmanie et à l’étranger. Il en ira, le moment venu, de la légitimité du régime qui succèdera au Conseil de l’administration de l’État (SAC).

En attendant, le décor planté pour de nouvelles élections générales n’est guère solide. Au lendemain du pronunciamiento, les autorités militaires avaient dénoncé le nombre d’électeurs ayant pu déposer un bulletin dans l’urne sans même disposer de document d’identité. Elles avaient donc lancé le 3 mars 2021 un programme pour y remédier au plus vite (projet Pankhinn). A l’origine, il était prévu de délivrer des documents appropriés à 3,4 millions de citoyens.

Aujourd’hui, de la bouche du chef de la junte, on apprend que 5,9 millions de personnes ont obtenu des papiers. Qui sont-elles ? Pourquoi sont-elles devenues aussi nombreuses au fil des années ? Aucune explication n’a été donnée à cette hausse de 71,3 %. Pire, selon les propos tenus devant le NDSC, ce ratio pourrait être revu à la hausse dans les prochains mois pour tenir compte des derniers « demandeurs ». Voilà des délivrances documentaires bien suspectes ! Elles vont alimenter un peu plus encore les suspicions sur un processus électoral qui n’en manque déjà pas.

De sérieux doutes sur la fiabilité des listes électorales en cours d’élaboration.

Le rôle sera établi sur la base du recensement de la population effectué dans la deuxième quinzaine d’octobre 2024. Selon le général Min Aung Hlaing, la Birmanie compte 51 316 756 habitants, donc acte. Mais combien d’électeurs parmi eux ? Rien n’a été dit jusqu’ici sur ce point. L’exprimer à l’unité près ne sera pas si simple pour le conseil militaire alors que pas moins de 37,3 % de la population vient d’être évalués par extrapolations statistiques et images satellites.

Il est d’ailleurs cocasse de relever que le SAC se dit capable d’organiser des élections dans 10,3 à 17,2 % de townships de plus que son recensement le plus récent et alors qu’il continue de perdre du terrain, même là où le dénombrement de la population a pu se tenir cahin-caha en fin d’année dernière (ex. État Môn, province de l’Ayeyarwady). C’est aussi sans compter l’augmentation constante du nombre des déplacés intérieurs (IDP). Si le rythme observé depuis novembre 2024 se poursuit, il faudra de surcroit décompter d’ici la fin 2025 plus de 800 000 nouveaux IDP dont de nombreux électeurs et électrices.

Dans un tel contexte, les difficultés à établir des listes électorales, un minimum crédible, pourraient bien s’avérer des arguments pour expliquer un futur report électoral. Lors de la réunion du NDSC du 31 janvier, l’ex-président de la de jure chambre basse U T Khun Myat a commencé à s’y employer en appelant à « prendre tout le temps nécessaire pour établir des listes fiables ».

Preuve supplémentaire que l’on n’est peut-être pas si pressé que cela de consulter les électeurs du côté militaire, le journal quasi-officiel, The Global New Light of Myanmar, rapportait dans son édition du 1er février qu’il convient de ne pas se précipiter pour les élections pour « répondre aux pressions extérieures », la Tatmadaw étant le meilleur des garants pour aider au libre-arbitre des citoyens de Birmanie.

La junte s’emploie aussi à dénoncer des groupes ethniques « préférant s’approprier de nouveaux territoires plutôt que de se soumettre aux choix des électeurs »

Ont ainsi été explicitement visés les « terroristes » de l’Armée de l’Arakan (AA), de l’Armée de l’indépendance kachin (KIA), de l’Union national karen (KNU) et, selon un autre qualificatif, les « insurgés » du Front national chin (CNF). A contrario, aucune mention n’a été faite aux groupes combattants ta’ang et kokang de l’Alliance des trois fraternités (3BHA) dont les avancées territoriales en 2024 ont été significatives mais qui ont tous deux entamés de récentes discussions avec la junte par l’entremise de la Chine.

Sur ce point, il est quand même très étonnant d’entendre un régime militaire régulièrement se vanter de chercher la paix avec les groupes ethniques armés et demeurer totalement silencieux sur un accord de cessez-le-feu et/ou de désescalade obtenu récemment avec l’un d’entre eux. L’agence de presse chinoise Xinhua a annoncé qu’un accord formel de cessez-le-feu est entré en vigueur le 18 janvier 2025 avec l’Armée nationale démocratique de l’alliance de Birmanie (MNDAA) or les deux parties birmanes les plus immédiatement concernées n’ont jamais évoqué cet agrément.

La vie politico-militaire birmane est souvent une boîte noire

L’organisation des élections n’échappent pas à cette donne malheureuse. Une fois encore, le chef de la junte s’est fait le promoteur d’un changement du système de vote. Il dit vouloir l’introduction d’un mécanisme combinant le scrutin majoritaire uninominal à un tour (FPTP) et la représentation proportionnelle de listes fermées (PR).

Mais il s’est contenté d’ajouter que ce sont des modalités « les plus appropriés et les simples pour la Birmanie », sans dire en quoi et surtout qui faisait ce constat. Il n’a pas non plus fait savoir si ces modalités seront introduites pour toutes les assemblées. On peut d’ailleurs en douter puisque pour la chambre basse de Nay Pyi Taw (Pyithu Hluttaw) cette mesure serait inconstitutionnelle.

On ne sait même pas ce qu’en pensent les partis politiques agréés par la junte puisque leurs dix échanges avec la Commission électorale de l’union n’ont fait l’objet d’aucun compte-rendu détaillé public. Dans le domaine électoral comme dans bien d’autres, les dirigeants militaires monopolisent les expressions exprimées au grand jour. Une confiscation de la parole et de la vie politique typique de la « démocratie dirigée » que le SAC entend pérennisée. Une praxis qui permet aussi d’énoncer des contre-vérités sans qu’elles puissent être contestées dans les arènes publiques.

Parmi celles-ci figurent l’allégation de la junte selon laquelle la « Birmanie a reçu le soutien et l’approbation totale de la communauté internationale pour les élections préparées par le gouvernement ». Manifestement, les putschistes n’ont pas entendu les critiques énoncées ces dernières semaines, notamment par le chef de la diplomatie malaisienne, le Secrétaire général des Nations unies ou encore les Etats-membres de l’Union européenne. Ces derniers ont pourtant été particulièrement explicites dans leur déclaration du 1er février en affirmant que « toute élection organisée sans un dialogue inclusif préalable entre toutes les parties et en l’absence de soutien populaire et d’une large participation est susceptible d’exacerber la violence et l’instabilité de la Birmanie ».

Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 9 février 2025

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