Birmanie : la culture du pavot à opium, rare refuge pour une population en détresse
« Nous n’avons pas le choix »: acculé par la guerre civile, Aung Hla a abandonné la culture du riz pour le pavot à opium, l’un des derniers secteurs en état de marche en Birmanie, en proie aux trafics en tous genres.
« Si quelqu’un d’autre avait été à ma place, il aurait fait la même chose », se justifie l’agriculteur de 35 ans, originaire de Moe Bye, dans l’Etat Shan (est).
Il survit avec un salaire de misère en travaillant, à contre-coeur, dans un marché aux mains d’organisations criminelles qui transforment la résine d’opium en héroïne, vendue dans le monde entier.
« Tout le monde pense que ceux qui cultivent le pavot à opium sont riches, mais nous essayons simplement de nous en sortir », souffle-t-il. « Si la guerre prenait fin, la culture du pavot disparaîtrait. »
Depuis le coup d’Etat de février 2021, la Birmanie a sombré dans une spirale de violences, la junte au pouvoir combattant des dizaines d’organisations armées issues de minorités ethniques et de groupes pro-démocratie.
Le conflit a détruit les moyens de subsistance de nombreux Birmans, devenus vulnérables face au risque de famine, et au manque d’accès aux soins et à l’éducation.
Premier producteur mondial
Environ 20 millions d’habitants, soit plus d’un tiers de la population, ont besoin d’une aide humanitaire, ont recensé les Nations unies fin décembre.
Dans ce contexte, certains n’ont pas eu d’autre choix que de se tourner vers des marchés illicites pour joindre les deux bouts.
Dans les collines de Pekon, dans l’Etat Shan, la plus grande région de Birmanie pour le pavot, les travailleurs agricoles sillonnent les champs de septembre à février pour extraire la résine d’opium, récoltée à l’aide d’une entaille sur le bulbe de la fleur.
Ce liquide laiteux sert à produire de la morphine et de l’héroïne, destinée à l’exportation — un marché ultra lucratif pour les trafiquants, qui prospèrent en toute impunité, selon les experts.
La Birmanie est devenue en 2023 le premier producteur mondial d’opium, dépassant l’Afghanistan où le gouvernement taliban a lancé une vaste campagne de répression contre cette culture, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).
La plante génère des revenus estimés entre 589 millions de dollars et 1,57 milliard de dollars, soit entre 0,9% et 2,4% du produit intérieur brut de 2023, a estimé l’ONUDC.
« La culture du pavot s’est développée parce que la population locale a du mal à gagner sa vie », explique Aung Naing, 48 ans, dont plus d’une vingtaine d’années dédiée à la culture du pavot.
« La plupart des agriculteurs sont des personnes déplacées », explique-t-il. « Ceux qui ne peuvent plus vivre dans leurs villages et ont fui dans la jungle travaillent dans les champs de pavot. »
Escalade du conflit
Le pavot rapporte un peu plus que le maïs ou les pommes de terre, qui sont vulnérables aux maladies par temps de pluie, note-t-il.
Mais sa culture est plus coûteuse que le riz, en raison de la main-d’oeuvre requise, des engrais et des faibles rendements, ce qui affecte les bénéfices.
« Comment je peux devenir riche comme ça? », s’interroge Aung Naing, qui explique réaliser un profit d’à peine 30 dollars par kilo de résine.
De plus, le marché s’est contracté en 2024: la production a baissé de 1.080 tonnes à 995 tonnes, selon l’UNODC, qui a relevé l’impact de l’escalade du conflit civil, et la saturation du marché régional de l’héroïne, après trois années de hausse de la production.
La junte n’a pas encore bombardé la région, explique Aung Naing, mais « nous travaillons dans les champs de pavot avec la peur au ventre. Nous ne nous sentons pas en sécurité. »
Pour Shwe Khine, 43 ans, la situation aurait été totalement différente si la guerre n’avait pas éclaté.
« Si notre pays était en paix et que des industries offraient de nombreuses opportunités d’emploi dans la région, nous ne planterions pas de pavots dans les champs, même si on nous le demandait », assure l’agricultrice.
Agence France Presse – 13 mars 2025
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