La mode thaïlandaise en quête de reconnaissance sur la scène internationale
Même éloignée des grandes capitales de la mode telles que Paris, Milan, New York ou Londres, Bangkok nourrit l’ambition de s’imposer comme le centre névralgique de la mode en Asie du Sud-Est.
Si le projet de faire de Bangkok une capitale de la mode a échoué lors de sa première tentative, deux décennies plus tard, la scène mode de la ville continue de se développer. Plusieurs initiatives visent à en faire un centre régional incontournable en mettant en avant les talents locaux, en attirant des marques internationales et en organisant des événements prestigieux.
Un regard novateur sur la mode
Alors que la culture japonaise et ses créateurs dominent depuis des décennies la mode en Asie, Bangkok pourrait à terme devenir un hub du design en Asie du Sud-Est. La ville accueille de plus en plus d’événements, comme la ELLE Fashion Week, qui met chaque année en lumière de nouveaux talents thaïlandais, ou encore la Thailand Fashion Week, organisée deux fois par an pour permettre aux créateurs émergents et établis de présenter leur travail aux professionnels de l’industrie, acheteurs et médias.
Cependant, ces événements ont principalement un rayonnement régional et peinent à obtenir une influence internationale significative.
Pour Thatwasin Boat Khajeenikorn, créateur de mode masculine et éditeur invité d’ELLE UK à Bangkok, le problème de la mode thaïlandaise réside dans son approche, qui freine sa reconnaissance à l’échelle mondiale. Selon lui, les designers doivent bénéficier d’une formation approfondie, y compris en maîtrisant les techniques de couture, même dans un pays où la main-d’œuvre bon marché est abondante et où 110,8 millions de vêtements ont été produits en 2023. Il estime qu’une formation complète et une production de haute qualité sont essentielles pour hisser la mode thaïlandaise au niveau international.
Une ambition avortée : Bangkok Fashion City, le rêve inachevé d’une capitale de la mode
Au début des années 2000, la Thaïlande a lancé une initiative ambitieuse visant à faire de Bangkok une capitale de la mode en Asie du Sud-Est, avec l’ambition de rivaliser avec New York, Paris, Milan et Londres. Soutenue par le gouvernement de Thaksin Shinawatra en 2003, la campagne Bangkok Fashion City bénéficiait d’un investissement colossal de 1,8 milliard de baht, avec 487 millions supplémentaires destinés au secteur privé. L’objectif était de stimuler l’industrie textile, l’habillement, la joaillerie, la maroquinerie et la chaussure.
Le projet a suscité un vif enthousiasme, notamment avec la création de la Bangkok Fashion Week, qui a attiré des créateurs et des professionnels du secteur. L’objectif était de faire de Bangkok une capitale de la mode d’ici 2012.
Cependant, après le coup d’état militaire de 2006 qui met fin au gouvernement Thaksin, les priorités ont évolué, les financements ont diminué et le projet s’est effondré. Les délais ont été dépassés et la plupart des 11 sous-programmes n’ont pas abouti. Sur les 30 initiatives prévues, seule une école de design a vu le jour, les autres étant confrontées à des obstacles bureaucratiques et financiers.
Malgré cet échec, Bangkok Fashion City a tout de même laissé une empreinte durable sur la mode thaïlandaise en offrant une plateforme aux créateurs émergents.
La relance du projet en 2014
En 2014, le projet a été relancé avec un budget bien plus réduit. Selon son responsable, Virit Viseshsindh, l’initiative initiale était trop ambitieuse, avec des fonds mal répartis sur une période trop courte.
Cette fois, l’approche était plus progressive : démarrer modestement, évaluer les résultats et étendre les actions progressivement. Le nouvel objectif était d’institutionnaliser les fashion weeks thaïlandaises, d’intégrer les industries du cuir et de la joaillerie, et d’aider 2 200 créateurs à atteindre les standards des autres pays de l’ASEAN. Des concours ont été mis en place pour attirer l’attention de l’industrie et des défilés pour séduire les médias internationaux.
Les professionnels du secteur ont cependant critiqué cette relance jugée trop timide. Selon eux, le véritable problème du projet initial n’était pas son ambition mais une mauvaise gestion et une allocation inefficace des ressources. Plutôt que d’investir dans des défilés, ils estiment que le gouvernement aurait dû miser sur la formation des créateurs et la qualité des produits.
Une scène de mode qui impose son style
Bien que l’impact à long terme et la concrétisation du projet Bangkok Fashion City restent incertains, la scène mode de Bangkok a continué à évoluer ces vingt dernières années. Aux côtés de la Bangkok Fashion Week, d’autres événements comme la Thailand Fashion Week et la Siam Paragon Bangkok International Fashion Week ont vu le jour, offrant une vitrine aux jeunes créateurs asiatiques et attirant l’attention des médias et des professionnels du secteur.
Une reconnaissance internationale : le défilé One Night in Bangkok à la New York Fashion Week
Cette année, la New York Fashion Week, qui s’est tenue du 6 au 11 février, a mis la mode thaïlandaise en lumière. Clôturant cette semaine chargée, le défilé One Night in Bangkok a présenté quatre créateurs thaïlandais influents et émergents : Vinn Patararin, Vickteerut, Matter Makers et Merge.
Ce show a célébré la diversité et la créativité de la mode thaïlandaise, mettant en avant son influence croissante sur la scène internationale. En présentant leurs collections à la Fashion Week de New York, ces designers ont non seulement gagné en visibilité, mais ont aussi introduit de nouvelles perspectives et des nuances culturelles auprès d’un public mondial, renforçant ainsi la position de la Thaïlande sur la carte de la mode.
Organisé en partenariat avec le Département de la Promotion du Commerce International (DITP) du ministère thaïlandais du Commerce, cet événement souligne l’engagement du gouvernement à développer la présence de la mode thaïlandaise à l’échelle mondiale.
Un engagement royal
L’engagement de la Thaïlande pour la mode se reflète également à travers sa représentation royale. La princesse Sirivannavari, diplômée de l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne (aujourd’hui intégrée à l’Institut Français de la Mode), entretient une relation privilégiée avec ce secteur.
Après avoir effectué des stages dans de grandes maisons parisiennes telles que Christian Dior et Pierre Balmain, elle a manifesté son intérêt pour la mode en soutenant activement l’industrie de la soie en Thaïlande, notamment à travers ses propres créations.
Fondée en 2005, sa marque Sirivannavari illustre son ambition de hisser la mode thaïlandaise sur la scène internationale. En 2007, Son Altesse Royale la princesse Sirivannavari a été invitée par Pierre Balmain à présenter son travail à Paris. Sa collection, intitulée Presence of the Past, revisitait notamment le costume traditionnel thaïlandais et rendait hommage à sa grand-mère, Sa Majesté la reine Sirikit, qui s’était investie dans la préservation de l’industrie de la soie et du tissage manuel, notamment dans les villages thaïlandais.
L’engagement de la princesse s’inscrit donc dans une tradition familiale et contribue à la valorisation de l’identité culturelle thaïlandaise, au rayonnement international de sa mode ainsi qu’à la préservation des savoir-faire artisanaux du pays.
Un avenir incertain
Bien que la mode thaïlandaise gagne en reconnaissance et se fasse une place sur la scène mondiale, elle reste encore en retrait par rapport aux grandes vitrines de Paris, Milan ou New York. Malgré leur influence croissante, les événements de mode en Thaïlande restent relativement modestes, et pour l’heure, aucun plan gouvernemental concret ne vise à propulser l’industrie sur la scène internationale.
La participation aux grandes fashion weeks, comme celle de New York, est donc essentielle pour positionner durablement la Thaïlande dans le paysage mondial de la mode. Un engagement renforcé et des efforts constants pour intégrer les créateurs thaïlandais aux plateformes les plus prestigieuses, sont essentiels pour garantir une croissance à long terme. Si la Thaïlande poursuit dans cette direction, en tirant parti de son exposition internationale tout en renforçant sa scène locale, elle pourrait devenir un acteur clé du secteur plutôt qu’un simple outsider prometteur.
Par Bastien Guillemain – Thailande-fr.com – 24 mars 2025
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