Qui est Paul Chambers, l’universitaire américain convoqué pour lèse-majesté ?
Convoqué par la police Thaïlande pour suspicion de lèse majesté après une plainte déposée par le commandement de la troisième région militaire du royaume, le Dr Paul Chambers est l’un des plus éminents spécialistes des questions civilo-militaires de la Thaïlande contemporaine.
Reconnu et respecté par ses pairs de même que par des générations d’étudiants, Paul Chambers est maître de conférences en affaires internationales à l’Université Naresuan de Phitsalunok. Arrivé en 1993 en Thaïlande avec le Corps de la paix américain, Paul Chambers a également enseigné à l’Université de Chiang Mai, et a été chercheur principal à l’Université d’Heidelberg en Allemagne.
Selon 112watch, un groupe qui s’oppose à la loi sur le crime de lèse-majesté en Thaïlande, Chambers a inventé le concept « d’armée monarchisée » qu’il considère « comme une institution militaire dont la loyauté, la légitimité et l’autorité politique reposent sur son rôle de protectrice de la monarchie. Dans de tels systèmes, l’allégeance de l’armée à la Couronne prime sur son engagement envers les institutions démocratiques ou le contrôle civil », telle est sa réflexion.
Une situation inédite
Âgé de 58 ans, Paul Chambers, dont les travaux sont largement diffusés en Thaïlande et dans la sphère académique s’intéressant au Sud-Est asiatique, n’avait jusqu’à ces derniers jours jamais connu une telle situation dramatique.
Convoqué ce mardi 8 avril pour se voir notifier son inculpation en vertu de l’article 112, cette histoire qui met en difficulté Paul Chambers jette inévitablement le trouble sur la liberté d’expression et la recherche académique en Thaïlande. Pour théoriser son sujet favori de façon si pointue, Paul Chambers dispose de contacts militaires établis depuis longtemps.
Intervenant dans de nombreux séminaires, colloques ou tables rondes partout dans le monde y compris à Bangkok, comme au bien connu FCCT (Foreign Correspondents Club of Thailand), Chambers étayait avec rigueur et argumentation le fruit de ses recherches, accompagné d’un débat contradictoire.
Nombre de ses ouvrages ont été salués par la critique, comme « Khaki Capital » qui étudie l’économie politique de sept armées en Asie du Sud-Est et « Kingdom Praetorian : a history of ascendancy in Thailand » (« Royaume prétorien : une histoire de l’ascendance militaire en Thaïlande »), qui combine habilement les motivations personnelles et les ambitions militaires des généraux pour établir une classe militaire protégée et privilégiée.
Dans cette dernière publication, Paul Chambers décrit étape par étape comment l’armée s’est imposée en Thaïlande comme la deuxième institution la plus puissante du royaume derrière la monarchie. Avec une récurrence si propice aux coups d’État depuis près d’un siècle. Il s’agit de l’une des études les plus complètes sur la politique thaïlandaise contemporaine, explorant la carrière des chefs militaires depuis 1932 jusqu’à nos jours. Essentiel pour comprendre la politique thaïlandaise actuelle.
Liberté académique indispensable
Les écrits universitaires ou journalistiques étudiant et croisant les différents pouvoirs de l’ancien Siam, monarchie, armée, gouvernement civil ou militaire et leurs conséquences politiques et sociétales, vont certainement gagner en sensibilité et en auto-censure. La politisation évidente de la justice thaïlandaise lorsqu’il s’agit de l’article 112 conduit donc, à travers l’exemple de Paul Chambers, à la restriction de la liberté académique et à la confirmation du rôle déterminant de l’armée dans la conduite des affaires du pays.
Reste à savoir, maintenant, si cette plainte sera suivie d’effets et de poursuites.
Par Philippe Bergues – Gavroche-thailande.com – 7 avril 2025
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