Vietnam : La répression de la dissidence s’intensifie
Les autorités devraient mettre fin aux poursuites abusives basées sur la loi sur les « atteintes aux intérêts de l’État »
Le gouvernement vietnamien a intensifié sa répression contre la dissidence en punissant des personnes ayant simplement exprimé des inquiétudes ou des griefs au sujet de politiques gouvernementales ou de responsables locaux, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd’hui.
Ce rapport de 26 pages, intitulé «‘We’ll All Be Arrested Soon’: Abusive Prosecutions under Vietnam’s ‘Infringing of State Interests’ Law » (« “Nous serons tous bientôt arrêtés” : Poursuites abusives en vertu de la loi vietnamienne sur les atteintes aux intérêts de l’État »), documente le recours accru du gouvernement vietnamien à l’article 331 du Code pénal pour cibler des personnes qui utilisent les réseaux sociaux ou d’autres moyens de communication pour aborder publiquement des questions telles que la liberté religieuse, les droits fonciers, les droits des populations autochtones et la corruption au sein du gouvernement et du Parti communiste vietnamien. Les autorités devraient immédiatement mettre fin à cette répression systémique, et libérer toutes les personnes détenues ou emprisonnées simplement pour avoir exercé leurs droits fondamentaux.
« Les autorités vietnamiennes recourent de manière abusive à la loi sur les atteintes aux intérêts de l’État, non seulement pour réduire au silence des activistes et des lanceurs d’alerte de premier plan, mais aussi pour exercer des représailles contre des citoyens ordinaires qui se plaignent de services publics de mauvaise qualité, ou dénoncent des abus policiers », a déclaré Patricia Gossman, directrice adjointe de la division Asie à Human Rights Watch. « Le gouvernement se sert de l’article 331 en tant qu’outil pour porter atteinte aux droits fondamentaux des citoyens vietnamiens. »
Human Rights Watch a examiné des dizaines de documents judiciaires vietnamiens, de nombreuses sources médiatiques et des centaines de publications et de vidéos sur les réseaux sociaux. Entre 2018 et février 2025, les tribunaux vietnamiens ont condamné au moins 124 personnes à de lourdes peines de prison en vertu de l’article 331 du Code pénal. Il s’agit d’une augmentation significative par rapport aux six années précédentes (2011-2017), lors desquelles seulement 28 personnes auraient été condamnées à des peines de prison pour violation de cet article.
Par le passé, les personnes condamnées en vertu de l’article 331 étaient souvent des blogueurs ou des militants des droits humains ; le gouvernement cherchait à réduire ces personnes au silence, mais ne les considérait pas comme une réelle menace pour le monopole du Parti communiste au pouvoir. Ces personnes étaient donc condamnées pour des crimes considérés comme moins graves que des atteintes à la sécurité nationale.
Toutefois, Human Rights Watch a constaté que les autorités vietnamiennes ont élargi la portée et l’application de l’article 331. Elles ont élargi l’application de cet article à d’autres tranches de la société, au-delà des défenseurs des droits humains et de la démocratie – dont la plupart sont aujourd’hui en prison – afin de potentiellement cibler toutes les personnes qui expriment publiquement leurs griefs. Par conséquent, des citoyens ordinaires risquent l’arrestation et jusqu’à sept ans de prison, simplement pour avoir critiqué des fonctionnaires subalternes.
Parmi les personnes condamnées en vertu de l’article 331 figurent les cas suivants :
- Dao Ba Cuong, un ferronnier, avait organisé à son domicile un événement protestant contre le décès de son fils, survenu lors de sa garde à vue en octobre 2022. Un membre de sa famille avait alors retransmis cet événement en direct sur les réseaux sociaux. Dao Ba Cuong s’était aussi promené dans la rue, vêtu d’une tenue funéraire et tenant une grande photo de son fils, afin de sensibiliser le public à sa mort. En décembre 2023, un tribunal de la province de Phu Yen l’a condamné à deux ans de prison.
- Vu Thi Kim Hoang, une couturière, avait autorisé son compagnon Nguyen Thai Hung à vivre chez elle et à utiliser son ordinateur portable afin de publier sur les réseaux sociaux ses opinions sur diverses questions politiques. En guise de punition, un tribunal de Dong Nai l’a condamnée en novembre 2022 à deux ans et six mois de prison. Lors du même procès, Nguyen Thai Hung a été condamné à quatre ans de prison.
- Danh Minh Quang, d’origine khmère, s’était plaint sur les réseaux sociaux de discrimination envers les Khmers – notamment de la rétention d’aide pendant la pandémie de Covid-19 – et avait plaidé pour la reconnaissance des peuples autochtones. En février 2024, un tribunal de la province de Soc Trang l’a condamné à trois ans et six mois de prison.
- Le Minh The avait abordé sur les réseaux sociaux diverses questions sociopolitiques, notamment le développement économique du Vietname, la corruption, la pauvreté et les droits fonciers. Il avait déjà purgé 21 mois de prison entre 2018 et 2020 pour avoir exprimé ses opinions. En 2023, il a été de nouveau arrêté, reconnu coupable et condamné à deux ans de prison, également pour avoir critiqué les autorités. La sœur cadette de Le Minh The, Le Thi Binh, a également purgé deux ans de prison entre 2020 et 2022 pour avoir « publié, diffusé en direct et partagé » des contenus critiquant certaines politiques de l’État, et jugées « diffamatoires » envers l’État.
Le recours accru à l’article 331 par les autorités vietnamiennes est une facette peu connue de la répression croissante du gouvernement contre la dissidence, a déclaré Human Rights Watch. Cette tactique montre que le gouvernement – bien que le Vietnam soit actuellement un pays membre du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, et cherche à renforcer son profil international – n’aborde pas les questions sociales d’une manière compatible avec les droits humains et la bonne gouvernance.
« Les partenaires commerciaux du Vietnam, portant leur attention sur des questions de développement économique et des opportunités d’investissement, ignorent régulièrement les violations croissantes des droits humains commises par son gouvernement », a conclu Patti Gossman. « Les donateurs internationaux et les partenaires commerciaux du Vietnam devraient faire pression sur ce pays, publiquement et en privé, pour qu’il libère immédiatement toute personne détenue pour avoir exprimé pacifiquement ses opinions en ligne, et qu’il abroge la loi sur les atteintes aux intérêts de l’État. »
Human Rights Watch – 21 avril 2025
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