Des Vietnamiennes circonspectes après la levée de la limite de deux enfants par famille
Le Vietnam, confronté à la baisse du taux de fécondité, a renoncé à sa politique des deux enfants, mais des femmes interrogées par l’AFP ne sont pas convaincues, pointant la hausse du coût de la vie et les nouvelles normes sociales.
« Si je m’en sors bien financièrement, j’aimerais bien avoir deux enfants », assure Nguyen Tran Bao Linh, 17 ans, originaire de Nha Trang (sud).
« Mais pas plus », nuance-t-elle.
Le pouvoir communiste a abandonné mardi sa politique qui limitait les couples à deux enfants, mise en place en 1988, par crainte que la surpopulation fasse dérailler le développement du pays, alors largement démuni après des décennies de guerre.
Aujourd’hui, le Vietnam, fort de quelque 100 millions d’habitants, se présente comme un parangon de réussite économique, avec l’objectif d’intégrer le cercle des pays à revenu élevé d’ici 2045.
Mais le taux de fécondité a chuté en-deçà du seuil de renouvellement de 2,1 enfants par femme, menaçant les ambitions de ce « dragon » du Sud-Est asiatique, qui fait face au vieillissement de la population et à une réduction de la main-d’oeuvre.
Le déclin de la natalité semble suffisamment ancré, pour que les femmes interrogées par l’AFP admettent que la nouvelle directive gouvernementale ne bouleversera pas la donne.
– Coût de la vie –
La hausse du coût de la vie combiné au changement des normes sociales, les nouvelles générations aspirant à s’épanouir ailleurs qu’au foyer, devrait entraver le « baby boom » souhaité par les autorités.
« Je compte avoir un ou deux enfants, parce que je veux trouver un équilibre entre travailler, m’occuper des enfants et prendre soin de moi-même », affirme Nguyen Thi Kim Chi, une étudiante de 18 ans, croisée dans les rues de la capitale Hanoï (nord).
Le Vietnam a enregistré en 2024 son taux de fécondité le plus bas de l’histoire, à 1,91 enfant par femme, mais la baisse est encore plus marquée dans les zones urbaines (1,67), en particulier à Hanoï et Ho Chi Minh-Ville (sud).
« Mes beaux-parents veulent vraiment qu’on ait un garçon… mais je ne veux vraiment pas avoir plus d’enfants », explique Nguyen Thi Nguyet Nga, 31 ans, mère de deux filles.
Nga gagne environ 300 dollars par mois en travaillant dans une pharmacie de la province de Tuyen Quang (nord) – « pas suffisamment » pour que ses deux filles, qui vivent chez leurs grands-parents à une quarantaine de kilomètres, aient « une bonne vie », déplore-t-elle.
« La plupart du temps, on parle par vidéo chat et on ne se voit une ou deux fois par mois. Alors pourquoi j’aurais un autre enfant ? », s’interroge-t-elle.
« C’est mieux d’avoir deux enfants qui puissent bien grandir, que trois ou quatre enfants qui n’auront pas une bonne éducation ou une bonne vie », insiste Nga.
Au Vietnam, le prix du logement, de l’école ou des soins ont augmenté plus rapidement que les salaires.
– « 5 à 10 ans » pour changer les mentalités –
L’Etat doit investir dans des politiques qui puissent aider les parents à trouver un équilibre entre vies professionnelle et familiale, dans les services de garde d’enfants de qualité, ou l’égalité des sexes au travail, a prévenu le Fonds des Nations unies pour la population.
Tran Thi Thu Trang concède que sa vie est devenue plus difficile après la naissance, par accident, de son troisième enfant.
Cette employée de bureau à Haïphong, 30 ans, se dit chanceuse d’avoir les moyens de payer une assistante maternelle pour ses deux garçons et sa fille, tous âgés de moins de sept ans.
Mais « les salaires doivent augmenter, nous avons besoin d’une aide pour les frais de scolarité des enfants et d’un soutien accru en matière de soins de santé », décrit-elle.
Suite à la suppression de la limite de deux enfants, « je pense qu’il faudra 5 à 10 ans » pour que les gens changent d’avis, ajoute-t-elle. « Mais seulement si le gouvernement en fait une priorité ».
La baisse du taux de fécondité est le plus souvent associée aux pays riches. En Asie, la Corée du Sud et le Japon, qui a annoncé mardi un taux de fécondité historiquement bas de 1,15 en 2024, essayent depuis des années d’inverser la tendance, sans réussite.
Le phénomène est bien plus large, ont prévenu les Nations unies dans un rapport publié cette année: dans plus de la moitié des pays du monde, le taux de fertilité se situe en-dessous de 2,1.
Par Tran Thi Minh Ha & Lam Nguyen – Agence France Presse – 5 juin 2025
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