En Birmanie, le combat d’une tribu contre un projet chinois de mine de plomb
Dans les collines birmanes, un projet chinois d’extraction de plomb, encouragé par le boom des batteries électriques, menace de détruire les moyens de subsistance d’une petite tribu qui a organisé sa défense, par crainte de « disparaître ».
« Nous n’avons pas le projet d’échanger ce que nos ancêtres nous ont légué pour de l’argent. Cette terre est la dignité de notre tribu », affirme Khun Khine Min Naing, qui mène le mouvement de révolte.
« Nous ne faisons que demander des droits indigènes qui nous sont dus », met en avant le jeune homme de 24 ans.
Depuis avril, des centaines de membres de l’ethnie Pradawng défilent régulièrement sur les chemins de terre battue contre le projet d’extraire du plomb sur leurs terres, qui risque de transformer le paysage à jamais, sans aucune forme de bénéfice pour eux.
La tribu, proche culturellement des Karens, revendique 3.000 membres sur un territoire qu’elle occupe depuis près de quatre siècles dans l’Etat Shan (Est), près de Pekon.
Mais leurs voix résonnent dans le vide, dans le contexte de la guerre civile qui a réduit en lambeaux la Birmanie, où des groupes privés font leurs affaires sans être trop inquiétés.
Une entreprise birmane, Four Star Company, connectée à une milice locale, et son partenaire chinois ont l’ambition de développer une importante mine de plomb. Depuis février, d’imposantes machines occupent le site, en vue des travaux.
Les Pradawng, qui assurent ne pas avoir été consultés, habitent un village, Thi Kyeik, en contrebas de la future mine – un endroit vulnérable aux pollutions générées par l’activité minière.
L’extraction de plomb, un métal toxique particulièrement nocif pour les jeunes enfants et les femmes en âge de procréer, contamine les sols et l’eau, a prévenu l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Présence chinoise
« Nous ne voulons pas laisser cette terre endommagée pour la prochaine génération », a insisté Khun Khine Min Naing. « Nous ne voulons pas être considérés comme des criminels aux yeux de l’histoire. »
En manifestant à l’aide de pancartes, les Pradawng s’exposent à une violente réponse de gardes armés.
Selon les Pradawng, Four Star Company opère dans la région depuis 20 ans, avec l’aval d’une milice locale, le Kayan New Land Party, qui a conclu un cessez-le-feu avec l’armée birmane.
Son partenaire chinois, longtemps caché aux habitants, est difficile à identifier.
Le conflit qui a éclaté après le coup d’Etat du 1er février 2021 a fragmenté la Birmanie, où des dizaines de groupes armés, en plus de la junte, imposent leur loi, dans des conditions plus ou moins opaques, qui profitent aux trafics en tous genres.
Dans ce contexte, des Chinois ont investi dans les riches ressources naturelles du pays: jades et autres pierre précieuses, bois de teck, minerais.
Le plomb est recherché pour construire des batteries, largement utilisées par le secteur automobile.
Sur l’année 2023, quelque 98% des exportations birmanes de plomb sont allées en Chine, a noté la Banque mondiale. Mais le volume des échanges, estimé à 20 millions de dollars, ou 50.000 tonnes, pourrait être sous-évalué du fait de la prédominance du marché noir.
Une analyse par imagerie satellite d’un seul site à la frontière chinoise par le Centre pour la résilience de l’information, basé en Grande-Bretagne, a montré que celui-ci avait presque doublé entre 2018 et 2024, donnant une idée de la dynamique.
« Aucune loi »
« Nous risquons de disparaître », assure Khun Aung Naing Soe, 32 ans, un leader de la tribu.
« Il n’y a aucune loi qui protège le peuple », affirme-t-il.
Le prix d’une tonne de plomb raffiné se situe autour de 2.000 dollars sur le marché mondial.
Les Pradawng craignent que seule la pollution ne ruisselle de l’activité minière, pas les profits.
« Ils essayent de négocier avec nous en nous promettant des bénéfices, mais on a décidé avec courage de repousser leur offre », a expliqué le leader des manifestations, Khun Khine Min Naing.
Durant les négociations, la tribu a senti que ses interlocuteurs allaient débuter leurs opérations « par tous les moyens », a-t-il poursuivi.
Des signes avant-coureurs de dommages environnementaux sont déjà visibles, selon les riverains.
Les habitants ont remarqué une augmentation des inondations et des coulées de boue qui ont emporté des maisons entières, car le rythme de l’exploitation minière dans la région s’est accéléré ces dernières années.
Mu Ju July, 19 ans, gagne péniblement sa vie en fouillant les terrils à la recherche de morceaux de plomb.
« Si nous donnons notre autorisation, nous ne serons tranquilles que pendant un ou deux ans », estime-t-elle. « Il ne restera que des pierres lorsque le moment sera venu pour nos enfants. »
Franceguyane.fr – 5 juin 2025
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