Tensions frontalières : la Thaïlande réduit unilatéralement les horaires à Boeng Trak
La limitation des horaires du poste-frontière de Boeng Trakoun par les autorités thaïlandaises plonge des centaines de Cambodgiens dans une situation précaire, compromettant leur source de revenus.
Horaires réduits à la frontière : des centaines de Cambodgiens pris au piège
Le matin du 9 juin, les autorités thaïlandaises ont réduit unilatéralement les horaires du poste-frontière de Boeng Trakoun, dans la province de Banteay Meanchey, provoquant la stupeur chez des centaines de travailleurs cambodgiens. Nombre d’entre eux redoutent que cette perturbation prolongée n’aggrave leur précarité.
Sur place, environ 200 personnes patientaient pour accomplir les formalités d’entrée en Thaïlande. Il s’agissait majoritairement d’ouvriers non qualifiés : coiffeurs, ouvriers du bâtiment, travailleurs agricoles dans les champs de manioc et vendeurs de rue, tous inquiets de la décision unilatérale de la Thaïlande de modifier les heures d’ouverture du poste.
Le témoignage de Sophanna, coiffeuse depuis plus de 10 ans en Thaïlande
Sophanna, 47 ans, originaire de la province de Siem Reap, travaille dans un salon de coiffure en Thaïlande depuis plus d’une décennie. Face aux tensions entre les deux pays, elle s’est brièvement réfugiée au Cambodge avant de décider, lundi matin, de retourner à son travail, espérant une résolution pacifique.
« Je ne sais pas ce qui va se passer, mais j’ai décidé de retourner en Thaïlande aujourd’hui. Ce problème touche les petits commerçants comme nous, des deux côtés de la frontière. Nous ne gagnons plus comme avant », déclare-t-elle.
Elle explique gagner entre 300 et 1 000 bahts par jour (entre 9 et 30 dollars environ), parfois moins. Depuis le début du conflit, son salon peine à attirer des clients. Si la situation se détériore, elle envisage de rentrer au Cambodge, sans perspective claire pour subvenir à ses besoins.
« Nous dépendons tous de l’ouverture du poste-frontière. Avec ce conflit, certains travailleurs n’ont même plus assez à manger. Nous n’avons jamais connu de telles difficultés », confie-t-elle.
Petits commerçants cambodgiens et thaïlandais durement impactés
Roeun Ay, 32 ans, attendait dès l’aube l’ouverture de la frontière pour se rendre en Thaïlande acheter des produits à revendre dans son village, source principale de ses revenus. Elle y effectue des allers-retours quotidiens. Depuis la réduction des horaires, ses revenus ont considérablement baissé, comme ceux de nombreux petits commerçants.
« Nous sommes nombreux à dépendre de la Thaïlande pour acheter nourriture et marchandises. Que le conflit cesse, car ce sont les plus vulnérables qui souffrent », plaide-t-elle.
Conditions de travail menacées pour les ouvriers agricoles cambodgiens
Nhev Thy, 50 ans, traversait en hâte la frontière pour rejoindre son emploi dans une plantation de manioc en Thaïlande, où elle vit depuis près de 20 ans avec sa famille. Elle y gagne 250 bahts par jour (environ 7,50 dollars). À cause des nouvelles restrictions sur les horaires et les visas, elle doit renouveler son laissez-passer toutes les semaines. Ses enfants vivent et étudient en Thaïlande.
« Nous craignons d’être un jour refoulés. Nous voulons juste de quoi manger chaque jour. Nous ne voulons pas de conflit », affirme-t-elle.
Changements unilatéraux côté thaïlandais : réactions locales
Un officier cambodgien du poste-frontière, souhaitant rester anonyme, déplore que la Thaïlande ait décidé seule de modifier les horaires, sans consultation. Le poste thaïlandais est désormais ouvert de 8h à 00h, tandis que le côté cambodgien reste ouvert de 9h à 00h.
« Cette mesure affecte gravement les travailleurs et commerçants transfrontaliers. Elle nuit aussi à l’économie des deux pays », affirme-t-il, sans plus de commentaires.
En temps normal, entre 200 et 300 Cambodgiens utilisent quotidiennement ce point de passage, principalement pour travailler dans les champs de manioc ou de canne à sucre, ou pour rapporter des produits à revendre. Les marchandises les plus transportées sont le ciment et les produits alimentaires.
Tensions montantes et actes hostiles en Thaïlande
Un officier de police a indiqué que si des centaines de Cambodgiens avaient franchi la frontière à 9h, peu l’ont fait entre 10h00 et 12h00, probablement à cause de la nécessité de revenir rapidement avant la fermeture du poste.
Selon les médias thaïlandais, certains magasins en Thaïlande ont affiché des panneaux interdisant l’entrée aux Cambodgiens, menaçant même de les « blesser s’ils essaient d’entrer ».
Déficit commercial cambodgien face à la Thaïlande
L’ancien Premier ministre Hun Sen, aujourd’hui président du Sénat, a rappelé que le Cambodge avait exporté pour plus de 1,1 milliard de dollars de marchandises vers la Thaïlande en 2024, tandis que les importations thaïlandaises s’élevaient à 5,2 milliards, creusant un déficit commercial de plus de 4,1 milliards de dollars.
Rien qu’au cours des cinq premiers mois de l’année, le Cambodge a exporté plus de 200 millions de dollars vers la Thaïlande, contre environ 1,5 milliard d’importations.
Déploiements militaires et discussions à venir
Le 8 juin, les forces armées cambodgiennes et thaïlandaises se sont rencontrées et ont convenu de repositionner leurs troupes dans des zones appropriées afin d’atténuer les tensions à la frontière.
Un communiqué du ministère cambodgien de la Défense, publié le 9 juin, précise que les troupes cambodgiennes n’ont pas été retirées des territoires relevant de la souveraineté nationale.
Selon le ministère, les préparatifs militaires cambodgiens — stationnement, déploiement, ajustement et mobilisation des forces — relèvent de leur juridiction légitime pour la défense de l’intégrité territoriale du pays.
Une réunion du Comité mixte de délimitation des frontières (JBC), instance chargée des litiges frontaliers, est prévue le 14 juin à Phnom Penh.
Par Sovann Sreypich & Khy Sovuthy – CamboJA News / Lepetitjournal.com – 11 juin 2025
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