Ce village fût un temps l’endroit le plus secret du monde. Puis la CIA l’a délaissé
Dans les années 1960 et 1970, les Américains ont investi un village du Laos, Long Tieng, pour y coordonner, en secret, les forces anti-communistes de la guerre civile. En cinquante ans, l’espace a changé mais les stigmates subsistent.
Les guerres laissent des traces. Dans les esprits, dans les corps, mais aussi dans le paysage. Au Laos, dans la petite ville de Long Tieng, à quelque 130 kilomètres au nord-est de la capitale Vientiane, une poignée de villageois compte sur la terre et ses fruits pour vivre. Pour s’amuser, les enfants vont souvent jouer sur la longue route de goudron qui coupe la ville en deux. Il y a cinquante ans, cette voie était une piste d’atterrissage. Durant la guerre civile, entre 1959 et 1975, des avions américains y défilaient chaque jour par centaines. Long Tieng était le repère de la CIA.
Un journaliste de CNN est allé à Long Tieng pour constater ce qu’il restait de la présence américaine et de cette époque de secret et de violence, cinquante ans plus tard. Dès les années 1950, les États-Unis ont investi l’Asie du Sud-Est dans le cadre de leur guerre contre le communisme. Si les soldats américains étaient présents au Vietnam, ils se sont aussi impliqués dans la guerre du Laos, de manière beaucoup plus discrète.
User de la CIA pour être indirectement impliqué dans le conflit au Laos
Au Laos, les forces communistes du Pathet Lao, soutenues par l’armée du Nord-Vietnam, se battaient contre l’armée anti-communiste hmong, soutenue par Washington. Alors que la guerre du Vietnam faisait rage au même moment, les États-Unis avaient interdiction d’apporter une aide directe aux Hmong. Pas question donc d’y envoyer des soldats sous uniforme. En revanche, l’agence de renseignements extérieurs, la CIA, a eu toute sa place dans le conflit.
Qui dit CIA dit secret. Et c’est justement pour garder le secret que l’agence a fait de Long Tieng son quartier général. Le village avait beau faire décoller et atterrir près de 900 avions par jour sur sa piste – notamment pour transporter des munitions et des rations alimentaires – certains n’ont appris l’existence de cette base arrière qu’après la fin de la guerre. Il faut dire qu’atteindre Long Tieng n’est pas une partie de plaisir. Pour parcourir les 130 kilomètres qui séparent le village de l’aéroport, il faut compter plus de huit heures de voiture. Les obstacles sur la route sont nombreux.
Long Tieng, un village miné
On estime que 30 % des bombes lâchées sur le Laos pendant la guerre civile par les Américains n’ont pas explosé. Venir à Long Tieng, quitter le village et même s’éloigner des sentiers battus en son sein est donc très dangereux. L’ancienne piste d’atterrissage est l’un des seuls endroits où les habitants sont sûrs de ne pas tomber sur une bombe.
La maison du général Vang Pao, qui dirigeait l’armée hmong, est également hors de portée. Perchée en haut d’une colline, elle permet une belle vue sur le village. Mais il n’y a rien de particulier à y voir. Le lieu a été vidé de ses objets. Malgré l’incongruité de cet ancien repaire secret de la CIA, cela explique peut-être pourquoi seuls une quarantaine de touristes s’y déplacent chaque année.
Par Lola Breton – Géo Magasine – 11 juin 2025
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