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Raoul Jennar : « Le Cambodge veut rester l’ami de tous, l’ennemi de personne »

Politiste belge et fin connaisseur du Cambodge, Raoul Marc Jennar publie un ouvrage de référence : « La politique étrangère du royaume, de 1945 à 2020. » Un travail de 434 pages nourri de six années de recherche et d’archives internationales. Nous l’avons rencontré.

Raoul Marc Jennar est docteur en sciences politiques et en études khmères. Diplômé des universités belges et françaises, il est titulaire d’un doctorat de l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) à Paris, pour une thèse consacrée aux frontières du Cambodge contemporain. Spécialiste reconnu de ce pays, il a été consultant pour l’Autorité provisoire des Nations unies au Cambodge (APRONUC), pour l’ONG Enfants du Mékong, puis pour l’Union européenne. Il a également servi comme expert des Nations unies auprès du tribunal chargé de juger les anciens dirigeants du régime khmer rouge. Il a été conseiller du gouvernement cambodgien en matière de politique étrangère. Installé au Cambodge depuis de nombreuses années, où il enseigne l’histoire et la politique étrangère à l’Institut national de la diplomatie et des relations internationales, il est l’auteur de plusieurs ouvrages et de nombreux articles sur le royaume.

Une mémoire diplomatique à reconstruire

Quand nous lui demandons pourquoi avoir écrit ce livre, il répond : « Lorsque j’ai été nommé conseiller diplomatique du ministre cambodgien des Affaires étrangères en 2016, j’ai constaté que même dans ce ministère, l’histoire diplomatique du pays était largement méconnue ». Ce constat, a conduit à la création de l’Institut national de la diplomatie et des relations internationales, où il enseigne depuis. « Ignorer le contenu de la Conférence de Genève de 1954, ne pas connaître la signification de Bandung, le rôle constant de la Chine, les péripéties des relations avec les USA et leurs alliés dans la région, c’est manquer des références essentielles pour comprendre la vie internationale aujourd’hui. On ne peut pas être diplomate sans connaître l’histoire de sa politique étrangère », insiste-t-il.

Une constante : la neutralité

Dès l’indépendance, en 1953, le Cambodge s’est voulu neutre et non aligné. Une volonté forte, portée par Norodom Sihanouk, mais contrariée par les réalités géopolitiques : la guerre froide, les ambitions territoriales de la Thaïlande et du Sud-Vietnam, et les tensions entre Moscou et Pékin. « Ce ne sont pas les meilleures conditions pour un petit pays qui perd le parapluie d’une puissance protectrice », rappelle Jennar.

Face à l’hostilité américaine, le Cambodge se rapproche de la Chine. « Dès la conférence de Genève de 1954, Chou En-Lai refuse de soutenir les communistes Vietnamiens dans leur demande de diviser le Cambodge ». La Chine, même lorsqu’elle soutiendra le régime de Pol Pot, restera toujours attachée à un Cambodge uni et souverain.

La difficulté de l’équidistance

Selon l’auteur, le royaume est constamment sommé de choisir un camp : « Le Cambodge reçoit plus d’aide de la Chine que des États-Unis, mais aucun Premier ministre n’a jamais dit aux Américains et aux Européens : « Ne venez pas. »

Selon Raoul Jennar, dans les années soixante, Norodom Sihanouk répétait à l’envi que la ligne de démarcation entre les amis et les ennemis du Cambodge ne suit pas la ligne traditionnelle Est-Ouest. Pour les USA, qui n’est pas de leur côté est un ennemi. Or si le Cambodge n’est pas aux côtés des USA, il n’est pas obligatoirement contre eux

 Cette volonté de neutralité a coûté cher. Il rappelle les tentatives américaines de renversement, voire d’assassinat, de Sihanouk, dès les années 1950. Seul Kennedy, selon lui, aurait cru en la neutralité du Cambodge – avant d’être assassiné.

Une politique étrangère marquée par la politique intérieure

« Le Cambodge est un cas particulier où la politique intérieure a un impact exceptionnel sur la politique étrangère », note Raoul Jennar. Coincé entre des voisins puissants et aux passés conflictuels, le pays reste vulnérable. Aujourd’hui encore, la même logique persiste :

« Marcher sur le fil du rasoir, répéter que l’on veut être l’ami de tous et l’ennemi de personne, c’est la posture la plus difficile. »

Une ambition : faire connaître cette histoire aux Cambodgiens

« Ce livre est d’abord destiné aux Cambodgiens francophones », affirme l’auteur. Il souhaite une traduction en khmer, car une très grande majorité de Cambodgiens ignorent leur propre histoire ou sont nourris de récits sans rapport avec la réalité des faits.

« Il n’y a rien dans ce livre qui ne soit sourcé », insiste-t-il, citant les archives du Quai d’Orsay, de la CIA, ou encore de la bibliothèque du Congrès. Il souligne d’ailleurs l’aide précieuse des bibliothécaires américains, qui lui ont permis d’accéder à des documents rares et sensibles, y compris issus des archives de la CIA.

Le livre sera disponible le 28 juin 2025 à la Librairie Carnet d’Asie à l’Institut français à Phnom Penh.

Par Raphaël Ferry – Lepetitjournal.com – 21 juin 2023

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