Se connecter à internet ou téléphoner, la mission impossible des Birmans
« Je ne veux pas être coupée du monde »: dans un pays déchiré par la guerre, les Birmans rivalisent d’ingéniosité pour téléphoner ou se connecter à internet, dans un jeu du chat et de la souris avec la junte.
Quatre ans d’affrontements entre les généraux et leur myriade d’adversaires ont ravagé les réseaux de transport et de communication et déplacé des millions de civils, brisant ce territoire grand comme la France en un patchwork de communautés éloignées les unes des autres.
Mais les solutions existent: du système D aux méthodes modernes via satellite, les habitants savent comment déjouer les obstacles techniques ou la répression des autorités.
Hnin Sandar Soe, 20 ans, se rend dans un cybercafé de l’Etat Karen (est) pour lire les informations, étudier et contacter sa famille et ses amis.
« Je ne veux pas être coupée du monde », explique-t-elle. La connexion qu’elle utilise fonctionne par satellite.
« C’est toujours un sentiment chaleureux et réconfortant de rester en contact » avec ses proches, poursuit-elle.
Depuis son indépendance en 1948, la Birmanie a connu de longues périodes de domination militaire qui l’ont isolée du reste de la planète. L’ouverture dans les années 2010, associée à l’essor des réseaux sociaux, a démocratisé l’usage du téléphone portable, dans un contexte inédit de libéralisation de la parole.
En 2010, une carte SIM coûtait 1.000 dollars, et moins de 5% de la population possédait un téléphone portable, a relevé la Banque mondiale. En 2017, ce chiffre est passé à 82%, une grande majorité des Birmans ayant acquis un smartphone, à des prix devenus accessibles.
« Résister »
Le coup d’Etat de 2021 a replongé le pays dans les abîmes numériques.
La junte a interdit des applications, et les combats ont détruit des infrastructures cruciales, provoquant des coupures d’électricité utilisées comme une arme par les deux camps pour prendre le dessus.
Dans l’Etat Rakhine (ouest), où le putsch a intensifié un conflit existant de longue date, une bonne connexion n’est plus qu’un lointain souvenir.
A Ponnagyun, Saw Thein Maung a lancé il y a six mois un service de téléphones publics, après avoir vu des voisins escalader des collines pour capter du réseau.
Aujourd’hui, il gère trois lignes fonctionnant grâce à des antennes posées sur des poteaux de dix mètres de haut. Cette activité peut lui rapporter jusqu’à 20 euros par jour, une petite fortune dans ce contexte.
Ses clients, qui se comptent par centaines, « ne veulent pas s’arrêter de parler avec leurs enfants. Ils s’en fichent de combien ils doivent payer », explique Saw Thein Maung.
Un de ses clients, Tun Lin, 27 ans, s’enquiert auprès de ses proches d’opportunités de travail.
« Passer des coups de fils est la seule solution », explique cet ancien employé d’ONG.
Dans les régions, le manque de connexion affecte l’efficacité des secouristes, de même que l’économie et l’éducation.
Le groupe militant Myanmar Internet Project (MIP) a recensé environ 400 coupures d’internet régionales depuis le putsch dans ce qu’elle compare à un « coup d’Etat numérique ».
Une « insulte qui s’ajoute aux blessures », explique Han, porte-parole du MIP. La population « explore toutes les manières pour résister », poursuit-il.
Starlink et VPN
Dans l’Etat Karen, un café au toit de tôle ondulée rouillée offre une connexion internet à la pointe de la technologie, via le système Starlink – en toute illégalité, le réseau d’accès à internet par satellite, propriété du multimilliardaire Elon Musk, n’ayant pas de licence pour opérer en Birmanie.
Le propriétaire des lieux, Marino, a fait passer clandestinement le matériel à la frontière, dans une zone tenue par des rebelles.
Sans internet, « on peut oublier le monde. On ne sait même pas ce qu’il se passe en Birmanie », explique-t-il. Près de lui, une femme âgée discute sur un téléphone, alors que des jeunes jouent à des jeux en ligne.
Les grandes villes du pays, sous le contrôle de la junte, disposent d’un internet fiable. Mais Facebook, Instagram, X ou WhatsApp, des plateformes que l’opposition a souvent utilisées pour s’organiser, sont interdits.
A Rangoun, les habitants jonglent avec plusieurs réseaux privés virtuels (VPN) gratuits. Mais les forces de sécurité de la junte procèdent maintenant à des contrôles ponctuels pour les détecter.
« Dans notre pays (…) tout est limité. J’ai l’impression que nos droits sont bloqués, que nos droits sont interdits », explique un étudiant de 23 ans, qui a requis l’anonymat, car il utilise des applications interdites.
Mais il ne se laisse pas décourager: « Nous, les jeunes, sommes convaincus que nous surmonterons toutes les restrictions. »
Agence France Presse – 4 juillet 2025
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