Guerre numérique entre la Thaïlande et le Cambodge malgré le cessez-le-feu
Un cessez-le-feu a stoppé les tirs, mais pas les fake news : images truquées, hashtags nationalistes et désinformation agitent les réseaux cambodgiens et thaïlandais.
Depuis le cessez-le-feu du 28 juillet conclu en Malaisie, les affrontements armés ont cessé. Mais en ligne, la guerre de l’information fait rage. Des hashtags nationalistes, des images créées par IA et des photos détournées circulent en masse sur les réseaux sociaux cambodgiens et thaïlandais.
Accusations croisées de propagande
Les deux gouvernements s’accusent de manipuler l’opinion. Le Premier ministre thaïlandais par intérim, Phumtham Wechayachai, appelle les citoyens à ignorer ces messages trompeurs et à se fier uniquement aux sources officielles.
De son côté, le ministère cambodgien de la Défense accuse Bangkok d’orchestrer une campagne de désinformation. Sa porte-parole, Maly Socheata, affirme que la Thaïlande « ne veut pas que la vérité atteigne le peuple ».
Les autorités des deux pays mettent en garde contre les discours haineux et les fausses informations. Sans grand effet : même certains responsables cambodgiens ont partagé des contenus démentis par la suite.
Les réseaux sociaux, nouveau terrain de combat
Les plateformes numériques sont devenues un prolongement du conflit. Entre contenus alignés sur les récits officiels et images falsifiées, les publications cherchent à capter l’attention, dans un contexte de liberté de la presse limitée. Des voix indépendantes appellent à un traitement médiatique responsable.
Selon Ngeth Moses, analyste en cybersécurité à Phnom Penh, la désinformation devient même une opportunité financière : « Les réseaux sociaux sont l’univers de la génération Z. Elle sait comment créer des tendances. »
Il explique que des jeunes Cambodgiens et Thaïlandais ont formé des groupes MMO (Making Money Online) pour produire et monétiser des contenus non vérifiés via les systèmes de récompense des plateformes.
Vidéos détournées et fausses images
Le 24 juillet, au début des nouveaux affrontements, une vidéo affirmant qu’un F-16 thaïlandais avait été abattu par l’armée cambodgienne a circulé, vue plus de 255 000 fois. Le collectif Lead Stories a montré qu’il s’agissait d’un avion russe abattu en Ukraine, filmé en juin.
La Thaïlande a bien utilisé des F-16 dans les frappes aériennes. Mais peu avant le cessez-le-feu, une autre image est devenue virale au Cambodge : un avion larguant des produits chimiques pour lutter contre les incendies, présenté à tort comme une attaque chimique thaïlandaise.
Certaines de ces images étaient générées par IA, selon la newsletter Kouprey. D’autres venaient des incendies de 2025 à Los Angeles, comme l’a confirmé l’AFP. Une photo montrant une « fumée toxique thaïlandaise », en réalité issue de ces incendies, a été repartagée par un haut responsable cambodgien, puis supprimée. Une autre image suspecte montrant un F-16 libérant de la fumée a été relayée par un cadre du ministère de l’Économie et des Finances.
Armes controversées : les enquêtes commencent
L’usage d’armes chimiques par la Thaïlande n’a pas été prouvé. En revanche, le Cambodge accuse Bangkok d’avoir utilisé des bombes à sous-munitions, souvent considérées comme illégales au regard du droit international humanitaire. Une ONG internationale a lancé une enquête.
La Thaïlande a d’abord démenti, avant qu’un porte-parole militaire ne reconnaisse que ce type d’arme « peut être utilisé si nécessaire », provoquant des critiques de plusieurs ONG. Ni la Thaïlande ni le Cambodge n’ont signé la Convention sur les armes à sous-munitions, mais ils sont soumis aux règles des Conventions de Genève.
Fortify Rights et Human Rights Watch accusent les deux pays de possibles violations du droit humanitaire pendant les cinq jours de combats, qui ont fait au moins 43 morts et déplacé plus de 300 000 personnes.
Hashtags en guerre
Les récits nationalistes inondent les réseaux. Côté cambodgien, on voit les hashtags #JusticeForCambodia et #CambodiaSelfDefend. Côté thaïlandais, #CambodiaOpenedFire est le plus courant, encouragé par l’armée thaïlandaise, aux côtés de #CambodiaShootsFirst ou encore #ThailandLovesPeaceButWhenItComesToWarWeAreNotCowardly.
Des centaines de milliers d’internautes utilisent ces hashtags.
Depuis la mort d’un soldat cambodgien en mai, chaque nouvelle confrontation relance les accusations mutuelles sur qui a tiré le premier.
Migrants cambodgiens agressés en Thaïlande
Un journaliste thaïlandais interrogé par Nikkei Asia alerte sur une tendance inquiétante : certains messages appellent à « rayer le Cambodge de la carte ». Il note que certains médias locaux renforcent ces tensions en diffusant des contenus très émotionnels.
Ces discours auraient contribué à des violences contre des migrants cambodgiens en Thaïlande. L’ONG Central a recensé entre 15 et 20 cas d’agressions depuis le 25 juillet.
Meta, maison mère de Facebook et Instagram, est de nouveau critiquée pour sa gestion des discours haineux, comme ce fut le cas pendant les violences contre les Rohingyas en Birmanie. Elle n’a pas répondu aux questions de CamboJA News.
« Là où l’éducation numérique est faible, il est difficile de distinguer le vrai du faux », explique Moses. « Avec la colère et la haine en ligne, même les sources fiables ne le sont plus aux yeux de beaucoup. »
Appel à l’éthique des journalistes
Devant cette dérive, des médias et ONG cambodgiens, thaïlandais et régionaux tirent la sonnette d’alarme. Seize organisations, dont CamboJA, Prachatai et le Cambodian Center for Independent Media, ont publié un appel commun vendredi.
« Nous appelons tous les journalistes – professionnels ou citoyens, cambodgiens ou thaïlandais – à respecter les codes éthiques internationaux, en particulier dans la couverture des conflits transfrontaliers sensibles. »
« Le journalisme éthique exige rigueur, impartialité et prudence, pour ne pas nourrir les tensions. »
Par Rafael Liebowitz-Thayer – CamboJA New / Lepetitjournal.com – 5 août 2025
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