Soldate transgenre cambodgienne : « Je n’ai jamais regretté de servir mon pays »
À la frontière thaïlandaise, Seng Nhoem, soldate transgenre cambodgienne, raconte cinq jours de combats, la trêve du 28 juillet et son engagement : protéger son pays sans renoncer à qui elle est.
Le matin ressemblait à tant d’autres dans le camp militaire, sous le soleil écrasant des plaines de Thbong Khmum. Lors de l’appel, l’affectation de Seng Nhoem tombe : cap sur Oddar Meanchey, au nord-ouest du Cambodge, placé en alerte maximale après la montée des tensions frontalières avec la Thaïlande. Un soldat cambodgien a déjà perdu la vie en mai et l’escalade menace.
Nhoem et ses camarades empaquettent casques, fusils, uniformes et quelques effets personnels. « On ne sait jamais quand on reverra la maison », confie-t-elle. Le trajet vers le nord se fait dans le silence, juste troublé par le grondement lointain des nuages de mousson et les changements de vitesse du camion.
Cinq jours sous le feu à Ta Krabei
Son poste : le temple de Ta Krabei, à deux pas du temple disputé de Ta Moan Thom. Le décor est splendide, mais la moindre erreur peut être fatale. Deux mois après son arrivée, les combats éclatent en plusieurs points de la frontière : l’artillerie tonne au loin, des drones bourdonnent, la fumée monte sous un ciel déjà plombé.
Réserviste de combat, Nhoem se tient juste derrière la ligne de front, prête à avancer lorsque les affrontements s’intensifient. « Je suis restée forte, je ne me suis jamais dérobée. À Ta Krabei, nous étions prêts à soutenir la première ligne à tout moment — même quand certains d’entre nous étaient blessés par les frappes ou suffoquaient sous la fumée toxique des munitions thaïlandaises. »
Pendant cinq jours et cinq nuits, elle vit aux limites de l’épuisement, grappillant quelques instants de sommeil agité. Le jour, elle observe les échanges de tirs, soigne les blessés et porte des ravitaillements sous couvert de nuit. « On n’entend pas seulement les explosions », dit-elle. « On les ressent. Elles restent en vous. »
Trêve négociée et inquiétudes persistantes
Un répit survient lorsque la Malaisie, en tant que présidente de l’ASEAN, obtient un cessez-le-feu le 28 juillet, tandis que 13 engagements conjoints sont entérinés le 7 août lors d’une réunion du General Border Committee à Kuala Lumpur — après des pressions du président américain Donald Trump liant les échanges commerciaux à l’arrêt des hostilités. La tension baisse, mais la crainte demeure : des drones continuent de survoler la zone et l’annonce du commandant de la 2e région thaïlandaise, disant vouloir s’emparer du temple de Ta Krabei, nourrit l’inquiétude. « Je pensais seulement à la sécurité du peuple cambodgien », dit-elle. « Je ferai tout pour protéger mon pays et mon peuple. Le sang n’aurait jamais dû être la voie pour résoudre cela. »
Retour au poste et conditions de vie
Quand la situation s’apaise, Nhoem réemballe lentement son matériel, hantée par les visages des blessés et l’odeur de fumée sur ses vêtements. À peine sortie de l’hôpital, elle regagne son poste à Ta Krabei, encore marquée par l’épuisement, les nuits blanches et la perte d’appétit. « Des personnes généreuses *nous ont donné beaucoup de nourriture », sourit-elle, fatiguée. « Mais ce sont surtout des rations sèches et en conserve. Je n’ai pas goûté de plat maison ou de soupe depuis longtemps. »
Trouver un sens au service militaire
Son parcours commence en 1995, à 16 ans. Quatrième d’une fratrie de sept, originaire de Siem Reap, elle devient soutien de famille après le décès de sa mère et le remariage de son père. Avec son aînée, elle subvient aux besoins des siens et décide de servir son pays. Ses fonctions l’emmènent à Thbong Khmum, où elle s’entraîne avec les hommes dans des conditions souvent éprouvantes, loin des siens. « Ma vie a toujours été difficile », dit-elle. « J’envoie de l’argent à ma sœur pour la famille et à mon père âgé. Je ne garde que peu pour moi. Mais je suis fière de mon entraînement et de pouvoir contribuer à la protection de notre souveraineté. »
Être femme trans dans l’armée cambodgienne
Seng Nhoem est l’une des deux femmes transgenres ouvertement visibles dans l’armée cambodgienne, avec la soldate Pen Ron. Toutes deux portent les cheveux longs, s’entraînent et combattent sans exception.
Des précédents à Preah Vihear
Ce n’est pas la première fois que Nhoem fait face au feu. Elle a été stationnée au temple de Preah Vihear lors des affrontements frontaliers de 2008-2011 avec la Thaïlande, même si elle estime cette période moins périlleuse que les derniers combats. Interrogée sur d’éventuels regrets à vivre entre la vie et la mort, sa réponse est nette : « Jamais. Je n’ai jamais regretté de protéger mon pays ni de me sacrifier pour les moyens de subsistance de ma famille. Je vous protégerai tous. »
Message à la jeunesse
Lorsqu’elle évoque l’avenir, sa voix se fait plus douce : « Je veux que les jeunes, surtout au sein de la communauté LGBT+, visent haut et se battent pour ce en quoi ils croient. Regardez-moi : je peux être moi-même et remplir ma mission. Si mon parcours peut inspirer, ne serait-ce qu’un peu, alors cela en vaut la peine. » Pour l’heure, ses rangers foulent encore le sol du temple, son regard balaie l’horizon. Le cessez-le-feu a ramené un calme relatif, mais pour Nhoem, la guerre reste perceptible : dans le bourdonnement sourd des drones, l’odeur de poudre sur l’uniforme, et la conscience que la paix peut être aussi fragile que le vent dans les arbres du sanctuaire.
Par Teng Yalirozy – Cambodianess / Lepetitjournal.com – 20 août 2025
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