Lundi 13 octobre, la Thaïlande commémore encore et toujours Rama IX
S’ils le pouvaient, les Thaïlandais consacreraient chacun des 365 jours de l’année à un souvenir et une commémoration de leur roi adoré Rama IX, disparu il y neuf ans, le lundi 13 octobre 2016. Retour sur son histoire, le regard des Thaïlandais et les analyses des autres, sur un règne pas comme les autres.
Ce lundi 13 octobre 2025, la Thaïlande célèbre le neuvième anniversaire de la disparition de son roi adoré Rama IX. Né Bhumibol Adulyadej le 5 décembre 1927 à Cambridge, Massachusetts, aux États-Unis, il a pris une place à part dans l’Histoire. Il y a Mozart et les autres, les Beatles et les autres, Elisabeth II et les autres. Il y a Rama IX et les autres. Dire qu’il est à l’Asie ce qu’Élisabeth II est à l’Europe est s’approcher de la vérité. L’un a régné 70 ans, 4 mois et 4 jours, de 1946 à 2016. L’autre 70 ans, 7 mois et 2 jours, de 1952 à 2022. Leur règne est passé mais on parle encore d’eux au présent, tant ils ont chacun marqué l’histoire de leur pays et de leur continent, adulés qu’ils sont encore par leurs peuples.
À son retour au pays, il parlait mieux français que thaï
Né aux États-Unis, où son père suivait des études de médecine, Bhumibol suit ensuite sa mère à Lausanne où il vit et étudie de 1933 à 1945. Il devient à tel point francophone que la légende raconte qu’il parlait mieux français que thaï à son retour au pays. Son frère aîné l’a précédé sur le trône, sous le nom de Rama VIII, mais décède d’un accident d’arme à feu, au Palais Royal, dans des circonstances qui font encore débat aujourd’hui. Toujours est-il que son cadet regagne la Thaïlande pour prendre sa succession sous le nom de Rama IX, le 9 juin 1946. Il repart terminer ses études en Suisse et ne sera couronné que le 5 mai 1950, une semaine après son mariage avec la fille de l’ambassadeur de Thaïlande en France. Connu pour porter de grosses lunettes, Bhumibol les doit a un accident de voiture survenu sur la route Genève-Lausanne, au cours duquel il perd l’usage de son œil droit.
Il est un roi qui s’exprime
On pourrait éplucher son règne et dire beaucoup de lui. On est surtout en droit de se demander pourquoi ce roi est devenu une icône. L’exceptionnelle durée de son règne n’est pas seule en cause. La monarchie absolue thaïlandaise est devenue monarchie constitutionnelle (telle qu’on la connaît en Grande-Bretagne) en 1932. Turbulences politiques et coups d’état deviennent alors presque une habitude. Rama IX en entérine certains, en conteste d’autres. Ses prises de parole et de position sont parfois décisives. Il est un roi qui s’exprime, qui défend les plus défavorisés et dénonce les plus corrompus. C’est sûrement un cocktail de tout cela qui lui vaut la dévotion éternelle de son peuple. C’est ce qui fait dire aussi à certains que le culte de la personnalité a été poussé trop loin. Ceux-là remarquent aussi qu’à force de recevoir des offrandes, il est devenu le monarque le plus riche du monde. 20 milliards, peut-être 30 ou 40, près de 50 selon d’autres calculs, sa fortune est colossale.
Lorsqu’il disparaît, le 13 octobre 2016, son peuple est inconsolable. Et malgré tout le respect dû à son fils, devenu l’actuel souverain Rama X, son souvenir demeure bien présent, comme les portraits de lui et de son couple et les dates de sa vie qui rythment le calendrier thaïlandais.
La Thaïlande a perdu son demi-dieu
Le jour de sa mort, sous le titre « Rama IX, «le roi qui ne souriait jamais» », Le Figaro écrivait : « le plus ancien et le plus riche monarque en exercice vient de s’éteindre à 88 ans. Doté d’un sens politique aigu, Bhumibol Adulyadej entretenait son aura mystique auprès du peuple thaïlandais qui le vénérait. Et réprimait durement toute critique adressée au royaume. » En quelques mots, tout était dit. Sauf peut-être ceci : « la Thaïlande a perdu son demi-dieu ». Quelques phrases tirées de sa nécrologie dans le quotidien complètent le portrait posthume.
« L’aura mystique dont le neuvième descendant de la dynastie Chakri était entouré était telle qu’on a peine à croire qu’en 1946, date de son intronisation, prédominait un fort sentiment antimonarchique. «Le règne de Rama IX a restauré sinon sauvé la monarchie en Thaïlande», estime l’universitaire Thitinan Pongsudirak. » »
Un homme de compassion pour les petites gens
« Les Thaïlandais connaissent tous par cœur le conte de fée, relaté dans les innombrables hagiographies. L’histoire du monarque «au cœur blanc, plein de magie et de bonté». De «l’esprit protecteur des Thaïlandais». De «l’artiste qui avait tous les dons». Il peignait, sculptait, photographiait, composait et croulait sous les distinctions, récitent les écoliers en chœur. Il était aussi un «agronome de génie» qui testait lui-même de nouvelles méthodes d’agriculture, transformait la piscine du palais Chitralada en étang de pisciculture et inventait le buffle mécanique ou les pluies artificielles. Enfin, c’était un homme de compassion pour les petites gens. »
« Personnage complexe, le doyen des têtes couronnées et des chefs d’État en exercice était parvenu à incarner le rayonnement du bouddhisme, la pérennité de la culture thaïe, un ordre social équilibré et la grandeur multiséculaire du Siam. Mais une vieille prophétie est dans tous les esprits aujourd’hui : la dynastie des Chakri s’éteindra avec son neuvième souverain. »
Le règne de son successeur Rama X perdure. La vieille prophétie a du plomb dans l’aile.
Le symbole d’unité par excellence
On peut trouver un autre regard sur le roi Rama IX, « le symbole d’unité par excellence », sous la plume de Rose Clermont-Petit, dans un « blogue sur l’Asie du Sud-Est » de l’université de Montréal. Cette analyse date de juin 2017, quelques mois après la mort du souverain.
« La principale explication pour sa grande popularité va au-delà de sa personnalité, explique-t-elle. Elle réside dans le contexte de sa prise de pouvoir et de son règne. En effet, au moment de son accession au trône, le peuple thaïlandais avait besoin d’un symbole d’unité. »
Il est intervenu quelques fois pour ramener l’ordre dans son pays
« Le roi est arrivé au pouvoir dans un contexte de tensions et d’instabilités : « à cette époque, la société thaïlandaise était menacée par le communisme, la Guerre froide, mais aussi par des problèmes internes avec la minorité malaise-musulmane du Sud qui voulait se séparer du pays. En plus de cela, le pays était marqué par des inégalités économiques de plus en plus importantes » (Thananithichot 2011, 260]. Le roi est donc devenu le symbole d’unité dans un pays instable : « durant son règne, il y a eu 19 coups d’État, 22 Premiers ministres et 17 Constitutions » (Boisseau du Rocher 2016) au pays. Il était la seule chose qui ne changeait pas, de là le symbole d’unité. Et malgré ses pouvoirs limités, il est intervenu quelques fois pour ramener l’ordre dans son pays (par exemple, lors de la crise politique de 1992). On ne l’a d’ailleurs jamais accusé pour les difficultés de son pays, il était comme « un phare dans la tempête » (Uz Zaman 2016). Toute la nation a été organisée autour du roi (Thananithichot 2011, 260). D’ailleurs, la fête nationale thaïlandaise est maintenant le jour d’anniversaire de naissance de Rama IX. Cela témoigne de l’importance accordée au roi, mais aussi du lien qu’on fait ainsi entre la nation et le roi. »
L’héritage est grand mais peut-être pas éternel
« On a misé sur le roi pour faire oublier aux gens leur misère et l’instabilité grimpante et on peut dire que c’était un pari réussi. Par contre, maintenant que le roi est décédé, on peut se demander si c’était un pari risqué. En effet, le pays est encore dirigé par la junte militaire et les conflits interethniques et l’instabilité économique sont toujours présents. »
Un certain nombre de choses sont encore vraies quelques années plus tard. Critiquer le roi s’apparente toujours ici à un crime de lèse-majesté particulièrement grave. L’héritage est grand mais certainement imparfait. Et nul ne sait s’il sera éternel.
Par Franck Stepler – Lepetitjournal.com – 11 octobre 2025
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