Les ingérences politiques et économiques de la Chine en Birmanie
Une des plus puissantes factions de Birmanie a accepté la semaine dernière de se retirer d’une région connue pour ses rubis, commerce très lucratif. Un accord négocié par la Chine qui cherche à assurer ses intérêts économiques et sécuritaires et encourage à des élections législatives en Birmanie.
Avec
- Olivier Guillard, chercheur-associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée, directeur de l’information chez Crisis24 et chargé de cours à l’EDHEC
« Les efforts de Pékin pour garantir ses intérêts aggravent la crise politique en Birmanie », annoncent le Washington Post et le média birman The Irrawaddy qui accusent la Chine d’avoir saboté la révolution en soutenant la junte au pouvoir qui fait tant souffrir les civils birmans. Alors que le pays est déchiré par la guerre depuis 2021, avec des partisans prodémocratie et des groupes rebelles ethniques qui contrôlent désormais de vastes régions de la Birmanie et qui espèrent faire chuter la junte, les militaires au pouvoir sont, eux, soutenus par Pékin, affirme le Washington Post.
La Chine, qui partage 2 100 km de frontière avec la Birmanie, a vu plus de 160 attaques affecter ses investissements entre janvier 2024 et mars de cette année, selon les données de Janes, une société de renseignement de défense britannique citée par le Washington Post. Des groupes rebelles birmans ont pris le contrôle de certains projets chinois. En réponse, note le Washington Post, la Chine a promis une aide de plusieurs milliards de dollars à la junte birmane, et les entreprises publiques chinoises contribuent de plus en plus à armer l’armée, selon des groupes de surveillance tels que Le Conseil consultatif spécial pour la Birmanie. « Le président chinois Xi Jinping a rencontré publiquement Min Aung Hlaing [NDLR : le chef de la junte birmane] à deux reprises cette année », rapporte le Washington Post, dans une tentative de renforcer la légitimité de la junte.
Des élections le mois prochain en Birmanie ? Une mascarade. Si la Chine se présente comme une alternative aux Etats-Unis sur la scène internationale et insiste sur sa « politique de non-ingérence » dans la Birmanie voisine, rappelle le Washington Post, Pékin ne cherche qu’à garantir ses intérêts économiques notamment, avec d’immenses mines de terres rares : cette exploitation minière est très polluante – j’en parlais ici même la semaine dernière – et The Irrawaddy accuse la Chine d’être coupable de « contamination à l’arsenic du Mékong et de ses affluents ». Désormais, pour offrir de la stabilité à ses activités, la Chine soutient la tenue d’élections en Birmanie dès le mois prochain : la campagne a déjà commencé, indique The Irrawaddy. Mais ces élections, organisées sous l’égide de l’armée, « ne seront ni libres ni équitables », prévient le Washington Post ; une « mascarade », selon le rapporteur spécial des Nations unies sur la Birmanie.
Entretien avec Olivier Guillard, chercheur associé à l’Institut d’études de géopolitique appliquée.
Pourquoi la Chine pousse-t-elle à la tenue d’élections législatives en Birmanie dès le mois prochain ? Et d’ailleurs, vont-elles se tenir réellement, selon vous ?
Effectivement, ce vote, organisé en deux phases fin décembre et janvier, est un scrutin qui est voulu, d’une manière assez étrange, par la junte militaire. Il a de grandes chances de se tenir, en tout cas sur les deux tiers du pays, alors que ce pays est balafré depuis quatre ans par une violente guerre civile dont on ne voit pas la fin.
Pékin est l’un des rares soutiens extérieurs du régime militaire birman. Et à défaut de faire la promotion de la démocratie, la Chine soutient l’idée défendue par la junte militaire que ce scrutin est nécessaire pour essayer de redorer, quelque peu, une image naturellement ternie du régime militaire qui tente de « se civiliser » sans pour autant baisser les armes.
Quels sont les intérêts de la Chine à vouloir stabiliser ainsi le pouvoir, la junte en Birmanie, voire à « faire capoter la révolution » comme l’accuse notamment le média birman The Irrawaddy ?
Disons que la Chine est un voisin intemporel de la Birmanie, partageant une longue frontière très poreuse. C’est d’ailleurs, encore aujourd’hui, un lieu de trafics et des contrebandes diverses. La Chine a intérêt, malgré tout, à ce que, dans sa stratégie de défense, ses régions frontalières avec ses treize autres pays voisins soient assez solides. Ce n’est pas tout à fait le cas actuellement en Birmanie, puisque la frontière birmano-chinoise est l’objet de d’accrochages frontaliers avec des groupes armés pro-Chine ou anti-Chine d’un côté, pro-junte ou anti-junte de l’autre côté. Cela attise, évidemment, quelques ressentiments de la part de Pékin, qui a d’énormes intérêts stratégiques en Birmanie.
Pékin est le premier investisseur direct étranger dans ce pays et la Birmanie est associée aux « Nouvelles Routes de la soie chinoise ». Pékin a donc tout intérêt à ce que, peu importe le régime – quelle que soit sa couleur, son obédience politique en Birmanie – soit capable de ramener un minimum de stabilité dans ce pays, du point de vue du Pékin en priorité, pour défendre ses intérêts stratégiques.
Parmi les intérêts stratégiques économiques de la Chine, on trouve des entreprises chinoises qui exploitent également des mines de terres rares en Birmanie. Cette industrie minière pollue d’ailleurs en aval le bassin du Mékong avec une contamination à l’arsenic de rivières en Birmanie, en Thaïlande et au Laos, causée par des groupes chinois.
C’est tout à fait vrai. Malheureusement, quand ce n’est pas sur leur territoire national, les groupes industriels chinois présents en Asie du Sud-Est et ailleurs ont des contraintes environnementales extrêmement basses. Ils ont un souci extrêmement minimal pour les conséquences en termes de pollution, de dégradation des écosystèmes et des conséquences sur la vie des populations alentour. C’est également le cas, malheureusement, en Birmanie, où un certain nombre de grands groupes chinois sont impliqués dans de grands projets industriels : l’exploitation des terres rares, effectivement, des complexes miniers, mais également la construction de barrages hydroélectriques et l’exploitation du « développement d’infrastructures » dans des conditions parfois un peu plus minimales de respect de l’environnement.
Tout ceci, visiblement, ne fait pas partie des priorités des autorités chinoises lorsqu’elles décrètent des projets dans ce pays d’Asie du Sud-Est. La Birmanie n’est déjà pas un modèle de respect de l’environnement en soi, à plus forte raison avec ce gouvernement militaire, depuis quatre ans.
Par Catherine Duthu – Radio France Culture – 8 novembre 2025
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