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Pourquoi la Thaïlande a-t-elle renié l’accord de paix avec le Cambodge ?

Chhay Bora, conseiller stratégique et expert en affaires gouvernementales et politiques publiques, nous livre ici son analyse du regain de tensions entre le Cambodge et la Thaïlande.

La décision de la Thaïlande de renier son propre accord de paix avec le Cambodge ne relève ni d’une indignation soudaine, ni d’impératifs sécuritaires. Elle découle d’un calcul politique du Premier ministre Anutin Charnvirakul, qui a privilégié ses ambitions internes au détriment de la stabilité régionale. Cette volte-face illustre la fragilité du processus diplomatique au sein de l’ASEAN dès lors qu’il se heurte aux enjeux de politique intérieure.

Une participation hésitante au sommet de Kuala Lumpur

Dans les semaines précédant la signature de l’accord de paix de Kuala Lumpur, le 26 octobre, Anutin a continuellement évité de s’y rendre, changeant plusieurs fois ses explications à l’approche du sommet. Organisée en marge de la réunion de l’ASEAN, la rencontre avait été facilitée par le président américain Donald Trump et par le président en exercice de l’ASEAN, Anwar Ibrahim.

Avant même l’ouverture des négociations, Anutin avait informé Donald Trump que Bangkok ne bougerait pas d’un iota tant que Phnom Penh n’aurait pas accepté ses conditions. Il avait également exprimé sa réticence à l’idée d’une médiation américaine, présentant la Thaïlande comme un pays refusant toute influence extérieure. Pourtant, sa résistance a fini par céder, et l’accord a été signé en présence de Trump et d’Anwar.

L’explosion d’une mine comme prétexte

Le 11 novembre, l’explosion d’une mine dans la province de Sisaket a blessé quatre soldats thaïlandais, dont l’un a perdu un pied. L’armée et le ministère thaïlandais des Affaires étrangères ont alors accusé le Cambodge d’avoir posé de nouveaux engins en violation de la trêve. Phnom Penh a catégoriquement rejeté ces accusations, les qualifiant d’infondées.

Anutin a rapidement saisi cette opportunité pour annuler unilatéralement l’accord de paix négocié sous l’égide de Trump. Le geste envoyait un message clair : la Thaïlande refusait de se sentir liée par un accord obtenu sous pression internationale.

Un coup porté à l’ASEAN

Au sein de l’ASEAN, le signal a été immédiat. La Thaïlande entendait dicter seule le tempo et les termes d’une éventuelle normalisation avec le Cambodge. La décision d’Anutin a mis en lumière la réticence de Bangkok à accepter des pressions multilatérales dans la gestion de son différend frontalier.

Pour le Cambodge, cette volte-face a rappelé la marge de manœuvre considérable de la Thaïlande et la fragilité des accords conclus sous contrainte politique. Elle constitue toutefois une possibilité pour Phnom Penh de recalibrer sa stratégie avec davantage de patience et de clarté.

Des motivations avant tout nationales

Au-delà des enjeux régionaux, le choix d’Anutin répond principalement aux tensions internes de la Thaïlande : inondations sévères, difficultés économiques et climat politique crispé, alors que le Bhumjaithai (1) se trouve en concurrence directe avec Pheu Thai et Move Forward.

Rompre l’accord a permis au Premier ministre de projeter une image d’autorité à un moment de forte anxiété nationale. Même si cette décision risque de détériorer les relations avec Washington et de fragiliser la diplomatie régionale, elle a fourni à Anutin une plateforme pour se présenter comme un dirigeant fort.

Un pari politique à l’approche des élections de 2026

À mesure que les élections générales de 2026 approchent, le Bhumjaithai cherche à consolider sa base électorale, fragilisée par l’influence persistante de Pheu Thai (2)  et la montée continue de Move Forward (3). Les médias thaïlandais rapportent régulièrement des recompositions d’alliances et des tensions partisanes, signe de la compétition féroce qui se joue.

Dans ce contexte, les stratèges du Bhumjaithai ont misé sur un ressort politique éprouvé : le nationalisme, qui conserve un fort écho dans les zones rurales.

« La controverse a galvanisé les partis désireux de s’afficher comme les défenseurs de la fierté nationale », ont souligné plusieurs commentateurs.

Le retour au discours souverainiste

Le Bhumjaithai s’appuie depuis longtemps sur ses réseaux locaux, ses programmes de développement et ses relais dans les provinces, son principal bastion loin de la capitale. En déchirant publiquement l’accord de paix parrainé par Trump, Anutin a consolidé son image de gardien de la souveraineté thaïlandaise.

Ce geste a permis de désamorcer les critiques nationalistes et de redynamiser les électeurs ruraux hostiles aux ingérences étrangères. Il s’inscrit parfaitement dans la stratégie populiste du parti : apparaître comme un défenseur de l’autonomie nationale, même au prix d’un refroidissement diplomatique et d’un affaiblissement de la confiance du Cambodge.


notes :

1 : Le Bhumjaithai Party (Parti de la fierté thaïe) est un parti politique conservateur et populiste fondé en 2008 en Thaïlande, qui prône un mélange d’idéaux monarchistes, de libéralisme économique et de mesures sociales orientées vers les classes populaires.

2 Le Pheu Thai Party est un parti politique thaïlandais fondé en 2007, issu de l’héritage du Thai Rak Thai Party et associé à la famille Thaksin Shinawatra.

3 Le Move Forward Party  est un parti de centre-gauche progressiste, fondé en 2014 puis renommé en 2020, qui milite notamment pour la réforme de la loi de lèse-majesté, l’ancrage démocratique et la réduction de l’influence militaire

Par Chhay Bora – Cambodianess / Lepetitjournal.com – 14 novembre 2025

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