Thaksin Shinawatra, la fin de l’influence ?
« Lundi noir » pour Thaksin Shinawatra que ce 17 novembre 2025, l’ancien Premier ministre a subi une double défaite judiciaire, un appel au titre de l’article 112 et un redressement fiscal de 17,6 milliards de bahts (environ 500 millions d’euros).
Première défaite, le procureur général fait appel de l’acquittement de Thaksin pour lèse-majesté
Le bureau du procureur général, Ittiporn Kaewthip, a ordonné aux procureurs de faire appel de l’acquittement de l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra dans son affaire de lèse-majesté. Thaksin avait été inculpé au titre de l’article 112 du code pénal pour des propos tenus en 2015 lors d’une interview au journal Chosun Ilbo à Séoul, jugés offensants envers la monarchie. Thaksin y accusait les conseillers privés du roi d’avoir soutenu le coup d’État de 2014 qui avait renversé sa sœur Yingluck, alors cheffe du gouvernement. En août dernier, le tribunal correctionnel avait rejeté les charges contre Thaksin, estimant que ses dires n’impliquaient pas l’institution royale.
Un comité d’examen des affaires de lèse-majesté a précédemment voté par 8 voix contre 2 contre l’appel, mais l’infraction présumée ayant eu lieu à l’étranger, il revenait au procureur général de suivre ou non cette recommandation. Le nouveau procureur général, Ittiporn Kaewthip, avait jusqu’au 22 novembre pour déposer un deuxième appel, l’ancien ne s’étant pas prononcé sur la question avant d’être à la retraite fin septembre. Cette nouvelle directive du procureur général annule donc cette recommandation et ordonne au parquet de poursuivre la procédure d’appel.
Deuxième défaite, Thaksin devra s’acquitter d’un arriéré de 17,6 milliards de bahts d’impôts
La Cour suprême a rétabli lundi une évaluation fiscale ordonnant au Département des recettes de recouvrer 17,6 milliards de bahts auprès de Thaksin au titre de la vente en 2006 d’actions de Shin Corporation. La Cour d’appel des affaires spécialisées avait déjà annulé le redressement en 2023, invoquant des vices de procédure. Thaksin avait obtenu gain de cause devant les deux juridictions inférieures avant que le ministère des Finances ne se pourvoit devant la Cour suprême. Cette décision judiciaire est un incontournable coup au porte-monnaie de Thaksin. Bien connu pour être le bailleur de fonds des candidats du Pheu Thai, notamment dans sa région du Nord-Est, longtemps acquise à sa cause. Cela va-t-il provoquer l’exil de potentiels candidats vers d’autres partis concurrents, tels le Bumjaithai ou le Kla Tham, prêts à sauter sur l’occasion ?
Des décisions judiciaires aux conséquences politiques dans le contexte électoral à venir ?
Le lanceur d’alerte Chuwit Kamolvisit, ancien politicien et ancien « roi des salons de massages à Bangkok », a accusé la justice thaïlandaise d’empêcher délibérément la libération de Thaksin, aujourd’hui en prison, avant les élections générales, prévues fin mars. Chuwit a déclaré que Thaksin, condamné à un an de prison, « serait normalement admissible à une libération conditionnelle spéciale après avoir purgé un tiers de sa peine (environ 4 mois) selon les procédures standard pour les détenus de plus de 70 ans », qui nécessitent un examen par un comité et l’approbation du ministre de la Justice. En interjetant appel, le procureur général bloquerait toute possibilité de libération anticipée, les procédures judiciaires en cours rendant les détenus inéligibles à la libération conditionnelle. Chuwit a dénoncé « une manœuvre du pouvoir en place pour empêcher Thaksin de sortir avant les élections ».
Face à ces accusations, comment réagit le pouvoir en place ?
48 heures après les deux revers juridiques essuyés par Thaksin, et conscient que les observateurs pouvaient y voir une manipulation, le Premier ministre Anutin Charnvirakul a déclaré ce mercredi 19 novembre avoir signé la dernière demande de grâce royale de Thaksin Shinawatra, qui a été transmise à la famille royale pour examen. Qui pourrait lui accorder une libération anticipée de la prison. Mais Anutin n’a aucunement commenté les deux défaites judiciaires du patriarche Shinawatra de lundi.
Quels effets pour le Pheu Thai ?
Quatre mois nous séparent des élections générales. Il est difficile de prévoir dans quelles proportions le Pheu Thai souffrira du déclin de l’influence de Thaksin. Un Pheu Thai à 50 députés ? 100 députés ? Toujours est-il que le souhait de 200 députés, émis en octobre lors du congrès du parti, semble assez irréaliste. La réconciliation théâtralisée de Thaksin avec les élites militaro-royalistes d’août 2023 n’aura pas duré. Le « deal » n’était que provisoire, effacer Pita et former un gouvernement de coalition avec les conservateurs. La domination de la vie politique thaïlandaise par le Pheu Thai est désormais terminée. Au mieux, il sera considéré comme une force de soutien si besoin.
Par Philippe Bergues – Gavroche-thailande.com – 20 novembre 2025
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