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En Thaïlande, la Cour Constitutionnelle recadre le principal parti d’opposition

La plus haute juridiction de ce pays d’Asie du Sud-Est ordonne au parti prodémocratie Move Forward d’abandonner sa réforme du crime de lèse-majesté, une semaine après avoir acquitté son ancien leader Pita dans une autre affaire.

Une salle, deux ambiances. Mercredi 31 janvier, la Cour Constitutionnelle thaïlandaise a jugé que le parti d’opposition Move Forward Party (MFP) a violé la Constitution du pays, avec sa promesse d’amender la loi sur le crime de lèse-majesté, une semaine seulement après avoir rendu un jugement favorable à son leader, Pita Limjaroenrat (dit Pita). Par cette décision, le mouvement politique sorti vainqueur des élections l’an passé doit « abandonner immédiatement » cette proposition de son programme.

La Cour a estimé que défendre une telle réforme « équivaut à renverser la forme démocratique du gouvernement avec le roi comme chef d’État. » Move Forward échappe donc à la dissolution, un des leviers souvent utilisés par le passé par la plus haute instance juridique de Thaïlande. Mais le principal parti d’opposition doit revoir sa copie sur sa réforme du crime de lèse-majesté, pourtant populaire auprès de la population thaïlandaise.

Cette décision intervient une semaine après un autre jugement, rendu par la même Cour Constitutionnelle, dans une affaire impliquant l’ex-leader du MFP, Pita Limjaroenrat. Finalement acquitté, l’homme politique a pu récupérer son siège à la Chambre des Représentants de Thaïlande. S’il a gagné en survie politique, elle est encadrée, car son mouvement se voit fragiliser par ce revers infligé par cette même instance. « La Cour adopte souvent une approche plus conservatrice lorsqu’il s’agit d’une affaire concernant la monarchie », analyse Munin Pongspan, juriste thaïlandais et professeur de droit à l’université de Thammasat à Bangkok.

Une guerre du droit

Cette décision de la Cour Constitutionnelle s’inscrit dans une stratégie de « law fare », ou « guerre du droit », en français. Le régime thaïlandais « neutralise ses opposants politiques par des procédures judiciaires multiples et longues », explique Eugénie Mérieau, spécialiste de la Thaïlande et autrice de l’ouvrage La Dictature, une antithèse de la démocratie ? (Cavalier Bleu Eds, éd. 2024). Avec le droit comme arme politique, « les élites traditionnelles, l’armée et la monarchie vont maintenir une forme de pluralisme politique en domestiquant l’opposition », développe l’experte ,qui fait le parallèle avec la situation qui prévaut aujourd’hui à Singapour.

La Section 112 du Code Criminel thaïlandais, plus connue sous le nom de crime de lèse-majesté, établit que toute personne qui « diffame, insulte ou menace le roi, la reine, l’héritier présomptif ou le régent » risque entre 3 et 15 ans de prison pour chaque critique. Mais à l’instar d’autres monarchies, « cette disposition sert souvent d’alibi pour empêcher les forces d’opposition de s’exprimer », constate Sophie Boisseau du Rocher, spécialiste de l’Asie du Sud-Est à l’IFRI. Elle poursuit : « On ne transige pas avec la monarchie. Et ce n’est pas la première fois que cela arrive : quatre partis ont été dissous depuis 2014 »

En 2020, la Cour Constitutionnelle a retenu ce chef d’accusation pour dissoudre le Future Forward Party (FFP), ancêtre politique du MFP, et pour emprisonner ses dirigeants. Ce mois-ci, un tribunal local a condamné en appel un militant prodémocratie à une peine record de 50 ans de prison pour ce même crime de lèse-majesté, après avoir tenu des propos jugés insultants à l’égard de la monarchie.

Au total, 262 individus ont été inculpés pour ce motif entre juillet 2020, date de début des manifestations estudiantines contre la dissolution du FFP, et décembre 2023, selon les chiffres de TLHR, une organisation thaïlandaise de défense des droits humains. D’où les critiques qui montent aussi bien dans l’opposition que dans la société civile thaïlandaise contre « le 112 », comme il est communément surnommé en Thaïlande. Eugénie Mérieau estime qu’aujourd’hui « l’immense majorité de la population n’est plus du tout en phase avec ce modèle de démocratie à la Thaï ». Elle ajoute : « Ce n’est qu’une question de temps, avant que d’autres partis politiques ne se saisissent de la question du crime de lèse-majesté. »

« Pita Premier Ministre »

Le Move Forward s’était déjà emparé du sujet et a fait de cette réforme la mesure phare de son programme lors de la campagne des élections législatives l’an passé. Sorti victorieux de ce scrutin, le parti avait obtenu 151 sièges à la Chambre basse du parlement thaïlandais mais son leader, Pita, avait échoué à devenir Premier Ministre à cause de l’opposition des sénateurs à la botte de l’armée. La tâche de former le gouvernement est donc revenue au candidat du Pheu Atai, parti pro-régime arrivé en seconde position. Depuis, l’effervescence des élections dans la population est retombée, la perspective d’un changement aussi, tandis que les ennuis judiciaires se sont accumulés pour Pita.

La Commission Électorale reprochait à Pita de détenir des parts dans la chaîne de télévision thaïlandaise iTV, en contradiction avec la loi électorale en vigueur dans le pays. En l’attente du jugement, la Cour avait suspendu en juillet 2023 son siège de député et Pita a été contraint de quitter la direction de son parti. L’accusé s’était défendu, expliquant que sa participation dans ITV, héritée à la mort de son père, s’élevait à seulement 0,0035% dans une chaîne n’émettant plus depuis 2007. Par huit contre un, les neuf juges de la plus haute juridiction de Thaïlande ont tranché en sa faveur, à la surprise générale. « C’est probablement le résultat d’un calcul politique prudent, observe Munin Pogsapan. Laisser Pita survivre serait plus avantageux pour la stabilité de la politique thaïlandaise et les intérêts de la classe dirigeante. »

L’homme politique a donc retrouvé son siège et sa place de premier plan dans la vie parlementaire thaïlandaise. À sa sortie du tribunal mercredi, une foule de partisans l’avaient accueilli aux cris de « Pita Premier Ministre ». Le leader réformiste affiche toujours une solide popularité avec 39% d’opinions favorables dans un sondage de l’Institut Nida, paru en décembre dernier, contre 22% pour l’actuel Premier Ministre Srettha Thavisin.

Par Garis Gentet – Le Figaro – 31 janvier 2024

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