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Sam Rainsy détaille le projet de canal Funan-Techo

Une analyse de Sam Rainsy, leader de l’opposition cambodgienne en exil.

A QUOI SERVIRA LE CANAL DE FUNAN-TECHO QUE VONT CONSTRUIRE LES CHINOIS AU CAMBODGE ?

Le gouvernement de Phnom Penh mène une intense propagande pour montrer les retombées économiques “mirobolantes” du canal de Funan-Techo qui est destiné à relier, d’ici 2028, Phnom Penh à la mer sans passer par le Vietnam. Gavroche s’est fait prudemment l’écho de cette propagande le 7 mai dernier dans un article intitulé “Le canal de Funan-Techo sera-t-il une poule aux œufs d’or ?“. Mais il y a de quoi être perplexe tellement les données et prévisions avancées sont confuses, incomplètes et contradictoires.

Le “poumon” du Cambodge

En particulier, le port maritime en eau profonde de Sihanoukville n’a pas été mentionné une seule fois dans les études de rentabilité du canal de Funan-Techo. Pourtant ce port construit en 1961 avec l’aide de la France est le “poumon” du Cambodge par lequel transite l’essentiel de son commerce international. Mais ce port est mal géré, son administration est rongée par la corruption, ce qui nuit gravement à sa compétitivité par rapport aux ports des pays voisins. La ligne de chemin de fer construite également avec l’aide de la France dans les années 1960 et qui devait renforcer ce rôle du port de Sihanoukville comme “poumon” du Cambodge, est maintenant pratiquement abandonnée quand il s’agit de commerce extérieur, ce qui témoigne d’une grave négligence et incompétence de la part de Hun Sen en tant qu’homme fort du pays .

Les calculs de rentabilité prévisionnelle du canal de Funan-Techo ne sont pas crédibles car ils sont complètement faussés par l’oubli volontaire des possibilités offertes par le port existant de Sihanoukville s’il était mieux géré avec une ligne de chemin de fer fonctionnant correctement. Il faudrait, à la place de la naïve présentation officielle, calculer des rentabilités concurrentes, complémentaires ou alternatives en tenant compte de toutes les infrastructures et possibilités existantes. Les chiffres “mirobolants” du gouvernement semblent sortir tout droit d’un chapeau magique ou celui d’un fou.

Indépendance par rapport au Vietnam

Mais il faut bien se rendre compte que la raison d’être du canal de Funan-Techo n’est pas d’ordre économique. Hun Sen s’est soudainement mis dans la tête l’idée qu’il faut maintenant doter le Cambodge d’un autre “poumon” sous la forme d’un canal qui va porter son nom (“Techo” est un titre honorifique et distinctif de Hun Sen). Sa principale préoccupation est que ce nouveau “poumon” doit permettre au petit port fluvial de Phnom Penh de ne plus être tributaire du Vietnam qui contrôle les ports situés en aval du Mékong, tout proches de la Mer de Chine du Sud. Cette question d’indépendance commerciale par rapport au Vietnam n’avait pas beaucoup d’importance jusqu’à récemment car le port fluvial de Phnom Penh, depuis la construction du port maritime de Sihanoukville, servait surtout à soutenir le commerce khméro-vietnamien.

Ne pas être tributaire du Vietnam est une toute nouvelle préoccupation de Hun Sen qui a été installé au pouvoir par Hanoï il y a environ 40 ans. Cette nouvelle préoccupation de Hun Sen est le reflet de changements géopolitiques qui ont vu le Cambodge passer tout récemment dans l’orbite chinoise.

Comme la véritable raison d’être du canal de Funan-Techo n’est pas d’ordre économique mais stratégique, il faut absolument le construire “quoiqu’il en coûte”, pour reprendre une terminologie macronienne. Et comme c’est stratégique surtout pour la Chine, ce sera Beijing qui prendra exclusivement tout en main, depuis les études de faisabilité techniques et le financement direct et intégral jusqu’à la gestion au jour le jour pendant 50 ans.

Le Mékong, un fleuve stratégique pour la Chine

Le caractère stratégique pour la Chine du canal de Funan-Techo est évident si l’on regarde la carte ci-jointe. Ce canal fournira à Beijing une voie d’eau d’un seul tenant, c’est-à-dire ininterrompue de la Chine méridionale jusqu’au Golfe de Thaïlande, en passant par le Laos et le Cambodge, mais en évitant le Vietnam qu’il faut contourner du Nord au Sud.

Cette voie d’eau unique s’avèrera très commode pour le transport des marchandises (y compris des armes et munitions) de la Chine jusqu’au Golfe de Thaïlande. Le débouché du canal de Funan-Techo se trouve à quelques encablures seulement de la base militaire chinoise de Ream située également en territoire cambodgien. Pour parfaire cet important tronçon fluvial de la “Nouvelle Route de la Soie” la Chine pourra entreprendre des travaux d’infrastructures (barrages, réservoirs et écluses) pour rendre le Mékong navigable sur toute sa longueur en permettant aux bateaux d’éviter les chutes d’eau sur quelques points du fleuve se trouvant au Laos et au Cambodge (province septentrionale de Stung Treng).

Comme on le voit sur la carte, la route alternative par voie maritime de la Chine jusqu’aux côtes cambodgiennes est beaucoup plus longue que la voie fluviale par le Mékong. Par ailleurs, les navires chinois effectuant le trajet par mer pour certaines missions sont peut-être trop visibles par rapport à des moyens de transport utilisant une voie d’eau à l’intérieur des terres et traversant seulement des pays alliés comme le Laos et le Cambodge. Grâce au canal de Funan-Techo c’est presque le Mékong tout entier, depuis le Tibet jusqu’au Golfe de Thaïlande, qui devient un fleuve stratégique sous le contrôle de la Chine.

Par Sam Rainsy – Gavroche-thailande.com – 10 mai 2024

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