Infos Viêt Nam

France : la justice déboute Tran To Nga, victime de l’«agent orange» pendant la guerre du Vietnam

Print Friendly, PDF & Email

C’est une décision très symbolique : la cour d’appel de Paris a débouté ce jeudi 22 août la plainte de la Franco-Vietnamienne Tran To Nga. Cette femme de 82 ans se bat depuis dix ans contre 14 géants de l’agrochimie, qui ont fourni, pendant la guerre du Vietnam, l’agent orange à l’armée américaine… Tran To Nga est l’une des millions de victimes de cet herbicide ultra-toxique. Déception : la cour d’appel considère que la plainte est « irrecevable ».

C’était une décision très attendue. Ce jeudi 22 août, la Cour d’appel de Paris a jugé « irrecevables » les demandes de Tran To Nga en raison de « l’immunité de juridiction » dont bénéficient les entreprises incriminées, dont les géants Bayer-Monsanto et Dow Chemical, au motif qu’elles agissaient pour le compte des États-Unis pendant ce conflit (1955-1975).

Ces entreprises sont accusées d’avoir fourni l’agent orange, un herbicide ultra-toxique utilisé par l’armée américaine durant la guerre du Vietnam pour détruire les forêts et débusquer les combattants communistes. Exposée à ce produit en 1966, Tran To Nga souffre depuis de graves pathologies, tout comme ses enfants et petits-enfants.

La cour d’appel a confirmé le jugement de première instance rendu en 2021 par le tribunal judiciaire d’Évry, jugeant la plainte irrecevable en raison de l’immunité de juridiction dont bénéficient les entreprises incriminées. Selon la cour, ces sociétés agissaient pour le compte de l’État américain et ne peuvent donc être jugées en France. Les avocats de Tran To Nga, Mes William Bourdon et Bertrand Repolt, ont aussitôt annoncé leur intention de se pourvoir en cassation.

« Madame Nga et nous-mêmes ne sommes pas surpris de cette décision parce que c’était évidemment de l’ordre du possible, mais nous sommes évidemment déçus. La cour d’appel, à notre sens, fait une mauvaise application de la jurisprudence en matière d’immunité, une mauvaise appréciation également des nombreux éléments qu’on lui avait soumis, démontrant que les sociétés avaient une réelle marge de manœuvre, une capacité de décision dans la fabrication de l’agent orange et qu’il devait y avoir ici, au siège, une responsabilité civile pour un procès au fond », a déclaré à RFI Maître Bertrand Repolt.

Alors la cour d’appel a retenu que les sociétés productrices de l’agent orange pouvaient bénéficier de l’immunité de juridiction qui interdit aux juges français de juger l’affaire parce que les sociétés américaines, en produisant et en fournissant l’agent orange, ont agi pour le compte de l’État américain dans le cadre d’un effort de guerre. La cour d’appel a retenu que c’est la souveraineté de l’État américain qui était en jeu dans cette affaire. La cour d’appel a donc décliné aux juges français sa capacité de juger cette affaire. Alors, évidemment, cet arrêt n’est pas le point final de cette procédure. Nous allons former un pourvoi en cassation et continuer cette bataille. La Cour de cassation tranchera dans cette procédure.

Selon Bertrand Repolt, les entreprises connaissaient parfaitement la dangerosité de cet herbicide. Elles auraient donc pu rendre le produit moins nocif, mais ne l’ont pas fait, au nom de leur logique commerciale. L’armée américaine a ainsi pu larguer quelque 80 millions de litres de ce produit chimique sur le Vietnam entre 1961 et 1971.

«Je suis prête à sacrifier encore des années, jusqu’à la fin de ma vie»

Pour Tran To Nga, qui a appris la décision depuis Hô Chi Minh-Ville, cette nouvelle est une grande déception, mais elle reste déterminée à poursuivre son combat. Née en 1942 en Indochine française, elle avait 24 ans lorsqu’elle a été exposée à l’agent orange. Aujourd’hui, elle souffre de maladies chroniques graves, et sa famille est également touchée par diverses pathologies qu’elle attribue au défoliant.

Elle a perdu son premier enfant, décédé à l’âge de 17 mois d’une malformation cardiaque. Elle-même souffre de tuberculoses à répétition, d’un cancer et d’un diabète typique pour l’agent orange. Ses enfants et petits-enfants aussi sont gravement malades. Malgré ses 82 ans, Tran To Nga n’a donc aucune intention de rendre les armes :

« Les criminels n’auront jamais le courage de reconnaître leur crime. Je suis prête à sacrifier encore des années, jusqu’à la fin de ma vie, pour ce combat. C’est par devoir pour ma patrie et pour le monde entier, parce qu’il y a encore dans notre pays des victimes de ce poison qui tue, qui ravage », a-t-elle déclaré à RFI.

Jusqu’à aujourd’hui, seuls des vétérans américains ont été indemnisés. Les fabricants de l’agent orange n’ont jamais rendu de comptes pour avoir intoxiqué des millions de Vietnamiens, mais aussi des Laotiens et des Cambodgiens. Les victimes continueront donc de miser sur la justice française pour obtenir réparation.

« Regrettable » pour Hanoï

Cette affaire, symbolique de la lutte contre l’impunité des multinationales, est suivie de près au Vietnam, où le gouvernement a qualifié la décision de la cour d’appel de « regrettable ». « Nous avons souvent expliqué que, même si la guerre est finie, ses effets sur le pays et le peuple vietnamien se font toujours sentir, y compris à travers les conséquences à long terme de l’agent orange », a déclaré à la presse Pham Thu Hang, porte-parole du ministère vietnamien des Affaires étrangères. L’association Vietnam Dioxine a, pour sa part, évoqué un « déni de justice pour les victimes de l’agent orange » et assuré ne pas baisser « les bras », dans un communiqué.

Radio France Internationale – 22 août 2024

En poursuivant la visite de ce site, vous acceptez l’utilisation de traceurs (cookies) vous permettant juste d'optimiser techniquement votre navigation. Plus d’informations

En poursuivant la visite de ce site, vous acceptez l’utilisation de traceurs (cookies) vous permettant d'optimiser techniquement votre navigation. Aucune information sur votre utilisation de ce site ne sera partagée auprès de quelconques médias sociaux, de sociétés commerciales ou d'agences de publicité et d'analyse. Cliquer sur le bouton "Accepter", équivaut à votre consentement.

Fermer