Un célèbre journaliste connu pour ses enquêtes sur le trafic d’êtres humains arrêté au Cambodge
Connu pour ses reportages sur le trafic d’être humains et pour avoir révélé l’ampleur du business des arnaques en ligne au Cambodge, le journaliste Mech Dara a été arrêté mardi 1er octobre.
Mech Dara risque deux ans de prison pour « incitation aux troubles à l’ordre public », suite à des posts publiés sur les réseaux sociaux qui montraient la dégradation de l’accès à un site religieux. Selon RSF, Amnesty International et plusieurs ONG des droits de l’homme au Cambodge, c’est une manifestation de plus de la « persécution systématique des journalistes » dans le pays et une excuse pour le faire taire.
Connu pour avoir révélé l’ampleur du business des arnaques en ligne qui s’est enraciné dans le sud du Cambodge, le journaliste d’investigation Mech Dara a mis en lumière les coulisses d’une véritable industrie de l’escroquerie en ligne qui rapporterait plus de 12 milliards de dollars par an, soit la moitié du PIB du Cambodge. C’est dire l’échelle de cette économie de l’ombre, dans lequel travaillent, dans des conditions proches de l’esclavage, près de 100 000 personnes, rien qu’à Sihanoukville, selon un rapport du Haut Commissariat aux Droits de l’homme de l’ONU, publié le mois dernier.
Le Cambodge, épicentre des arnaques en ligne en Asie du Sud-Est
Portée par les investissements chinois, cette ville balnéaire de la province Koh Kong, est devenue une enclave de casinos et d’hôtels de luxe, qui, depuis le Covid-19, faute de touristes, se sont restructurés pour accueillir des entreprises criminelles. Dans le sillage de Mech Dara, le New York Times ou le Guardian ont raconté comment cette ville notamment est devenue en quelques années l’épicentre d’un trafic d’êtres humains dont sont victimes des milliers de Chinois, de Thaïlandais, de Vietnamiens ou de Philippins.
Leurrés par de fausses offres d’emploi dans le secteur informatique et des promesses de salaires élevés, ils se font piéger dès leur arrivée au Cambodge : leurs passeports et leurs téléphones confisqués, ils se font enfermer dans des complexes barbelés, où pendant 15 heures par jour, sans salaire ou presque, ils ont pour mission de harponner des internautes dans le monde entier, pour leur soutirer de l’argent, via des arnaques sentimentales, l’achat de faux produits ou des investissements frauduleux en cryptomonnaie. S’ils se rebellent, ils sont battus et torturés. Pour échapper à cet enfer, ils doivent payer une rançon.
Grâce à la médiatisation internationale du travail de Mech Dara qui a reçu un prix aux États-Unis en 2023 et aux pressions exercées par les pays de la région qui se sont impliqués pour sauver leurs ressortissants de ces usines-prisons, le gouvernement cambodgien a fini par admettre en 2022, l’existence de cette économie criminelle, et a promis de s’attaquer à ce fléau. Des descentes de police ont depuis permis de libérer plusieurs milliers de personnes et d’arrêter une centaine d’escrocs. Mais les réseaux se reconstituent ailleurs, et l’épidémie se propage dans les pays voisins tels que la Thaïlande ou la Birmanie.
Mech Dara serait-il devenu gênant ?
Si la lutte contre ces trafiquants est un objectif affiché du Cambodge, un homme n’a pas été inquiété : Ly Yong Phat. Cet homme d’affaires richissime, également sénateur, surnommé « le roi de Koh Kong » a été mis en cause dans plusieurs articles de Mech Dara, qui a montré que plusieurs officines d’arnaques en ligne sont installées dans quatre hôtels en sa possession, et qu’il serait donc impliqué dans le trafic d’être humains et le travail forcé.
Or, Ly Yong Phat est un très proche de l’ex-Premier ministre Hun Sen, qui a gouverné le pays pendant 38 ans avant de transmettre le pouvoir à son fils, Hun Manet l’an dernier.
Par ricochet, ce que met en exergue le travail de Mech Dara est la complaisance du pouvoir vis-à-vis d’un oligarque réputé intouchable, qui bénéficierait toujours d’une certaine impunité, malgré les déclarations de bonnes intentions du gouvernement. Début septembre, le magnat a été mis sur la liste des sanctions par le Département du Trésor américain.
Certains pensent que l’arrestation du journaliste Mech Dara est une mesure de représailles. Le Cambodge se situe à la 151e position sur 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières. Les cas de harcèlement judiciaire envers les journalistes, notamment ceux qui couvrent les abus environnementaux et la déforestation, sont en augmentation.
Par Carlotta Morteo – Radio France Internationale – 3 octobre 2024
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