Infos Birmanie

La poursuite de la guerre dépend de plus en plus de la Chine

A l’été 2024, le gouvernement chinois a proposé au chef de la junte birmane d’établir une coentreprise de sécurité pour protéger les intérêts et les citoyens chinois. 

Depuis quelques semaines déjà, sous-l’égide du général Toe Yi, le vice-ministre de l’Intérieur du Conseil de l’administration de l’État (SAC) les deux parties sont entrées en négociation pour la rédaction d’un accord bilatéral. Du côté de Nay Pyi Taw, de nombreux départements ministériels sont mobilisés. Au tour de la table se sont ainsi assis des représentants de la police, des forces armées, des départements des affaires étrangères, des relations économiques extérieures, de l’immigration ou encore du ministère des Transports et des télécommunications. Manifestement, il ne s’agit pas de définir les contours d’une simple société de sécurité mais bien d’un instrument militarisé.

Pékin veut déployer une entreprise militaire à sa main

Depuis quelques années déjà, la Chine peut s’appuyer en Birmanie sur plusieurs sociétés de sécurité de la République populaire pour protéger ses implantations. Une demi-douzaine dit-on. Elle recourt également à des firmes birmanes constituées par d’anciens responsables de la police et de la Tatmadaw. Mais dans un environnement à la sécurité dégradée, cela ne suffit plus à Pékin.

Désormais, il s’agit de pouvoir s’appuyer sur des hommes en armes et disposant de moyens techniques pour accomplir leurs missions.

On est bien loin de gardes statiques et de surveillances d’emprises industrielles et de chantiers. Les personnels appelés à mettre en œuvre le nouveau mandat auront à n’en pas douter un sérieux bagage soldatesque. Ils seront probablement issus pour nombre d’entre eux des rangs de l’Armée populaire de libération (APL).

Pour se faire, Pékin peut faire appel à l’une de sa vingtaine de sociétés militaires privées (SMP), à moins qu’elle ne décide de s’engager plus frontalement dans un conflit birman qui obère nombre de ses projets pensés au titre des Routes de la Soie (BRI). Rien que dans l’État Rakhine, 9 des 11 projets principaux sont dans des zones contrôlées par l’Armée de l’Arakan. Toutefois, à la différence de leurs homologues américaines, les SMP chinoises n’ont pas eu à accomplir leur rôle sur des théâtres d’affrontements armés de haute intensité (ex. Afghanistan, Irak). Le profil bas adopté jusqu’ici en Afrique pour accompagner plusieurs projets promus dans le cadre BRI ne pourra être de mise en Birmanie car les préoccupations chinoises portent sur des régions (ex. Kachin, Rakhine) où les face-à-face entre la Tatmadaw et ses opposants sont intenses.

Dans un tel cas de figure, les Chinois voudront pour une meilleure garantie de leur sécurité s’en remettre d’abord à leurs hommes. Le recours à une co-entreprise n’est dans ce contexte que fiction. L’appel à de la main d’œuvre locale s’en trouvera réduit et la coordination avec l’appareil de sécurité du SAC d’autant plus important, à défaut de quoi ce sera la souveraineté birmane qui s’en trouvera profondément altérée. Avec ce projet, la Chine joue une partie de son image dans le pays, mais à la vérité bien au-delà car c’est un accord léonin qui est en train de se mettre en place.

Pékin n’a pas (plus) confiance dans la junte pour préserver ses intérêts immédiats

En ayant accepté le principe d’une co-entreprise militaire pour protéger les intérêts chinois, le SAC admet à la face du monde qu’il est incapable de le faire face à court et moyen terme sur une bonne partie du territoire national. Quel aveu de faiblesse ! Il ouvre en outre la voie aux critiques, nationales et étrangères, sur un risque d’offrir aux Chinois des facilités militaires allant bien au-delà de la protection de quelques intérêts entrepreneuriaux mis à mal par les avancées politico-militaires de ceux qui s’opposent au régime instauré par la force en février 2021.

Par ailleurs, une présence pérenne d’(ex) militaires de l’APL sous couvert d’une co-entreprise de facto publique pourrait bien contrevenir à la Constitution de 2008. L’article 42 b de la loi fondamentale précise en effet qu’il « n’est pas permis de déployer des troupes étrangères sur le territoire de l’Union ». En tout état de cause, en proclamant que les discussions portent sur l’importation d’armes et d’équipements « ne contrevenant pas à la souveraineté de la Birmanie », le SAC laisse transparaître qu’il ne s’agit pas de quelques armes légères et de poing mais aussi que ces matériels ne seront pas opérés par des mains birmanes.

Reste à savoir qu’elle sera le mandat de la société militaire et ses lieux d’action !

Rien ne dit, par exemple, qu’elle sera appelée à intervenir dans des régions contrôlées par des groupes ethniques armés. On voit d’ailleurs mal ces derniers accepter un tel opérateur rapportant notamment à une autorité centrale de Nay Pyi Taw. A ce titre, la sécurisation du chantier de la ligne de chemin de fer Muse – Mandalay constitue un défi, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le SAC propose désormais de commencer les travaux à partir de l’ex-capitale royale.

En termes de périmètre géographique d’action, il appert d’ores et déjà que cela pourrait être dans l’État Rakhine et, plus précisément, le township de Kyaukphyu mais pour faire quoi ? Protéger l’accès au port en eau profonde ? La zone économique spéciale ? L’atterrage des canalisations pétrolières et gazières se dirigeant vers la province du Yunnan ?

A ce stade, une chose est sûre : sous l’autorité de l’amiral Kyaw Shwe Tun, le pacha du commandement naval méridional, une équipe conjointe de sécurité a été mise sur pied pour protéger les intérêts chinois du secteur. Aujourd’hui, incontestablement, ceux-ci sont mis à mal par la guerre civile. De nombreux travailleurs chinois ont été évacués du canton ou sont en cours de l’être, la Tatmadaw renforçant localement, autant que possible, ses effectifs.

Par Francois Guilbert – Gavroche-thailande.com – 6 décembre 2024

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