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Vietnam, péril sur les côtes

Le Vietnam voit son littoral rongé par la montée des eaux. Un défi pour ce pays du Sud-Est asiatique qui tente de concilier développement économique et transition écologique.

Elle était juste là. Une plage de sable blanc ombragée par des palmiers, s’étirant sur plus de 100 mètres vers l’eau cristalline de la mer de Chine méridionale. À quelques kilomètres du centre historique de Hoi An, cité-musée touristique inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, Cua Dai était l’une des plages les plus réputées du Vietnam. Une des 100 plus belles du monde. « Était », parce qu’aujourd’hui sa partie sud a disparu. À cet endroit, le long du rivage, les vagues frappent une digue de rochers empilés pour empêcher les flots de poursuivre leur course vers l’intérieur des terres.

Dans la province centrale de Quang Nam, Cua Dai subit depuis une vingtaine d’années les assauts des tempêtes tropicales et la montée du niveau de la mer, avec des vagues et des courants de plus en plus puissants qui creusent le sol, emportent le sable et provoquent des affaissements de terrain. Devant l’hôtel Victoria, l’eau menace de submerger les jardins et la piscine. Le directeur de l’établissement se souvient des vents de force 12 qui ont heurté l’établissement fin 2013.

« On a dû évacuer les clients, raconte Pham Van Dung. On était choqués, on ne s’attendait pas à ce que cela frappe si durement. » Fierté de l’établissement, la plage a commencé à rétrécir et à s’enfoncer. Pour lutter contre l’érosion, les ingénieurs ont planté des bambous. Cela n’a pas suffi. Ils ont posé de longs tubes de filet noir remplis de gravillons un peu plus loin, espérant casser la force des vagues. Insuffisant encore. En 2020, deux tempêtes ont brisé fenêtres, balcons et une partie de la piscine. « On a fini par monter un mur de pierres, explique Pham Van Dung. Mais on reste très inquiets. Une tempête plus forte pourrait tout détruire, on perdrait alors tous notre travail. »

La saison des pluies s’effiloche, et il pleut en cette fin octobre sur Hoi An. Les pieds trempés dans ses sandales, le vice-président de la ville a enfilé une cape sur sa chemisette. Nguyen The Hung a arrêté son scooter au bord de la route du littoral, au nord de l’hôtel Victoria, et il doit hausser la voix pour se faire entendre dans le fracas des vagues qui assiègent le remblai. L’enfant de la ville se souvient : « Il y avait une forêt de filaos ici. Quand j’étais petit, on devait la traverser et marcher longtemps sur les dunes pour aller se baigner. Il y a vingt ans, il y avait encore 500 mètres de végétation. Les changements ont semblé lents au début, on ne s’en rendait pas vraiment compte, reconnaît le quinquagénaire. Mais tout d’un coup il n’y avait presque plus rien, et les vagues s’écrasaient sur la route. »

Avec la hausse des températures et le dérèglement climatique, les événements extrêmes – typhons, inondations, sécheresses – s’intensifient au Vietnam, comme partout dans le monde. Particulièrement fragiles, les pays en développement attendent d’ailleurs de la COP29, qui se déroule à Bakou en Azerbaïdjan jusqu’à vendredi, que les pays développés fixent le montant de l’aide promise pour les aider, entre autres, à prévenir et affronter ces catastrophes.

Des soins d’urgence parcellaires

Pays à revenu intermédiaire, le Vietnam est l’un des plus vulnérables aux événements extrêmes. « C’est à cause de sa localisation dans la zone tropicale et de sa topographie particulière, explique le climatologue Thanh Ngo-Duc, codirecteur du département espace et applications de l’université des sciences et des technologies de Hanoï. Le pays est tributaire de ses côtes, ses montagnes et ses plaines. »

Quelque 3 260 kilomètres de front de mer d’où monte l’humidité de l’océan et d’où arrivent les cyclones; des deltas, comme celui du Mékong, dont la terre est à peine plus élevée que le niveau de la mer; des montagnes au nord et à l’ouest qui bloquent les moussons et peuvent entraîner de très fortes pluies; des fleuves qui dévalent de ces montagnes et peuvent déborder dans les villes À Cua Dai, les autorités provinciales tentent de préserver la côte, qui attire les touristes et fait vivre la population locale.

Répondre localement à l’érosion côtière ne peut résoudre tout le problème !

Nguyen Thuy Anh, responsable du pôle transition écologique des territoires à l’AFD

Dans la partie nord, elles ont installé des brise-lames au large et ont reconstitué 2 kilomètres de plage avec plus de 600000 millions de mètres cubes de sable. Des soins d’urgence indispensables, mais qui restent parcellaires. « Il faut s’orienter vers une approche plus globale et stratégique, remarque Nguyen Thuy Anh, responsable du pôle transition écologique des territoires à l’AFD, l’Agence française de développement, présente depuis trente ans dans le pays. Répondre localement à l’érosion côtière ne peut résoudre tout le problème. Cela peut même entraîner des impacts négatifs ailleurs. Il faut changer d’échelle pour comprendre les raisons du recul de ces plages. »

Et analyser les activités humaines qui accélèrent en effet l’érosion. Construits pour gérer l’eau potable, maîtriser les crues et produire de l’énergie, des barrages sur le fleuve Thu Bon retiennent aussi l’argile, le limon et le sable. Des sédiments qui filaient auparavant à l’embouchure du cours d’eau, se déposaient sur la plage de Cua Dai et la renforçaient. « Pour aider la province à répondre à l’érosion, il faut savoir comment articuler les activités humaines indispensables », précise Nguyen Thuy Anh. C’est tout l’enjeu du travail de l’AFD au Vietnam. Sa banque de développement soutient le pays de 99 millions d’habitants, qui connaît une incroyable croissance économique depuis plus de vingt ans.

État communiste dirigé par un parti unique et autoritaire qui emprisonne les écologistes qui lui font de l’ombre, le pays entend bien maintenir son rythme de croissance à un niveau de 5 à 6 % annuels. Hanoï s’est même engagé lors de la COP26 à Glasgow en Écosse à sortir du charbon en 2040 et atteindre la neutralité carbone en 2050. Une équation complexe. « La difficulté est de concilier les objectifs de croissance économique avec ceux de l’adaptation au changement climatique et de la transition écologique, analyse Hervé Conan, le directeur du bureau du Vietnam de l’AFD. Il faut trouver un équilibre entre le développement économique et la gestion des catastrophes météorologiques. Notre agence intervient auprès des provinces pour les aider à être résilientes aux aléas naturels et leur permettre d’anticiper les risques. »

L’AFD est actuellement mobilisée sur une quinzaine de projets, dont celui de la province de Quang Nam, à qui elle a octroyé un prêt de 35 millions d’euros (par l’intermédiaire de l’État vietnamien) pour financer des études et mettre en œuvre les travaux. Réensablement de 4,5 kilomètres supplémentaires de plage et positionnement de nouveaux brise-lames, mais aussi renforcement de la surveillance du littoral et des politiques publiques dans la gestion des zones côtières, soutien à l’industrie du tourisme avec la création d’emplois…

Dans la province du même nom, la ville de Hoa Binh, carrefour entre les montagnes du nord-ouest et la capitale Hanoï, ne veut pas rater le coche de la croissance. Dans la salle du comité populaire du Parti communiste, l’organe exécutif de cette localité de 150000 habitants, les responsables détaillent leurs ambitions : développement de zones industrielles et attraction des investisseurs, construction d’infrastructures routières, urbanisation de terrains.

En cause : l’intervention humaine

Au bout de la table, la statue de Hô Chi Minh veille. Une petite tasse de thé vert amer est offerte aux visiteurs. « Mais nous rencontrons des difficultés, reconnaît un des responsables. Nous sommes très affectés par le changement climatique. Hoa Binh est une cuvette, il fait de plus en plus chaud l’été. Le réseau d’assainissement peut vite être débordé aussi en cas de fortes pluies, et cela entraîne des inondations. » En 2017, l’eau est montée jusqu’aux genoux. Le temps qu’elle s’évacue, les habitants circulaient en bateau dans les rues. En septembre dernier, elle est montée jusqu’aux chevilles. Cependant, la ville a lancé le projet d’un immense projet de complexe résidentiel avec immeubles, villas, piscines sur des terres agricoles inondables le long de la rivière Noire. Cette vaste étendue de champs est pourtant essentielle pour absorber les inondations.

« Elles sont de plus en plus nombreuses, s’inquiète Nguyen Thuy La, une habitante qui vit à un jet de pierre du futur complexe. Quand il pleut beaucoup, comme il y a quelques semaines, je ne dors plus. J’ai peur que l’eau pénètre à l’intérieur de ma maison. » Installée sur le bord d’un des étangs de Hoa Binh, Nguyen Thuy La gère pour la ville l’ouverture des vannes qui alimentent les rizières d’à côté. La dame élève aussi des poissons. « Mais ils ne grandissent pas bien, beaucoup meurent. À cause de la pollution, je crois », explique-t-elle, les mains dans la vaisselle du jour, dont le liquide savonneux se déverse, comme presque toutes les eaux usées, dans l’étang.

On pense le monde de manière linéaire, avec des allers et retours possibles. La nature ne fonctionne pas comme ça. Marc Goichot, responsable du programme eau du WWF pour l’Asie-Pacifique

La ville projette d’ailleurs de construire une nouvelle station d’épuration pour traiter celles-ci, et de drainer et approfondir les étangs afin qu’ils absorbent plus d’eau en cas d’inondation. Les berges devraient être aménagées pour apporter de la fraîcheur l’été. « Ces projets locaux de gestion urbaine intégrée peuvent devenir un modèle pour d’autres villes », anticipe Vu Canh Toan, consultant chez Iset international. Ce spécialiste des inondations urbaines travaille avec l’AFD, qui a accepté d’accompagner Hoa Binh dans la phase d’études de ses projets. « Le typhon Yagi [qui a déferlé sur le pays en septembre, tuant près de 300 personnes] peut aussi changer les mentalités, ajoute Vu Canh Toan. Il faut que le pays se prépare au pire, il peut arriver à n’importe quel moment. »

« Le Mékong en situation de stress »

C’est le propre des événements extrêmes. Inattendus, ils semblent subits et venus de nulle part. Or ils sont le plus souvent le résultat d’une longue succession d’interventions humaines. « Les phénomènes naturels fonctionnent par seuils, explique Marc Goichot, responsable du programme eau du WWF (Fonds mondial pour la nature) pour l’Asie-Pacifique. Les économistes et beaucoup de planificateurs pensent le monde de manière linéaire, avec des allers et retours possibles. La nature ne fonctionne pas comme ça. Quand on passe un point de rupture, on déclenche un changement radical. » Depuis Hô Chi Minh-Ville, ce spécialiste de l’exploitation du sable fluvial étudie l’impact de son extraction dans le delta du Mékong.

Le delta du Mékong est en situation de stress.

Essentiel pour la construction de bâtiments, de routes et de ponts afin de soutenir la croissance économique, le sable est aussi « l’armure des chenaux du delta », affirme Marc Goichot. « Quand on est assis sur le bord, il est difficile de comprendre ce qui se passe, parce que l’eau est naturellement boueuse et qu’on ne voit rien, poursuit-il, lui qui, en bateau, prend régulièrement des mesures et analyse les fonds. Au cours des vingt dernières années, les deux chenaux principaux du delta ont perdu en moyenne 3 mètres de profondeur. Cela change radicalement l’écosystème, mais aussi l’intrusion saline dans les eaux douces, l’apport du sable sur les côtes et la stabilité des berges. » Résultat, des cultures de riz moins rentables à cause d’une eau d’irrigation salée, des côtes moins protégées des tempêtes et de la montée du niveau de la mer, et des maisons et terrains emportés par des glissements soudains.

« Le delta du Mékong est en situation de stress », insiste Marc Goichot. Or la région abrite 17 millions d’habitants et concentre 56 % de la production de riz du Vietnam, faisant de celui-ci le troisième exportateur de riz au monde, derrière l’Inde et la Thaïlande. Pour combien de temps ? Selon une étude de l’AFD de 2021, l’altitude moyenne du delta est de 80 centimètres. Conséquence du pompage des eaux souterraines et du tassement des sédiments, il s’enfonce de 1 à 5 centimètres par an. À coups de modélisation et de projection, les chercheurs de l’Agence ont évalué le futur de cette terre fertile cruciale. Dans vingt-cinq ans, selon eux, entre un quart et un tiers des surfaces rizicoles pourraient se retrouver sous le niveau de la mer.

Par Garance Le Caisne – La Tribune – 17 novembre 2024

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