Thaïlande : le tsunami de 2004, toujours gravé dans les mémoires
Sur les côtes thaïlandaises touchées de plein fouet, le 26 décembre 2004, par un tsunami meurtrier, la douleur persiste chez ceux qui ont survécu et ont perdu des proches. Certains tentent d’oublier le drame quand d’autres ont surmonté ce traumatisme en œuvrant pour les plus démunis.
Depuis une cabane en bois perchée à 180 mètres au-dessus de la mer d’Andaman, sur le point culminant de Koh Phi Phi, Pin contemple la vue panoramique sur l’archipel, ses falaises et ses eaux turquoise. « C’est beau », dit-elle en souriant avant de poser son regard sur la bande de terre, nichée entre deux baies, qui relie les deux bouts de l’île principale où sont concentrées les infrastructures touristiques. Son sourire s’estompe : «Là, en bas, tellement de gens sont morts il y a vingt ans.»
Le 26 décembre 2004 a bouleversé la vie de cette Thaïlandaise de 46 ans. Ce matin-là, un séisme de magnitude 9,1 surgissait du tréfonds de l’océan Indien et provoquait le déchaînement d’un tsunami ravageant l’Asie du Sud et du Sud-Est, dont les îles de Phi Phi, dans la province de Krabi, dans le sud de la Thaïlande. Sa sœur cadette, à peine 20 ans à l’époque, travaillait dans un bungalow en bord de plage : elle, qui avait donné naissance à une petite fille six mois plus tôt, fut emportée par les vagues, comme près de 230 000 autres victimes de cette tragédie. «Chaque jour, elle me manque», reconnaît Pin, émue, en vendant des jus de coco aux touristes sur les hauteurs de l’île. Pas question de travailler près de l’eau, le tsunami continue de la hanter. «J’ai encore peur», confie-t-elle.
Les mauvais souvenirs refont surface
Sur les bateaux promenant des touristes en partance de la ville de Krabi pour rejoindre les îles de Phi Phi, seuls les Thaïlandais, superstitieux, enfilent des gilets de sauvetage. À l’approche de la date anniversaire de la tragédie survenue au lendemain de Noël, les mauvais souvenirs refont surface chez certains, quand d’autres préfèrent éviter le sujet. Quelques théories fumeuses pointent aussi le bout de leur nez : sur la plage bondée de Loh Dalum, un homme proposant des tours en kayak aux vacanciers regarde sur son portable une vidéo TikTok où un Thaïlandais prédit un tsunami dans les prochains jours. « Je n’y crois pas du tout», balaie ce local ayant survécu au drame.
Sur cette plage dévastée vingt ans plus tôt par les vagues, Suwat, assis à l’ombre sous un arbre et chapeau de paille sur la tête, pointe la mer du menton, perplexe : «La marée est anormalement basse », lâche non sans crainte l’homme de 56 ans qui, lui aussi, est un survivant du tsunami. Il se souvient d’une Japonaise ayant hurlé «Tsunami !» quand l’eau s’était étrangement retirée de la plage : «Peu de gens l’ont prise au sérieux car, ici, contrairement aux Japonais, les habitants ne savaient pas ce que cela voulait dire.» Mais d’instinct, il a vite décampé avec son fils et sa femme un peu plus haut sur l’île. Toute sa famille fut saine et sauve.
Chaque mercredi, des exercices d’évacuation
Malek, 40 ans, n’a pas eu cette chance : le tsunami a emporté 15 des siens, dont sa mère, un oncle et un neveu. Sa maison a fini en lambeaux. Il ne veut guère s’étendre : «C’est du passé désormais, les gens ont oublié», dit celui qui propose des excursions en bateau autour de l’île. Les gens « essayent » d’oublier, corrige Luak, près de l’embarcadère où des bateaux vont et viennent. «On n’en parle pas, mais le tsunami reste gravé là », rectifie l’homme de 56 ans, pointant l’index sur sa tempe. Ce rescapé, bavard, montre la plage, transformée aujourd’hui en jetée, où une foule en panique courait ce jour-là pour échapper aux vagues meurtrières : «Tomber, c’était la mort assurée.»
Deux décennies plus tard, Luak assure que Phi Phi est mieux préparé en cas de catastrophe. Le petit homme, casquette vissée sur la tête, lève les yeux en direction des haut-parleurs et mime le son des sirènes d’alarme : «Si le tsunami revient, des alertes en anglais et en chinois seront lancées», indique-t-il, précisant que des exercices d’évacuation ont lieu chaque mercredi.
Hormis un plan d’évacuation à l’entrée de l’île, des panneaux indiquant le chemin à suivre en cas de danger et un « village tsunami », construit en hauteur pour les villageois, presque rien ne dit que l’une des pires catastrophes du début du XXIe siècle a, vingt ans plus tôt, dévasté l’île et englouti 70 % des bâtiments à l’époque. Dans les ruelles pleines à craquer du village, des milliers de touristes déambulent entre les hôtels, bungalows, restaurants, bars, salons de tatouage… Tous entassés les uns sur les autres. Le bruit des travaux, çà et là, annonce l’ouverture de nouvelles échoppes. Les voyageurs rencontrés ne savent pas que l’archipel, célèbre pour avoir accueilli le tournage du film La Plage (2000), avec Leonardo DiCaprio, fut aussi ravagé par les vagues.
Face à cet afflux, la plage mythique de Maya Bay a dû fermer pendant trois ans pour préserver son écosystème, avant de partiellement rouvrir en 2022. La baignade y demeure interdite. Luak, qui se réjouit du dynamisme des îles, tempère : «C’est bien, mais il est temps d’arrêter de construire.» Suwat et Malek, eux, déplorent les conséquences de ce tourisme effréné : «Il y a trop de monde, trop de bâtiments, trop de tout», regrette le premier. «Bientôt, ce sera la fin de Phi Phi paradis», ironise l’autre, sous-entendant le désastre écologique du surtourisme.
« Le chagrin est toujours là »
Élisabeth Zana, elle, ne décolère pas. Cette Française de 79 ans s’est installée à Krabi depuis que sa fille – journaliste spécialisée dans les questions environnementales, âgée de 35 ans à l’époque – a été tuée par le tsunami à Koh Phi Phi. «Dans le village, il n’y a pas 1 cm2 qui n’ait été reconstruit avec tout et n’importe quoi », décrit-elle, qualifiant d’«abominable» la première chose que l’on aperçoit en débarquant sur l’île : un Burger King, juste devant un McDonald’s. Elle raconte aussi qu’un hôtel a été construit à la place d’un mémorial érigé au lendemain du tsunami : «Ils n’ont pas respecté ce qui s’est passé, je n’ai vu ça nulle part ailleurs dans le monde.»
Sa fille, Natacha Zana, était l’une des 95 victimes françaises du tsunami. «Le chagrin est toujours là», confie cette hyperactive, assise à son bureau de la Natacha School, une école d’un petit village près de Krabi – rebaptisée en la mémoire de sa fille. Elle a sauvé l’établissement d’une fermeture administrative et le gère depuis deux décennies, via l’association NAT (Naître, aider, transmettre), créée après le tsunami afin d’accompagner les orphelins de cette tragédie. Dans l’établissement, 178 enfants en grande précarité étudient avec 12 instituteurs et bénéficient d’activités extrascolaires financées par l’ONG d’Élisabeth Zana.
Ce sont les sourires de ces gamins déshérités et «l’amour des enfants » qui l’ont aidée à surmonter le deuil de sa fille unique. Son livre sur son expérience (Natacha School les 20 ans. Après letsunami, la vague de l’espérance, Soukha, 2024), elle le dédie «à toutes les mamans “orphelines” de leur(s) enfant(s) quellequ’en soit la cause », en soulignant que « l’amour a triomphé sur la mort ».
Un lourd bilan humain
Le 26 décembre 2004, un séisme de magnitude 9,1 au large de la côte ouest de l’île indonésienne de Sumatra a provoqué un tsunami – avec des vagues de 30 mètres de haut – qui a balayé l’Indonésie, le Sri Lanka, l’Inde, la Thaïlande et neuf autres pays de l’océan Indien.
Au total, le tsunami a fait 226 408 morts. La zone la plus touchée a été le nord de l’île de Sumatra, où plus de 120 000 personnes ont été tuées sur un total de 165 708 morts en Indonésie.
Plus de 35 000 personnes ont péri au Sri Lanka et 16 389 en Inde, plus de 5 000 en Thaïlande et 3 000 autres ont été portées disparues.
Les vagues ont aussi atteint l’Afrique, tuant 300 personnes en Somalie, mais aussi plus d’une centaine aux Maldives.
Par Valentin Cebron – La Croix – 26 décembre 2024
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