En Thaïlande, l’opposition bâillonnée
Le Parti du nouvel avenir, principale force politique opposée à la junte, a été dissous par la Cour constitutionnelle, et ses responsables bannis de la vie politique.
Il était plébiscité par la jeune génération en Thaïlande, et avait réuni 8 millions de voix lors des élections du printemps dernier. Le Parti du nouvel avenir a été dissous vendredi par la Cour constitutionnelle et seize de ses responsables ont été bannis de la vie politique pour dix ans. Les juges ont conclu qu’un prêt effectué au parti par son fondateur, l’homme d’affaires Thanathorn Juangroongruangkit, constituait en réalité un don, ce qui est interdit par les lois électorales. C’est le quatrième parti d’opposition dissous par le même tribunal en treize ans. Le Parti du nouvel avenir avait échappé, en janvier, à une première tentative de dissolution. Saugrenue, celle-ci s’appuyait sur le fait que le logo de son parti, un triangle inversé, prouvait ses liens avec la confrérie des illuminatis, une prétendue société secrète prisée des complotistes. Cette nouvelle décision de la Cour constitutionnelle tombe à pic pour les militaires et le Premier ministre, le général Prayuth Chan-ocha, défiés en décembre par des milliers de jeunes avides de démocratie lors des plus grandes manifestations tenues dans le pays depuis 2014.
Faire le ménage
La popularité du tout jeune parti de gauche, fondé en 2018 et arrivé troisième aux élections de mars 2019, était devenue une menace pour l’armée et pour la monarchie, très puissante dans ce pays d’Asie. Malgré le redécoupage de la carte électorale et la révision de la Constitution en leur faveur, la junte, arrivée à la tête du pays à la faveur d’un coup d’Etat en 2014, ne s’étaient maintenue que de justesse au pouvoir, avec seulement un ou deux sièges en guise de majorité parlementaire. La décision de justice permet à la junte de faire le ménage sur les bancs de l’opposition, et de récupérer une majorité d’au moins une douzaine de sièges. Sur les quatre-vingts députés du Parti du nouvel avenir, onze font partie des responsables du parti bannis de la vie politique, et sont donc d’office destitués. Les autres sont priés de se trouver un nouveau parti d’affiliation dans les trente jours pour conserver leur députation. Avec leurs alliés du parti Pheu Thai, autre grand parti d’opposition, ils comptent déposer, pour le principe, une proposition de motion de censure contre le gouvernement.
Victoire pour la junte
Thanathorn Juangroongruangkit, 40 ans, avait fait campagne en appelant à plus d’égalité et de démocratie et moins de pouvoir pour les militaires. En deux ans, ce parfait inconnu avait réussi à soulever l’espoir dans les couches les plus jeunes d’une société très conservatrice, où les 1% les plus riches possèdent 67% des richesses de la nation. Bien qu’élu député en mars, Thanatorn, héritier d’un magnat de l’automobile, avait été empêché de siéger sous divers prétextes avant d’être finalement destitué en décembre.
La décision rendue vendredi par la Cour constitutionnelle est une victoire pour la junte qui se voit ainsi débarrassée de son plus dangereux rival politique. Thanatorn a déjà annoncé qu’il allait monter une fondation pour l’éducation et un comité pour faire campagne pour des réformes politiques. Mais le régime pourrait chercher à le faire taire pour longtemps, en obtenant une condamnation à de la prison ferme pour financement illégal de parti politique. «Même si mon obstination à dire la vérité signifie que je dois finir ma vie derrière les barreaux, j’en suis fier», déclarait l’ex-étoile montante de l’opposition, jeudi, sur Instagram.
Par Laurence Defranoux – Libération – 23 février 2020
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