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Didier Treutenaere : « Les cadres Rohingyas sont formés dans des madrassas radicales du Bangladesh et du Pakistan. »

Le conflit des Rohingyas, tout le monde en a déjà entendu parler, mais peu de gens savent quelles sont les origines de ce conflit.

En 2016 et en 2017, deux vagues d’attaques djihadistes contre des cibles militaires et civiles dans l’État Rakhine, à l’ouest du Myanmar (anciennement la Birmanie) ont provoqué une riposte massive des forces de sécurité et l’exode de centaines de milliers de musulmans bengalis que l’on appelle les Rohingyas. Dans son nouveau livre, Didier Treutenaere explique que, pour les Birmans, les Rohingyas sont des terroristes musulmans financés par l’Arabie Saoudite et les États du Golfe. L’auteur, qui habite en Thaïlande, est diplômé en philosophie de l’Université Paris-Sorbonne. Spécialiste des textes bouddhistes en langue pali, il a publié des ouvrages et des articles sur la tradition theravada.

« Rohingyas : de la fable à la réalité » de Didier Treutenaere est paru aux Éditions Soukha.

Kernews : On entend souvent parler des Rohingyas dans l’actualité. Toutefois, le grand public ignore qui ils sont et pourquoi un tel conflit perdure avec l’armée birmane. De quoi s’agit-il exactement ?

Didier Treutenaere : Votre interrogation est intéressante, parce que le mot même de Rohingyas est au cœur du problème. La communauté internationale et les médias parlent des Rohingyas, alors que cette étiquette est totalement refusée par la population et par le gouvernement birman, qui parlent de Bengalis musulmans. Ce n’est pas une simple nuance, c’est un problème fondamental !

On nous décrit habituellement la situation des Rohingyas comme une sorte d’ethnie installée à l’ouest de la Birmanie, qui serait persécutée par les Birmans, ce qui obligerait donc les Rohingyas à se réfugier au Bangladesh. Mais une telle présentation amène forcément un raisonnement politique différent, lorsque l’on évoque des Bengalis musulmans…

Les Rohingyas sont à 95 % les descendants d’une masse de travailleurs immigrés que les Anglais ont fait venir durant la période coloniale, c’est-à-dire de 1826 jusqu’à l’indépendance de la Birmanie, et ce sont des musulmans en provenance du Bengale. D’abord, c’est l’ouest de la Birmanie qui a été occupé par les Anglais et c’était un territoire sous-peuplé. Comme les Anglais voulaient exploiter au mieux ce territoire, ils ont fait venir une main-d’œuvre immigrée musulmane bengalie, parce qu’ils occupaient aussi le Bengale qui était une région surpeuplée avec de nombreuses famines. Quand les Anglais colonisaient un territoire, ce n’était pas une colonisation de peuplement et ils confiaient l’administration des zones qu’ils exploitaient à des grands féodaux en provenance d’Inde ou du Bengale et qui étaient musulmans. Le fait de confier des milliers d’hectares à des grandes familles dans les zones coloniales a bien évidemment amené ces grands féodaux à faire venir des populations qu’ils connaissaient et qui étaient de la même religion qu’eux. Donc, les Rohingyas dont on parle maintenant sont des descendants d’immigrés venus en masse dans les fourgons des Anglais pendant l’époque coloniale.

Alors, pourquoi leur intégration ne s’est-elle pas faite ?

Parce que c’est une population qui n’a jamais été acceptée par les habitants de souche et il y a eu des révoltes incessantes contre les Britanniques. Ce refus a été accentué par les Rohingyas car, comme ils sont musulmans, ils ont toujours revendiqué le rattachement des zones qu’ils occupaient, d’abord à l’Empire britannique, ensuite à la partie Bengale britannique. Et lorsque l’Inde a été coupée en deux, avec le Pakistan, les Rohingyas ont demandé le rattachement au Pakistan, c’est-à-dire à un pays musulman, car ils ne voulaient absolument pas être rattachés à la Birmanie. Ils ont eux-mêmes toujours refusé l’intégration. Les Anglais, qui étaient extrêmement prudents, se sont bien gardés d’accorder cette séparation.

Donc, pour les Birmans, les Rohingyas sont en quelque sorte des ennemis de l’intérieur…

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, au moment des premiers mouvements indépendantistes birmans, ils ont bien évidemment pris parti pour les Anglais qui les ont fait venir contre l’indépendance de la Birmanie et ils ont constitué des corps de volontaires qui se sont livrés à une épouvantable épuration ethnique en liquidant les bouddhistes dans les zones occupées. Même les Anglais étaient effrayés et disaient : « On a armé des volontaires pour lutter contre l’avance japonaise, mais pas pour liquider la population locale… » Il y a une très grosse rancœur des gens de l’ouest de la Birmanie contre cette population qui n’a jamais voulu s’intégrer et ils ont le souvenir de pogroms réguliers dans les zones tenues par les musulmans.

Les Rohingyas sont-ils des citoyens birmans au regard de la loi ?

Les Rohingyas n’ont jamais été intégrés et acceptés et, pour bien marquer la chose, une loi de 1982 affirme que les Rohingyas sont une population étrangère et qu’elle n’appartient pas aux 135 minorités ethniques de la Birmanie. Donc, si ces gens ne se plaisent pas à l’ouest de la Birmanie, ils peuvent retourner dans leur pays d’origine : c’était le raisonnement du gouvernement birman de l’époque. L’ONU a essayé de faire revoir cette loi et, dans le conflit actuel, tout est centré sur cette question de la citoyenneté et de l’intégration des Rohingyas. L’ONU explique que les musulmans représentent 5 % de la population de la Birmanie et qu’ils doivent être intégrés gentiment… Mais quand vous êtes dans l’ouest de la Birmanie, vous avez en moyenne 35 % de musulmans et, dans les zones occupées par les Rohingyas, vous avez 90 % de musulmans…

Il y a deux conceptions du monde qui s’affrontent en ce moment. La première consiste à dire que dès lors qu’une population est implantée sur un territoire, elle doit être totalement assimilée, tandis que la deuxième soutient qu’un territoire a sa propre identité et que, même si des gens y habitent depuis cent ans, ils demeureront des étrangers…

Il est intéressant de se pencher sur ce petit pays du Sud-est asiatique, mais je voulais aussi souligner que l’on peut se poser ces mêmes questions partout ailleurs. Par exemple, on nous explique dans les rapports de l’ONU que les Rohingyas ont un droit historique à rester en Birmanie, puisqu’ils y sont depuis longtemps. Mais si vous rapportez ce raisonnement dans d’autres pays, je prends l’exemple des Serbes en ex-Yougoslavie qui ont été chassés par les bombes de l’OTAN : ils étaient là depuis le XIIIe siècle et on ne leur a pas dit qu’ils avaient un droit historique à rester… C’est un raisonnement à géométrie variable, qui joue dans certains cas mais pas dans d’autres…

En Europe, les médias résument la crise des Rohingyas en indiquant qu’il s’agit d’un malheureux peuple persécuté dans son propre pays au simple motif qu’il est musulman…

Vu de Thaïlande et de cette région du monde, on a un point de vue bien plus nuancé. Quand vous lisez les rapports de l’ONU sur la question des Rohingyas, il y a une ligne qui est consacrée à un fait qui est quand même majeur : c’est que l’exil des Rohingyas vers le Bangladesh – et non pas leur déportation – est lié à la guérilla djihadiste implantée dans l’ouest de la Birmanie, financée par des fonds saoudiens et pakistanais, dont les cadres Rohingyas sont formés dans des madrassas radicales du Bangladesh et du Pakistan. Certains sont des anciens mercenaires d’Afghanistan. C’est donc une guérilla qui s’est lancée à l’assaut des forces de sécurité et des zones militaires birmanes, et c’est ce qui a déclenché cette contre-insurrection birmane. Ce n’est donc pas l’armée birmane qui a décidé du jour au lendemain de se faire quelques musulmans dans le coin… La forme même de cette guérilla est importante. Ce n’est pas une guérilla à la Che Guevara, avec quelques guérilleros qui sortent de la forêt, on retrouve plutôt la forme des guérillas maoïstes en Inde ou au Népal : c’est-à-dire qu’il y a un petit groupe qui va dans les villages pour exciter les jeunes et, le jour venu, ils lancent des milliers de paysans et de jeunes à l’assaut des forces de police. Lorsque l’opération a échoué, les cadres se retirent en laissant des milliers de jeunes face à la répression. Ainsi, les offensives de 2016 et de 2017, qui se sont traduites par des massacres de villages hindous, avec des gens décapités, des femmes enlevées et mariées de force avec des musulmans, permettent de comprendre l’ampleur de la réaction de l’armée birmane.

On observe que ces attaques terroristes se produisent sur des périodes de deux ou trois ans, généralement tous les dix à vingt ans…

La première offensive date de 1978. Il y en a eu une autre en 1991 et en 1992 et, chaque fois, il y a eu une offensive importante de l’armée birmane qui a chassé les Rohingyas, qui se sont réfugiés au Bangladesh. Ensuite, les Rohingyas sont revenus. Maintenant, dans cinq ou dix ans, ou peut-être même avant, personne ne peut savoir s’il n’y aura pas à nouveau une offensive.

Il y a aussi, dans cette affaire, la surprise avec la position d’Aung San Suu Kii, qui a été l’idole de la planète pendant des années. Or, on découvre maintenant avec effarement qu’elle est totalement du côté de l’armée birmane…

C’est la même chose pour les moines bouddhistes qui avaient mené le combat contre la junte militaire. Ils sont morts par centaines, des dizaines de milliers sont allés en prison et, d’un seul coup, on découvre que les moines sont attachés à l’identité de leur pays et qu’ils n’aiment pas trop les musulmans… La hargne que l’on peut découvrir contre Aung San Suu Kii et les moines bouddhistes dans la presse occidentale s’explique par cette déception. Dans l’esprit occidental, la question fondamentale est celle des Rohingyas et l’on voudrait qu’elle consacre 100% de son temps à cette question. Mais c’est une population qui, dans l’esprit d’Aung San Suu Kii, n’est pas une priorité. Depuis 1962, la totalité des ethnies de la Birmanie était en rébellion armée, tout le pourtour de la Birmanie était en rébellion contre le gouvernement birman, tout simplement parce que la dictature était engagée dans une birmanisation forcée de toutes les minorités ethniques. Or, Aung San Suu Kii a réuni une première conférence de paix en 2015 et, sur les 21 rébellions ethniques, il y en a 17 qui se sont engagées dans un processus de paix. Elle a donc réussi à pacifier une grande partie de la Birmanie. Mais, comme on focalise la question sur les seuls Rohingyas, on ne voit pas l’immensité de la tâche qui a été accomplie par Aung San Suu Kii.

Ainsi, vous nous expliquez que les Rohingyas sont venus occuper un pays en essayant de faire en sorte que leur culture devienne celle de ce pays…

On nous donne une image largement faussée en nous présentant les Rohingyas comme le peuple plus persécuté au monde et tout le monde fait semblant de ne pas voir les véritables enjeux qu’il y a en Birmanie. Au moment où toutes les ethnies de Birmanie sont en train de commencer un processus de paix, les musulmans bengalis redémarrent leur guérilla et leurs attaques terroristes. Si vous regardez d’où vient la propagande sur la question des Rohingyas, elle vient de l’Organisation de la coopération islamique, qui est le lobby islamiste de l’ONU et qui dispose d’une occasion extraordinaire pour inverser la situation. Depuis les attentats de 2001, l’islam a une image de persécuteur dans le monde et, d’un seul coup, miraculeusement, on a une population musulmane persécutée… Donc, on inverse l’image. Et les musulmans ne sont plus des agresseurs, mais des agressés… Tout cela a été monté en épingle par les lobbys musulmans dans le monde. On fait monter la paranoïa dans le monde musulman, ils revendiquent le droit de vivre en communauté fermée, donc de se défendre par le terrorisme. C’est un instrument de propagande extraordinaire pour inverser l’image de l’islam dans le monde ! Ensuite, la Birmanie est un immense champ de pétrole et de gaz naturel. C’est l’une des plus grosses réserves de gaz naturel au monde. Le port en eau profonde et le départ des pipelines qui alimentent le sud de la Chine se situent dans les zones des Rohingyas, c’est un énorme enjeu économique. Le principal concurrent de la Birmanie, c’est l’Arabie Saoudite et les États du Golfe, et l’on observe que la guérilla est financée par l’Arabie Saoudite. Quand vous regardez une carte, la Chine est engagée dans une opération de désenclavement. Ils veulent éviter que les navires marchands ne passent par le détroit de Malacca, qui est un détroit stratégique que quelques navires américains pourraient bloquer en cas de crise. Or, les Chinois ont favorisé l’implantation d’un port en eau profonde en Birmanie, et il y a un gazoduc et un pipeline qui vont directement vers la Chine du Sud. On voit l’importance extraordinaire qu’a la Birmanie en termes géopolitiques pour la Chine. Et, quand quelque chose est important pour la Chine, on peut évidemment imaginer que les Américains veulent tout faire pour bloquer de telles initiatives.

Kernews.com – 20 Janvier 2019

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