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Un envoyé spécial français pour le conflit birman

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Au fil des années et des crises, de nombreux pays se sont dotés d’un Envoyé spécial pour la Birmanie. La plupart des hommes choisis ont été des diplomates professionnels (ex. Brunei, Cambodge, Chine, Indonésie, Laos, Union européenne). Une exception notable néanmoins à cette pratique : Yohei Sasakawa, l’Envoyé spécial du gouvernement japonais pour « la réconciliation nationale ». 

Également président de la Nippon Foundation, l’octogénaire Tokyoïte a, certes, une très solide expérience internationale mais, pour l’essentiel, il a mené une carrière d’entrepreneur social et non celle d’un fonctionnaire d’État. Si son parcours de vie a différé de celui de ses « homologues », l’intitulé de sa mission n’est guère plus singulier que celui du missi dominici chinois.

Les Envoyés spéciaux portent des titres différents mais ont des missions assez similaires

Dans le lexique missionnaire des États, on perçoit l’ambition de chacun. Ainsi, le Pékinois Deng Xijun conduit sa mission « birmane » sous le vocable d’Envoyé spécial pour « les Affaires asiatiques ». Dans les termes employés, on perçoit toute l’importance stratégique dévolue par Pékin à la Birmanie. Mais toute chose égale par ailleurs, les finalités premières des Envoyés spéciaux sont, somme toutes, assez similaires ; même entre puissances rivales.

Bien que l’Envoyé spécial nippon soit le missionnaire de son gouvernement et le Chinois ait lui été dépêché par son ministère des Affaires étrangères, leurs rôles ne semblent guère avoir été très différents. Oui, les deux hommes défendaient des intérêts nationaux propres mais ils ont d’abord cherché à s’entremettre sur les champs de batailles pour obtenir des accords de cessez-le-feu temporaires. Certes, ceux-ci n’ont pas constitué des retours pérennes à la paix comme on peut le constater, aujourd’hui, là où ils se sont investis le plus, dans l’État Rakhine pour le premier ou le nord de l’État Shan pour le second, mais ils ont, au moins, permis une certaine désescalade de la violence au cours d’un certain laps de temps. Ce n’est déjà pas si mal dans un pays si ensanglanté par la guerre civile provoquée par les généraux de Nay Pyi Taw !

Les Envoyés spéciaux ont souvent des mandats de courte durée

Si le Japon et la Chine s’appuient sur des Envoyés spéciaux dont l’action s’inscrit dans le temps, ceci n’est pas si fréquent. Jusqu’ici, seule l’Union européenne (UE) a adopté une démarche identique. Ainsi, Igor Driesmans, ambassadeur de l’UE auprès de l’ASEAN à Jakarta lorsqu’il fut désigné par le Haut Représentant européen pour la politique étrangère et de sécurité J. Borrell a-t-il poursuivi son rôle tout en gagnant le Cambodge en 2022 où il est concomitamment le délégué européen auprès du Royaume. A contrario, les Envoyés spéciaux des pays de l’ASEAN ont vu leur mandat être calé sur les présidences annuelles tournantes des Etats-membres. Cela ne veut pas dire qu’ils se désintéressent totalement de la situation de la Birmanie une fois la présidence confiée à un nouvel État de l’Association mais leur légitimité est d’autant plus limitée que leur rôle n’est plus défini.

L’ex-vice-premier ministre Prak Sokhonn siège désormais au Sénat où il exerce les fonctions de premier vice-président. Le Brunéien Erywan Yusof est redevenu vice-ministre des Affaires étrangères du sultanat, position qu’il exerce depuis 2015. Quant à l’ambassadeur indonésien Ngurah Swajaya, il sera probablement appelé à d’autres responsabilités une fois le président Prabowo Subianto installé en octobre 2024 à la tête du pouvoir exécutif de son pays. En attendant, il prend la parole lors de conférences publiques (ex. dialogue du Shangri-la, Singapour 31 mai 2024) et mène aussi des conversations discrètes loin d’être inutiles (Quiet Diplomacy) avec le plus grand nombre de parties prenantes au conflit (cf. groupes ethniques armés, gouvernement d’unité nationale (NUG), junte et Conseil de l’administration de l’Etat (SAC)…). Autant d’actions qui permettent à l’Indonésie de jouer un rôle dans le temps « long » et prétendre à être associé à une troïka de l’ASEAN rassemblant les représentants des États ayant eu la présidence de l’Association de 2023 à 2025 (Indonésie, Laos, Malaisie). La continuité de l’action des Envoyés spéciaux de l’ASEAN est un sujet qui revient en débat.

Vientiane qui préside en 2024 aux destinées de l’Association ne peut pas y être insensible. La Birmanie est un État limitrophe. La République démocratique populaire en ressent les effets directs de la crise de son voisin. Son avenir ne lui est pas indifférent. Participer une année de plus à une triade aseanienne offre la possibilité à l’ambassadeur laotien Alounkeo Kittikhoun d’espérer continuer de jouer un rôle de premier rang 18 mois encore. Une longueur de vue qui lui permettra ainsi de relayer des positions de Vientiane quelques peu divergentes de celles que laisse, d’ores et déjà, entrevoir Kuala Lumpur pour l’année 2025. A ce titre, l’ex-ministre des Affaires étrangères malaisien, Datuk Seri Saifuddin Abdullah, répétait une fois encore le 23 juin dans les colonnes du quotidien The Star sa préférence pour que le poste d’Envoyé spécial de l’ASEAN soit « permanent » et non plus tributaire des présidences successives et par là-même de citoyennetés concordantes. Installer les Envoyés spéciaux dans la durée est une volonté qui fait sens tant la crise birmane semble inextricable et de longue haleine.

Les fonctions d’Envoyés spéciaux pour la Birmanie se politisent peu à peu

Face aux dures réalités du conflit et à l’effritement constant de l’influence du SAC, on perçoit au sein de l’ASEAN une frustration grandissante devant une crise birmane qui non seulement se prolonge, se complexifie toujours un peu plus mais surtout s’approfondit avec son lot incessant de drames et d’effets négatifs aux frontières. Dans ce contexte, le Cambodge et la Thaïlande ont vu s’entremettre pour esquisser des sorties de crise, au plus tôt, des personnalités politiques de premier rang.

L’ex-premier ministre Hun Sen s’y emploie avec une certaine constance depuis 2022, tout comme Thaksin Shinawatra de l’autre côté de la frontière depuis son retour à Bangkok. Alors que le ministre thaïlandais des Affaires étrangères avait désigné en 2022 l’une de ses proches conseillères, Pornpimol « Pauline » Kanchanalak, comme Envoyée spéciale pour « les relations avec la Birmanie », aujourd’hui c’est un ex-premier ministre qui s’est installé, dans les faits, au premier plan de la manœuvre diplomatique du pays. Cette politisation de la fonction « médiatrice » existe mais elle est encore loin d’être la plus commune et d’être une garantie de succès. D’ailleurs, la plupart des pays les plus préoccupés par les évolutions de la Birmanie depuis trois ans en restent à mobiliser des hauts fonctionnaires fréquentant ou ayant fréquenté les premiers cercles du pouvoir.

Du côté indien par l’entremise du Conseil de sécurité nationale, comme du côté américain par l’action du Sous-secrétaire d’État, on s’en remet ainsi à des « techniciens » pour le pilotage de la diplomatie birmane. Cela permet de dialoguer avec les parties au conflit et d’interagir au plus haut niveau avec les pays les plus mobilisés pour aider à une sortie de crise négociée. Chacun sait qu’aucun État tiers n’est à même d’imposer « une » solution et que l’ONU n’est pas plus un acteur cristallisant. En effet, quelle que fût et soit la mobilisation des Envoyées spéciales du Secrétaire général des Nations unies (cf. Christine Schraner-Burgener (Suissesse, avril 2018 – octobre 2021), Noeleen Heyzer (Singapourienne, octobre 2021 – juin 2023), Julie Bishop (Australienne, avril 2024 -)), leur poids politique respectif n’a jamais suffi à initier un processus à caractère irénique. Il n’en demeure pas moins que la communauté internationale se doit de montrer sa disponibilité à aider les parties birmanes qui voudraient faire le choix de la table des négociations plutôt que celui d’une lutte armée aussi coûteuse et longue, qu’incertaine. Si les Birmans décideront des paramètres de la construction du retour à la paix voire à la démocratie, ils n’en n’ont pas moins besoin de la communauté internationale.

La France, membre permanente du Conseil de sécurité et partenaire de développement de l’ASEAN s’inquiète d’une situation de crise ouverte au cœur même de la région Indo-Pacifique.

C’est dans cette perspective d’une aide à la construction de la paix que le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères français, Stéphane Séjourné, a désigné le 6 juin 2024 son Envoyé spécial pour la Birmanie « en appui des efforts internationaux ». Une première dans l’histoire française de l’Asie du sud-est ! Pour mener à bien cette mission, il a porté son choix sur l’ambassadeur Christian Lechervy. Ce dernier est un familier de la région. Il a représenté la France en Birmanie de 2018 à 2023. Depuis l’indépendance de l’ex colonie britannique en janvier 1948, il est le chef de la mission diplomatique française qui a servi le plus longtemps à Rangoun. Il a donc été fait appel à un émissaire ayant longuement travaillé sur la Birmanie, l’Asie du sud-est mais aussi la gestion de crise.

Entré à la direction politique du ministère de la Défense pour accompagner la mise en œuvre des accords de Paris sur le Cambodge, C. Lechervy a été le conseiller pour les Affaires stratégiques du ministre de la Défense à l’heure du 11 septembre, de l’engagement des forces françaises au Kosovo et en Afghanistan, le directeur Asie du sud-est du Quai d’Orsay lors du processus de Bangkok sur la Birmanie, avant d’être au cabinet du président de la République en charge des Affaires étrangères et de l’Asie – Pacifique où il supervisa, notamment, les venues dans l’hexagone du président Thein Sein puis de la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi.

Familier des questions birmanes depuis plus de deux décennies, l’ex chargés de cours à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et à l’Institut d’études politiques de Paris a par ailleurs publié de nombreux articles sur les évolutions politiques de la République de l’Union du Myanmar dans des revues académiques ou de think tanks. Un bagage de connaissances, de pratiques de terrain et de négociations internationales qui ne sont pas de trop dans une crise meurtrière aux ramifications aussi anciennes que multiples.

Par François Guilbert – Gavroche-thailande.com – 1er juillet 2024

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