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Pour les Rohingyas américains, « Citoyens de nulle part », les restrictions de Trump inquiètent

Lila Mubarak déborde de fierté en racontant le chemin qu’elle a parcouru pour obtenir la nationalité américaine.

Cette réfugiée, issue de la minorité rohingya de Birmanie, a fui la persécution dans son pays natal pour refaire sa vie à Chicago, la troisième ville des Etats-Unis.

« Je suis tellement heureuse de devenir citoyenne américaine parce qu’avant, j’étais apatride », dit la jeune femme de 27 ans, qui vient d’être naturalisée.

Mais chez les quelque 8.000 Rohingyas se trouvant aux Etats-Unis, on craint d’être les derniers à avoir été accueillis.

Le président Donald Trump a en effet annoncé que la Birmanie allait être ajoutée à la liste des pays avec des restrictions d’accès aux Etats-Unis, réduisant les espoirs des Rohingyas voulant échapper à la persécution.

Exactions et discriminations

Le périple qui a mené Lila Mubarak jusqu’aux bords du lac Michigan est similaire à celui de nombreux Rohingyas: elle a fui la Birmanie, est passée par la Malaisie puis a mis le cap sur les Etats-Unis.

Après avoir obtenu il y a cinq ans la précieuse « green card », carte de résidence permanente, elle a suivi des cours au Centre culturel rohingya de Chicago, ville qui accueille environ un quart des Rohingyas aux Etats-Unis.

À son apogée, la population rohingya comptait environ 1,3 million de personnes en Birmanie, sur une population de 54 millions d’habitants à majorité bouddhistes.

Victimes de discriminations depuis des générations, les Rohingyas de Birmanie ont vu leurs droits se réduire à peau de chagrin.

Depuis août 2017, quelque 740.000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh pour fuir les exactions de l’armée birmane et de milices bouddhistes.

Les quelque 600.000 Rohingyas qui se trouvent toujours dans des camps et des villages en Birmanie vivent dans des conditions d' »apartheid » selon Amnesty International, sans liberté de mouvement et avec un accès limité à des emplois, à l’enseignement ou à des soins.

« Paix et harmonie »

De nombreux Rohingyas sont donc incapables de lire et d’écrire.

Abdul Jabbar Amanullah, qui a fui la Birmanie en 2012, a été embauché au Centre rohingya, où il aide les nouveaux arrivants dans leur recherche d’un emploi.

Beaucoup d’entre eux sont embauchés comme agents de propreté à l’aéroport international O’Hare ou comme plongeurs dans un casino voisin.

« Ce sont de bons emplois pour les nouveaux arrivants rohingyas car ils ne nécessitent pas un niveau d’anglais très élevé et le salaire n’est pas mauvais », explique M. Amanullah, ajoutant que même si la plupart des Rohingyas travaillent pour 15 dollars de l’heure, quelques-uns ont pu acheter leur propre maison.

Le directeur du Centre, Nasir Zakaria, a réussi à quitter la Birmanie à 14 ans en pagayant dans un petit bateau vers le Bangladesh.

« Nous aimons particulièrement Chicago, car nous vivions dans un village en Birmanie et ici, nous sommes encore parmi des visages familiers », a affirmé M. Zakaria, le seul de sa famille à avoir atteint les Etats-Unis. « Si nous avions besoin d’aide, nous contactions quelqu’un que nous connaissions. Nous pouvons faire la même chose ici ».

M. Zakaria parle souvent en ligne aux membres de sa famille restés en Birmanie, qu’il espère revoir un jour.

« Nous voulons juste vivre comme tout le monde. Nous voulons avoir des droits, la liberté de religion et la liberté d’expression. Nous voulons vivre dans la paix et l’harmonie. C’est tout ».

« Citoyens de nulle part »

Les fameuses « interdictions de voyager » de Donald Trump imposent un strict contrôle à la frontière pour les ressortissants de treize pays. La Birmanie, le Nigéria, l’Erythrée, le Soudan, la Tanzanie et le Kirghizistan ont récemment été ajoutés à la liste, des restrictions entrées en vigueur vendredi.

Bien que ces restrictions ne soient pas censées concerner les réfugiés fuyant la persécution, pour Azeem Ibrahim, analyste au Center for Global Policy de Washington, leur objectif est clair: « quelqu’un dans cette administration s’est probablement rendu compte que (les Rohingyas) faisaient partie de la plus grande population réfugiée du monde », dit-il.

Et « si vous voulez arrêter les réfugiés, vous incluez l’une des populations les plus vastes », conclut-il.

Susan Chestnut, qui enseigne l’anglais et la citoyenneté au Centre rohingya de Chicago, raconte que lorsqu’elle a commencé il y a deux ans, elle a été choquée par le faible niveau d’alphabétisation de ses élèves.

« Imaginez ne pas savoir utiliser un stylo. La plupart d’entre eux n’étaient jamais allés à l’école », dit-elle.

« Je leur apprends qu’en tant que citoyens, l’une des choses les plus importantes qu’ils peuvent faire est de voter et de faire entendre leur voix », ajoute-t-elle.

« Ils n’ont jamais connu cela. Ils ne savent pas ce que c’est, d’être un citoyen. Ils sont citoyens de nulle part mais ont fait des Etats-Unis leur pays. »

Agence France Presse – 22 février 2020

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