Catastrophes naturelles : la Birmanie est-elle prête ?
Le cyclone Nargis en 2008 et ses quelque 140.000 morts, un tremblement de terre ayant failli coûter à Bagan sa nomination à l’Unesco en 2016, plus de 200 000 déplacés pendant les inondations de 2019 …
Ces douze dernières années, la Birmanie a été victime de 3 tremblements de terre majeurs, de 3 cyclones, et des inondations et glissements de terrain si nombreux qu’on ne les compte plus… A priori, la gestion des catastrophes naturelles est donc un enjeu primordial pour le pays. Le Global Climate Risk Index, publié par l’organisation à but non lucratif Germanwatch, a d’ailleurs classé la Birmanie dans son top 3 des pays les plus affectés par des événements météorologiques extrêmes entre 1999 et 2018.
Pourtant, avec une déforestation intensive qui a vu la surface des forêts passer de 42% du territoire en 2015 à 25% en 2019, la situation géographique de Yangon qui la classe au 5ème rang mondial des villes les plus vulnérables à l’élévation du niveau des mers, et une urbanisation intensive et peu contrôlée depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement en 2011, le pays fragilise sa résistance au changement climatique.
La Direction de la gestion des catastrophes a averti que la Birmanie pourrait perdre jusqu’à 190 millions de dollars chaque année à cause des catastrophes naturelles. Tandis que la communauté scientifique international estime que le changement climatique entraînera une augmentation de la fréquence et de l’intensité des inondations, sécheresses et autres événements climatiques extrêmes, l’historien U Thant Myint-U, diplomate et président du Yangon Heritage Trust, a déclaré l’année dernière que « l’impact du changement climatique en Birmanie ne sera rien de moins que catastrophique ».
Une situation complexe qui ne laisse pas tous les Birmans indifférents. En septembre dernier plusieurs associations, accompagnées d’étudiants, ont défilé dans les rues de Yangon à l’occasion du Global Climate Strike Myanmar. Mais il s’agissait seulement de l’ordre de 200 participants qui ont réclamé la reconnaissance immédiate par le gouvernement de l’urgence climatique, l’arrêt des projets économiques pouvant nuire à l’environnement et au climat, et la justice climatique pour tous. « Nous ne pouvons pas empêcher les catastrophes naturelles, mais nous pouvons réduire leur coût », affirmait U Tun Lwin, fondateur du Myanmar Climate Change Watch et l’un des climatologues les plus respectés du pays jusqu’à son décès en 2019.
Depuis 2011, la Birmanie a lancé plusieurs organismes et mesures politiques visant à améliorer sa préparation et sa réponse aux catastrophes naturelles. En 2013, promulgation de la loi sur la gestion des catastrophes naturelles, renforcée en 2015 par le règlement sur la gestion des catastrophes naturelles. Suite à ces deux textes un Comité national de gestion des catastrophes naturelles (CNGCN) a été formé en 2016, avec quatre principales fonctions : formuler des politiques et des directives pour la mobilisation de ressources lors de catastrophes, définir des procédures de coordination avec l’aide internationale lorsqu’elle devient nécessaire, orienter les fonds et les ressources de l’Etat vers les zones qui en ont le plus besoin, et coordonner la gestion de crise pendant et après les catastrophes. Mais rien dans ce texte sur la communication et sensibilisation vis-à-vis des populations, leur éducation aux risques et aux bonnes pratiques. En juillet 2020, U Win Myat Aye, le ministre de la Protection sociale, du Secours et de la Réinstallation, a annoncé que ses services travaillaient sur la loi sur la gestion des catastrophes naturelles, « de façon à y ajouter nos nouveaux systèmes de gestion et d’y inclure l’usage extensif de technologies ». Enfin, la Direction de la météorologie et de l’hydrologie, qui dépend du ministère des Transports et des Communications, a pour principale tâche d’alerter dès que possible en cas de risque de catastrophe naturelle, grâce notamment à son réseau de stations de détection créé après Nargis.
Au plan international, la Birmanie a signé l’Accord de l’ASEAN sur la gestion des catastrophes et la réponse aux situations d’urgence (AADMER) en 2005. Ce traité, loué dans le monde pour son niveau d’exigence et les réelles contraintes juridiques qu’il impose, offre aux pays signataires un soutien pédagogique et logistique en cas de catastrophe naturelle. Si les textes ayant abouti au CNGCN ne mentionnent pas l’AADMER, leurs objectifs incluent une coordination régionale et le rôle du comité comporte la coopération et la coordination nationale et régionale avec les acteurs internationaux du secteur humanitaire.
Pour la lutte contre le changement climatique, le pays a remis sa Contribution déterminée au niveau national (CDNN) – soit son plan d’action national pour le climat suite à son engagement dans l’Accord de Paris en 2017. Et le gouvernement doit soumettre une version à jour de cette CDNN dans les prochains mois afin d’y inclure les dernières données sur les émissions nationales de gaz à effet de serre de façon à calculer correctement ses objectifs de réduction de celles-ci. Un enjeu aujourd’hui majeur car si la Birmanie est loin d’être l’un des pays les plus émetteurs dans le monde, sa croissance incontrôlée de l’urbanisation et des secteurs de l’industrie, de l’énergie, et des transports devrait inverser la situation dans les années à venir.
Cet objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre sera également mis à jour dans la feuille de route de la Stratégie birmane sur le changement climatique 2018-2030, qui promeut notamment l’inclusion des plus vulnérables parmi les bénéficiaires d’un développement économique plus durable, une économie plus « verte » pour atteindre des objectifs de réduction d’émission de gaz à effet de serre et d’impact environnemental, et une entente entre les acteurs politiques et économiques pour soutenir les objectifs de la Stratégie. A cette feuille de route s’ajoute la Myanmar Climate Change Policy lancée début 2019 qui propose un programme d’actions concrètes, coordonnées et durables afin de faire de la Birmanie un pays à faibles émissions carbone résistant aux effets du changement climatique. C’est la première fois que la volonté d’agir contre le changement climatique est reflétée dans une série de politiques engagées.
Mais qu’il s’agisse de préparation ou de sensibilisation aux risques naturels, le pays a encore beaucoup à faire. « La plupart des entreprises birmanes ne sont pas préparées à faire face aux catastrophes naturelles qui touchent le pays chaque année », a ainsi déclaré U Soe Tun, co-président du Myanmar Private Sector Disaster Management Network, à l’automne dernier. Les résultats d’une étude conduite par son organisation ont montré que 82% des entreprises privées n’ont pas conscience des risques naturels et n’y sont pas préparées. Ajoutant que la majorité des entrepreneurs n’avaient pas l’air intéressés par la prévention et la réduction des risques, il en conclut « devoir mener plus de campagnes de sensibilisation ».
La sensibilisation est également l’une des grandes revendications des organisations militantes pour l’environnement. « Les jeunes peuvent s’informer sur le changement climatique grâce à internet mais il n’y a pas d’enseignement ou de transfert de connaissance systématique dans les institutions éducatives », souligne Thant Zin, responsable du projet « Transformation par l’innovation dans l’enseignement à distance », un projet de quatre ans visant à introduire l’éducation environnementale interdisciplinaire dans les universités gouvernementales. Avec le soutien du ministère de l’Education, Thant Zin et son équipe ont lancé dès février 2018 la création d’une formation aux études environnementales à Yangon et à Mandalay.
Avant de décéder, l’emblématique U Tun Lwin a qualifié de « corrects » les efforts du gouvernement pour réhabiliter des zones touchées par les catastrophes naturelles, même si selon lui la résilience des Birmans, inculquée par la tradition et la religion, y contribuait aussi pour beaucoup. Il a également réclamé que soient dressées des cartes systématiques mettant en évidence les zones les plus vulnérables à certaines catastrophes naturelles, comme les tremblements de terre, les inondations et les glissements de terrain, et qui pourraient donc aider les habitants à se préparer, de façon à limiter les conséquences. La Birmanie ne dispose en effet pas – ou ne divulgue pas – de telles cartes.
Par Ludivine Paques – Lepetitjournal.com – 23 février 2020
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