Au pays des derniers guerriers tatoués de Birmanie
Ngon Pok s’en souvient comme si c’était hier: son père et son grand-père de retour au village, dans le Nord de la Birmanie, rapportant triomphalement une tête humaine.
Il se souvient aussi de la douleur de ce tatouage qu’on lui a fait pour célébrer leur victoire.
Membre des Lainong, une des nombreuses tribus Nagas qui vivent près de la frontière indienne, l’octogénaire fait un signe vers son petit-fils, six ans, l’âge qu’il avait au moment de la scène.
«Les gens ont dû m’attraper et me maintenir fermement», raconte-t-il à l’AFP, en exhibant fièrement sa poitrine tatouée de motifs guerriers faits de lignes et de points.
Les tribus et villageois Nagas se sont livrés à des guerres de territoire, allant jusqu’à décapiter leurs ennemis, en guise de trophée.
Cette pratique aurait perduré jusque dans les années 1960, selon certains témoignages.
Pour fêter le triomphe sur l’ennemi, de la sève était introduite sous la peau du guerrier à l’aide d’une épine, comme un rappel permanent de son talent de chasseur de têtes.
Et sa famille devait souvent suivre l’exemple.
Petite, Khamyo Pon Nyun, l’épouse de Ngon Pok, s’est fait tatouer des motifs géométriques sur le visage, les bras et les jambes.
«C’était tellement douloureux», se souvient-elle, aujourd’hui âgée de 75 ans.
«Mais je me suis dit: +si ma mère et mes tantes peuvent le faire alors moi aussi+», raconte-t-elle à l’AFP, ajoutant dans un sourire que – contrairement à son mari – elle n’a pas eu besoin d’être maintenue.
– Diversité de motifs –
Les Nagas se composent de dizaines de tribus parlant des dialectes complètement différents.
Divisé entre l’Inde et la Birmanie par une frontière que beaucoup considèrent comme artificielle, un sentiment nationaliste unit toujours le peuple Naga.
Côté birman, les Nagas vivent dans l’une des régions les plus pauvres et reculées du pays. Beaucoup doivent marcher pendant des jours pour atteindre la ville la plus proche, peu d’enfants étudient au-delà du primaire et seuls 40% des villages ont l’électricité.
L’anthropologue Lars Krutak a parcouru le monde pour étudier les tatouages tribaux, y compris chez les Nagas.
«Ce qui me semble unique, c’est la diversité de leurs tatouages», dit-il.
Ils peuvent signifier l’identité tribale, les réalisations de la vie ou un rite de passage et sont présents chez une vingtaine de tribus des deux côtés de la frontière.
– Les redoutés guerriers Konyaks –
L’un des groupes les plus redoutés était les Konyaks, une tribu aujourd’hui divisée entre l’Inde et la Birmanie.
Leur fief, Lonwa, situé sur une haute crête offrant une vue sur les deux pays, est le siège du roi de la tribu dont la maison se trouve symboliquement à cheval sur la frontière.
Seule une poignée d’anciens chasseurs de têtes subsistent aujourd’hui.
Ils arborent de formidables tatouages à l’encre bleu foncé sur une grande partie de leur visage, les faisant ressembler à des têtes de morts.
Houn Ngo Kaw, 75 ans, affirme qu’il a contribué à mettre un terme à la tradition sanglante dans son village après sa conversion au christianisme en 1978 et admet que «c’est mieux maintenant».
Les jeunes Nagas portent rarement ces tatouages, mais il existe des exceptions.
Ku Myo, 35 ans, se rappelle du courroux de ses parents après son retour à la maison à l’âge de 15 ans, le visage tatoué.
«Je l’ai fait dans leur dos et ils m’ont battue quand ils ont vu ça», raconte-t-elle, admettant qu’elle aussi serait furieuse si ses enfants manifestaient la même rébellion.
Peu regrettent une tradition qui sera bientôt perdue à jamais.
«Je voulais être l’un des derniers guerriers tatoués et je le suis», dit Houn Ngo Kaw, avec un immense sourire. «Bien sûr que je suis heureux!»
Agence France Presse – 27 février 2020
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