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Cambodge. Les centres de détention surpeuplés sont une «bombe à retardement» pour le COVID-19 dans un contexte d’arrestations pour «informations fallacieuses»

Au moins 22 personnes ont été arrêtées, dont sept ont été inculpées pour des allégations d’« informations fallacieuses » sur l’épidémie.

Les autorités affirment qu’elles « travaillent avec Facebook » en vue de retrouver ces personnes. La plus grande prison du Cambodge affiche un taux de surpopulation de 500 %.

Les prisons et centres de détention surpeuplés et sordides risquent de devenir les détonateurs d’une grave épidémie de COVID-19 au Cambodge, ce qui rendra le contrôle de la pandémie beaucoup plus difficile, a déclaré Amnesty International le 27 mars, dans un contexte de répression et d’arrestation de personnes accusées de « semer l’inquiétude » en parlant de l’épidémie sur les réseaux sociaux.

« Au lieu de prendre des mesures pour lutter contre la surpopulation des centres de détention, les autorités cambodgiennes ont utilisé la pandémie de COVID-19 comme excuse pour harceler et arrêter des détracteurs du gouvernement », a déclaré Nicholas Bequelin, directeur régional d’Amnesty International. « Pendant ce temps, les prisons et les centres de détention à des fins de désintoxication sont dangereusement surpeuplés et ne disposent pas des services de santé les plus élémentaires. Ce sont des bombes à retardement pour le pays et potentiellement pour ses voisins. »

Au moins sept personnes ont été inculpées et placées en détention provisoire dans le cadre de la répression liée à des « fausses » informations présumées sur le COVID-19, dont six sont des militant·e·s ou des membres du Parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC), un parti d’opposition interdit. Au total, au moins 22 personnes ont été arrêtées pour avoir partagé des informations sur le COVID-19 depuis janvier, dont la plupart ont été libérées sans inculpation après avoir signé un document par lequel elles s’engageaient à ne pas diffuser de fausses informations en ligne.

Le 25 mars, le Premier ministre Hun Sen a déclaré qu’il envisageait d’invoquer l’article 22 de la Constitution pour déclarer l’état d’urgence et a averti que les droits humains pourraient s’en trouver davantage restreints.

Le 5 mars, Ouk Kimseng, porte-parole du ministère de l’Information, aurait déclaré : « Des personnes malintentionnées répandent la peur, provoquant l’inquiétude des citoyens. Le Premier ministre Hun Sen les considère comme des terroristes, ces personnes sont problématiques pour notre société… Nous travaillons avec Facebook pour retrouver ces personnes ou groupes et prendre des mesures contre eux. »

« Le gouvernement cambodgien semble plus occupé à utiliser cette pandémie comme prétexte pour réduire au silence ses détracteurs qu’à assurer la protection de sa population et son droit à la santé. Les autorités cambodgiennes doivent cesser de harceler les dissidents et prendre des mesures pour subvenir aux besoins de santé de la population cambodgienne », a déclaré Nicholas Bequelin.

Les centres de détention surpeuplés sont une « bombe à retardement »

D’après les données du gouvernement, 37 000 personnes étaient détenues dans les prisons du Cambodge à la fin de l’année 2019, alors que la capacité d’accueil de ces prisons est estimée à 26 593 personnes seulement. En janvier 2020, plus de 10 000 personnes étaient détenues dans la plus grande prison du Cambodge, Prey Sar, à Phnom Penh, ce qui représente une surpopulation de 500 % environ.

Près de 40 % de tous les détenus sont en détention provisoire et des milliers de personnes sont emprisonnées pour des délits mineurs et non violents, comme la détention ou la consommation de stupéfiants. La population carcérale nationale a augmenté d’environ 70 % depuis décembre 2016, en raison de la campagne punitive et violente de lutte contre les stupéfiants menée par le gouvernement.

Sreyneang*, une femme libérée de l’établissement pénitentiaire pour femmes et mineurs CC2, à Prey Sar, en novembre 2019, a déclaré à Amnesty International : « L’espace pour dormir pour mon fils d’un an et moi était d’environ 30 à 40 centimètres de large, donc nous étions serrés. Si je dormais sur le côté, mon fils pouvait dormir sur le sol. Si je dormais sur le dos, il devait dormir sur moi. »

« Les conditions inhumaines dans les prisons et centres de détention au Cambodge rendent les mesures de prévention impossibles pour les détenus et le personnel, notamment la distanciation sociale et l’isolation » a déclaré Nicholas Bequelin. « Ces conditions n’ont jamais été acceptables, et maintenant elles risquent de provoquer un niveau de transmission du COVID-19 qui pourrait rapidement devenir dramatique et exponentiel. »

Des milliers de personnes sont actuellement détenues contre leur gré dans des centres de « désintoxication » et des centres d’« affaires sociales » répartis dans tout le pays. La détention obligatoire en vue de désintoxication, qui prévoit la détention de personnes soupçonnées d’avoir consommé des stupéfiants, dans le but de les faire cesser cette consommation, est arbitraire par nature. Bien que le nombre de personnes détenues dans des centres de désintoxication au Cambodge ne soit pas rendu public, des informations qu’a reçues Amnesty International indiquent une surpopulation aussi grave dans ces centres que dans les autres prisons du pays.

Maly*, une travailleuse du sexe qui a été placée en détention pendant cinq mois dans un centre de désintoxication d’Orkas Khnom, à Phnom Penh, après avoir été arrêtée lors d’une descente dans la rue en 2019 a décrit à Amnesty International la grave surpopulation qu’elle a constatée : « Soixante personnes étaient détenues dans la petite pièce où je me trouvais. Nous étions si serrés que nous ne pouvions plus bouger ou nous allonger pour dormir. Nous devions nous serrer les uns contre les autres sur le côté. »

« Les centres de désintoxication sordides du Cambodge bafouent les droits humains, et l’épidémie de COVID-19 ne fera qu’exacerber les menaces pour les personnes qui y sont détenues. Les centres de désintoxication obligatoire doivent être définitivement fermés sans délai et les personnes qui y sont détenues doivent être libérées et des services sociaux et de santé suffisants doivent être mis à leur disposition », a déclaré Nicholas Bequelin.

« Ces personnes, dont le système immunitaire est souvent faible et qui souffrent souvent de maladies préexistantes, doivent être protégées de toute urgence. La crise actuelle offre aux autorités cambodgiennes l’occasion de veiller à ce que les services de traitement liés aux stupéfiants soient réellement volontaires et implantés dans les communautés. »

Complément d’information

Dans les prisons et autres centres de détention du Cambodge, la surpopulation, la nourriture inadaptée et les installations sanitaires de piètre qualité entraînent de graves problèmes de santé pour les détenus, ce qui les expose à de graves risques dans le cadre de la pandémie de COVID-19.

Chaque année, des milliers de personnes soupçonnées de consommer des stupéfiants, de sans-abri, de travailleuses et travailleurs du sexe et de personnes souffrant de troubles mentaux sont arrêtés lors de descentes de lutte contre les stupéfiants et d’embellissement des villes et sont placés en détention dans des centres de « désintoxication » et des centres d’« affaires sociales » répartis dans tout le pays. Ces centres de détention ont fait l’objet de vives critiques au fil des années, notamment d’allégations de torture, de travail forcé, de violences sexuelles et d’autres formes de mauvais traitements.

Le 25 mars, la haute-commissaire aux droits de l’homme Michelle Bachelet a averti le gouvernement des conséquences « catastrophiques », tant pour les détenus que pour la population plus généralement, que pourraient avoir la surpopulation et les mauvaises conditions de détention dans le cadre de l’épidémie de COVID-19. Elle a appelé les gouvernements à « libérer toutes les personnes détenues sans fondement juridique » et à « libérer les personnes particulièrement vulnérables au COVID-19, notamment les détenus âgés et malades, ainsi que les délinquants à faible risque ».

En réponse à la pandémie de COVID-19, plusieurs gouvernements dans le monde, notamment l’Éthiopie, Bahreïn et l’Iran, ont pris des mesures décisives pour alléger la surpopulation dans les centres de détention, en libérant les personnes détenues pour des motifs politiques ou des délits mineurs non violents, les personnes en détention provisoire et les personnes souffrant de problèmes de santé.

Amnesty International engage les gouvernements à évaluer la nécessité du maintien en détention, afin de protéger la santé des personnes détenues, du personnel pénitentiaire et de la population. Les gouvernements doivent envisager des libérations conditionnelles ou anticipées, ou des mesures de substitution non privatives de liberté. Ils doivent tenir compte de chaque situation individuelle et des risques auxquels sont exposés certains groupes spécifiques de détenus, comme les personnes âgées, celles souffrant de graves problèmes de santé ou celles dont le système immunitaire est faible.

La propagation de maladies contagieuses étant une question de santé publique, particulièrement en milieu carcéral, il est souhaitable que tous les détenus puissent avoir accès, sous réserve de leur consentement, à des tests de dépistage du COVID-19, notamment les personnes éligibles à une libération anticipée. Pour les personnes qui demeurent incarcérées, les autorités doivent dispenser un niveau de soins médicaux qui réponde aux besoins de chaque personne et garantisse une protection maximale contre la propagation du COVID-19.

*Des pseudonymes ont été utilisés pour assurer la sécurité des personnes ayant témoigné.

Amnesty International – 27 mars 2020

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