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Christophe, le Vietnam dans le cœur

Le chanteur Christophe s’est éteint, emporté par un emphysème. Adulé au Vietnam depuis les années 1960, le chanteur s’était rendu pour la première fois à Hô Chi Minh-Ville en 2013. Paris Match l’avait accompagné.

Interprète des inoubliables « Aline » et les « Mots Bleus », le chanteur Christophe est décédé des suites « d’un emphysème », maladie pulmonaire, a indiqué à l’AFP Véronique Bevilacqua, son épouse, dans la nuit de jeudi à vendredi. Daniel Bevilacqua de son vrai nom, avait été hospitalisé et admis en réanimation le 26 mars dans un hôpital parisien, avant d’être transféré à Brest. Mme Bevilacqua n’a jamais fait mention de la maladie Covid-19 dans ses communiqués et, interrogée au téléphone par l’AFP, a tenu à insister sur « l’emphysème ». Christophe avait 74 ans.

Voici le reportage consacré au voyage de Christophe au Vietnam, publié dans Paris Match en décembre 2013…

 » Christophe, le Viet’Glam « 

Il est 23 heures, ce samedi 23 novembre, et les premières notes de « Je ne t’aime plus » résonnent au sein du théâtre Hoa Binh de Hô Chi Minh-Ville. Dans la salle les cris fusent, les applaudissements aussi. Certaines spectatrices se lèvent, d’autres brandissent leurs appareils photo, en pamoison totale. Puis viendront « Oh ! mon amour », « Maman », « Mal », « Main dans la main » et évidemment « Aline ». Sacrée Aline. Depuis 1965, elle fait figure d’hymne officieux au Vietnam. Quand François Mitterrand s’y rendit en visite officielle en 1993, l’Orchestre national de Hanoi joua la chanson à la place de la « Marseillaise » tant attendue. « Je m’étais dit : tiens, intéressant », note Christophe. Au même titre qu’Adamo, Christophe était une icône en Asie de 1965 à 1975. Ses disques étaient distribués dans les grandes villes, et ses chansons faisaient un malheur auprès des artistes vietnamiens. Pham Duy, le Michel Legrand viet, adapta « Aline » et en fit un tube dès la fin des années 1960. Mais la chute de Saigon et la fin de la guerre sonnèrent le glas de cette parenthèse enchantée. « Le pays s’est fermé presque du jour au lendemain, explique Patrick Désir, le président de l’association Poussières de vie et organisateur de la venue du chanteur. Il n’était plus question d’écouter de la musique occidentale. Mais Christophe était quelqu’un qui avait marqué notre jeunesse. »

Alors, depuis plus de trente ans, « Aline » et cette poignée de titres peu connus en France sont restés dans les mémoires vietnamiennes. Et pendant que la carrière de Christophe prenait un nouveau tournant dès 1973 avec « Les paradis perdus », puis « Les mots bleus », le Vietnam sombrait dans l’obscurantisme culturel. Depuis l’évolution récente du régime, les ambassadeurs et consuls de France ont tous songé à faire venir le mystérieux interprète d’« Aline ». Mais l’homme était retiré des scènes, ne voulait plus se produire en public. « La technique n’était pas bonne, précise l’intéressé. Moi, ce qui compte c’est le son, l’ambiance, je suis un metteur en scène, pas un chanteur. » En 2002, il changea néanmoins d’avis, en se produisant à l’Olympia, vingt-sept ans après son dernier concert. Et, sept ans plus tard, il se lançait enfin dans sa véritable première tournée française de plus de 80 dates.

Depuis, Christophe semble avoir pris goût au live. Expérimenté en janvier dernier, son « Intime Tour » récolte principalement des louanges. Seul en scène, le « Beau Bizarre » alterne entre piano, claviers et guitares. L’homme n’est pas un virtuose, et c’est ce qui fait le charme du spectacle. Christophe cherche l’instant magique, le temps arrêté, celui qui va emmener les spectateurs dans un autre monde. Cette fois, plus rien ne semblait barrer la route à sa venue au Vietnam. Encore fallait-il une bonne raison de faire le voyage, lui qui déteste tant l’avion… Patrick Désir est rentré au pays en 1998. Quatre ans plus tard, il fondait Poussières de vie pour venir en aide aux enfants des rues. « Dès 6 ans, les parents n’hésitent pas à laisser leurs enfants dehors, car ils ramènent de l’argent au sein du foyer. Dès lors, ils peuvent vite se faire happer par la drogue ou la prostitution. Notre but est d’empêcher cela, de tout faire pour les envoyer à l’école. Et cela commence souvent par leur trouver des papiers officiels d’identité. » Fan du chanteur, le directeur de l’ONG rêvait secrètement de faire venir son idole à Hô Chi Minh-Ville. Le quarantième anniversaire des relations diplomatiques entre le Vietnam et la France fut le prétexte parfait : quoi de mieux qu’un concert au profit de l’association pour célébrer cette amitié ? Christophe : « Un matin, devant chez moi boulevard Montparnasse à Paris, Patrick Désir m’attendait avec sa femme. Il a commencé par me demander une photo, puis on a discuté. C’est de là que tout est parti. »

La rencontre a lieu fin août 2013, et tout reste à faire : trouver une salle, un budget, un financement. Les fans vietnamiens de Christophe n’hésitent pas à mettre au pot, tout comme le consulat de France. L’artiste s’envole donc pour Hô Chi Minh-Ville le 17 novembre en compagnie de sa fille, Lucie, eurasienne, comme Véronique, l’ancienne épouse du chanteur. « Tout cela avait un sens pour moi, assume Christophe. Je rêvais de voir l’Asie, mon beau-père est quelqu’un qui a énormément compté pour moi, il était d’origine chinoise. Il a eu une vraie influence sur ma vie. C’est presque pour lui que je me suis marié. » Du haut de sa chambre au 19e étage d’un palace de la ville, Christophe prend à la figure cette ville grouillante, jeune, dynamique, comme dans un long-métrage de Wong Kar-wai. « Le film, il est partout ici. Il suffit de s’arrêter dans la rue et de regarder. » Véritable oiseau de nuit à Paris, Christophe abasourdit son équipe par son rythme très nouveau. Il se lève relativement tôt, traîne en ville dans les magasins d’instruments, tombe en pâmoison devant la cuisine locale. Un poisson dans l’eau, biberonné néanmoins au champagne Deutz. « Ah oui, on est Christophe ou on ne l’est pas. Je me dois de jouer mon rôle. »

Son rôle ici est celui d’un chanteur des yéyés. Christophe a accepté de modifier sa prestation « classique » pour interpréter également des titres qu’il n’a quasiment jamais chantés, à l’exception d’« Aline ». Lors des répétitions, Christophe s’étonne de certains textes. « On dirait du Lou Reed », dit-il après avoir interprété « Je ne t’aime plus ». « On pousserait le son, on changerait deux ou trois trucs, franchement, ça pourrait être le Velvet. » Et puis il y a « Maman », un morceau ancien de 1966, qui a l’air de particulièrement le bouleverser. « C’était une chanson liée au divorce de mes parents. Je ne m’en rendais pas compte, mais là ça me saute à la figure. Je me revois dans le studio de l’époque, le casque sur les oreilles. C’est étrange… » Celui qui rend les gens heureux n’est pas du genre à laisser transparaître ses émotions. Il change de sujet aussi sec, vantant les mérites du thé local « qui a un goût de café ou de lotus», il ne sait pas. Vingt-quatre heures plus tard, sa prestation sera magistrale, malgré un public ignorant superbement « Les mots bleus » ou « Les paradis perdus ». A la fin du concert, les jeunes femmes poseront en grappes autour de lui, les fans lui feront signer des disques, des livres, des affiches. Et même si Christophe se prête royalement au jeu, il est définitivement ailleurs. C’est pour cela qu’il vit.

Par Benjamin Locoge – Paris Match – 9 décembre 2013

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