En Thaïlande, les migrants sans emploi et piégés par le confinement
Des milliers de travailleurs migrants ayant perdu leur travail se retrouvent coincés en Thaïlande par les mesures de confinement, sans ressources ni aide gouvernementale et dans l’incapacité de rentrer au pays
Htoo Gay War a quitté son emploi de domestique en janvier parce que son employeur refusait de la laisser prendre un jour de congé par semaine – juste avant que la Thaïlande ne signale son premier cas de Covid-19.
Trois mois plus tard, cette femme de 30 ans enceinte, originaire de Birmanie, était toujours à la recherche d’un emploi alors que la Thaïlande déclarait l’état d’urgence, fermait les centres commerciaux, les écoles et les bars pour freiner la propagation du virus qui a infecté quelque 3.000 personnes.
« Je veux rentrer chez moi pour être avec mes parents, car au moins ils pourraient s’occuper de moi pendant que je suis sans travail et sans argent », confie-t-elle depuis la province de Pathum Thani.
« Mais je ne peux pas retourner au pays maintenant que les frontières sont fermées », dit-elle, ajoutant que sa famille vit actuellement sur le salaire de son mari de 8.000 bahts (227 €) par mois.
La Thaïlande compte environ 2,8 millions de travailleurs migrants enregistrés, principalement de Birmanie, du Cambodge et du Laos, selon les chiffres du gouvernement. Mais les Nations Unies estiment qu’il faut ajouter à ce nombre 2 millions de personnes supplémentaires qui travaillent de façon informelle dans le royaume.
Au moins un demi-million de travailleurs migrants en Thaïlande se sont retrouvés sans emploi à cause de la crise du coronavirus, estime le Migrant Working Group (MWG), un réseau d’organisations non gouvernementales qui défendent les droits des migrants.
« Ces travailleurs auront du mal à trouver un nouvel emploi car de nombreux lieux et activités sont toujours fermés, et ils ne peuvent pas non plus rentrer chez eux et ont très peu accès à l’aide gouvernementale », s’inquiète Adisorn Kerdmongkol, coordinateur au MWG.
Suchat Pornchaiwiseskul, directeur général du ministère thaïlandais de l’Emploi, affirme que le ministère a pour politique d’aider les migrants au chômage à trouver un nouvel emploi dans les 30 jours.
« La législation du travail de la Thaïlande protège les travailleurs thaïlandais et étrangers », souligne-t-il.
Endettement
La Thaïlande a introduit une série de mesures pour aider les travailleurs touchés par la situation du Covid-19, notamment une aide financière pour les travailleurs thaïlandais et étrangers enregistrés sous le régime de la sécurité sociale ainsi que pour les travailleurs informels thaïlandais.
Sept travailleurs migrants du Cambodge et de Birmanie qui se sont entretenus avec la Fondation Thomson Reuters ont déclaré qu’ils n’avaient pas reçu d’aide du gouvernement parce qu’ils n’étaient pas officiellement enregistrés.
Une employée qui gagnait 120 bahts par jour dans un salon de beauté avant sa fermeture, a confié qu’elle devait de l’argent à une épicerie parce qu’elle n’avait pas les moyens de se payer les produits de base.
« J’ai cherché un nouvel emploi, mais personne n’a voulu m’accepter », dit-elle sous couvert de l’anonymat car la loi thaïlandaise n’autorise pas les migrants à travailler dans les salons de beauté.
Environ 60.000 travailleurs migrants se sont empressés de quitter la Thaïlande, en mars, avant la fermeture des frontières terrestres, la fermeture de certaines activités ayant coupé leurs revenus.
La plupart des travailleurs migrants ne sont pas affiliés au régime thaïlandais de sécurité sociale, souligne Jarrett Basedow, directeur régional de l’Institut Issara, un groupe de défense des droits des travailleurs et de lutte contre le trafic d’êtres humains.
« Nous n’avons pas encore pu parler avec un travailleur migrant ayant obtenu cette aide », dit-il, ajoutant qu’un certain nombre travaillent illégalement, d’autres n’ont pas reçu de carte de sécurité sociale ou alors leur employeur n’a pas payé les cotisations nécessaires.
Les personnes au chômage doivent avoir cotisé à la sécurité sociale pendant au moins six mois avant de pouvoir percevoir des prestations.
Selon Jarrett Basedow, de nombreux employeurs licencient des travailleurs, s’exonérant souvent de verser les indemnités de licenciement prévues par la loi, en poussant les employés à signer des lettres de démission ou en ne renouvelant pas leur contrat.
« Beaucoup de ces travailleurs s’inquiètent de ne pouvoir répondre à leurs besoins avant d’être en mesure de rentrer chez eux, car ils n’ont pas d’emploi et sont très endettés », souligne-t-il.
Pasuta Chuenkhachorn, avocate pour la Human Rights and Development Foundation, qui fournit une assistance juridique aux travailleurs migrants et aux victimes de trafic, estime que les mesures d’aide financière du gouvernement discriminent les migrants.
« Dans les temps de crise comme celle-ci, le gouvernement thaïlandais ne s’occupe que des Thaïlandais », dit-elle.
Un ouvrier birman d’une usine de verre confie que lui et des dizaines d’autres travailleurs ont été licenciés le 1er mars, les commandes ayant chuté.
Il n’a pas pu se lancer à la recherche d’un nouvel emploi car son passeport et son permis de travail sont toujours détenus par l’agence qui l’a recruté.
« Cela ne sert à rien de rester ici », dit-il par téléphone depuis la province de Samut Prakan, près de Bangkok.
« Une fois les frontières ouvertes, je rentrerai chez moi. Il est difficile de trouver du travail ici et je n’ai pas mes documents personnels. »
Lepetitjournal.com avec Reuters – 30 avril 2020
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