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Au Cambodge, la disparition d’un militant politique thaïlandais fait tache

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Exilé politique depuis 2014, l’activiste politique anti-monarchiste Wanchalearm Satsaksit a été enlevé par jeudi dernier à Phnom Penh après avoir critiqué dans une vidéo cinglante l’«absence totale de compétence» du Premier ministre de Thaïlande, Prayuth Chan-ocha.

Il était près de 17 heures, jeudi dernier, lorsque Wanchalearm Satsaksit, 37 ans, sort de son immeuble, à Phnom Penh, la capitale cambodgienne. Quelques mètres plus loin, une grosse cylindrée noire fond sur lui. Selon des témoins interrogés par l’organisation Human Rights Watch, plusieurs hommes cagoulés et armés en sortent, le saisissent à la gorge et le forcent à entrer dans le véhicule. «Depuis, on n’a plus aucune nouvelle», se désole Sitinan, sa sœur.

Wanchalearm, un citoyen thaïlandais, s’était installé au Cambodge voisin il y a six ans. Il était arrivé en fugitif en 2014, juste après le coup d’Etat militaire et un mandat d’arrêt contre lui. On lui reproche d’avoir violé le Computer Act, une loi qui punit sévèrement tous ceux reconnus coupables d’avoir «introduit une fausse information dans un système informatique». Un textesouvent utilisé pour réduire au silence les opposants politiques. Wanchalearm Satsaksit était aussi connu pour ses positions anti-monarchie, bien que, selon la police, il n’était pas poursuivi pour crime de lèse-majesté.

En exil, il avait continué ses activités anti-junte. La veille de son enlèvement, il avait publié une vidéo cinglante à l’égard du Premier ministre thaïlandais, Prayuth Chan-ocha, issu des rangs de l’armée, critiquant son «absence totale de compétence» et sa gestion désastreuse de la crise économique engendrée par l’arrêt du tourisme dans le pays. Elle a été vue plus de 12 000 fois.

«Liste noire»

L’activiste fait partie d’un réseau de militants thaïlandais anti-gouvernement et anti-monarchie qui, depuis l’arrivée des militaires au pouvoir, se cachent dans les pays voisins de l’Asean, principalement au Laos et au Cambodge. «Il y a une liste noire d’une trentaine de militants à supprimer, affirme Junya Yimprasert, militante désormais réfugiée en Suède. Nous sommes tous sur cette liste.»

Des documents impossibles à authentifier circulent, avec des noms, des photos, des symboles noirs au-dessus de certains noms : depuis 2016, année de l’avènement du nouveau roi de Thaïlande, au moins 8 hommes de cette fameuse liste ont disparu ou ont été retrouvés morts. Il semble que ces cibles aient été choisies en priorité parmi les critiques les plus virulents et les plus visibles.

Plusieurs avaient notamment fondé des radios clandestines. En janvier 2019, les corps de deux d’entre eux furent retrouvés dans le Mékong, éviscérés et remplis de ciment, suggérant l’implication de professionnels aguerris et la volonté de les faire disparaître sans laisser de trace. «On n’a peut-être pas retrouvé tous les corps, estime Sirot Klapobun, un journaliste de la web-télé Voice, considérée comme favorable aux mouvements anti-junte, mais personne n’a plus jamais entendu parler d’eux. Il semble évident qu’ils ont été assassinés.»

Aucune enquête

Certains de ces opposants les plus actifs sont désormais réfugiés politiques à Paris, comme l’historien Somsak Jeamteerasakul, dont les travaux sur la monarchie thaïlandaise sont toujours très suivis par une partie de la classe politique à Bangkok, ou le groupe de rock militant Fayen (Feu glacé), exfiltré du Laos il y a quelques mois.

Jusqu’ici, jamais ces disparitions ont été suivies d’aucune enquête, soulignant une entente et une coopération accrues des autorités des pays de l’Asean sur les dossiers de dissidents politiques. Mais mardi, la police cambodgienne, après avoir annoncé qu’elle ne lancerait pas de procédure puisque «nous ne sommes au courant de rien» a fait volte-face et déclaré qu’elle «lançait des investigations».

Ce changement d’attitude intervient après plusieurs jours de manifestations de groupes étudiants, largement couvertes par les médias, y compris thaïlandais. La mobilisation sur les réseaux, sous la bannière #SaveWanchalearm a aussi été très forte : certaines stars thaïlandaises, dont une ancienne miss Univers, appellent à une réaction du gouvernement «dont la mission est de protéger tous les citoyens thaïlandais à l’étranger, quelles que soient leurs opinions politiques».

Un tel soutien est inédit pour un militant qui affichait ouvertement ses positions anti-monarchie. Critiqué pour son absence du pays pendant toute la crise du coronavirus, le souverain Rama X préfère se confiner en Allemagne, avec un entourage de plus d’une vingtaine de jeunes femmes, selon la presse allemande. Au début du mois de mai, plusieurs manifestations ont eu lieu devant l’hôtel où il réside en Bavière, avec pour mot d’ordre «Pourquoi la Thaïlande aurait-elle besoin d’un Roi qui habite en Allemagne ?». L’attitude du nouveau souverain, qui s’est attaché à concentrer davantage de pouvoir économique et militaire entre ses mains dès le début de son règne, semble paradoxalement ouvrir un nouvel espace de liberté de parole.

Par Carol Isoux – Libération – 9 juin 2020

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