La Birmanie est-elle tombée dans un piège financier chinois ?
La diplomatie américaine retrouve un intérêt pour la Birmanie au moment où l’influence chinoise sur celle-ci devient de plus en plus prégnante. Washington commence à comprendre qu’en se retirant quelque peu du jeu géostratégique régional depuis 2017, elle a fait le lit de son rival local.
Les liens de la Chine avec la Birmanie s’analysent en effet fortement à travers le prisme de ses interactions avec les autres acteurs régionaux, Pékin ayant souvent servi de dernier recours, non par choix mais par obligation… et facilité de voisinage.
Preuve par les chiffres : avec environ 3,5 milliards d’euros qui lui sont dus, sur près de 9 milliards d’euros de dettes totales, la Chine est le plus important des créanciers de la Birmanie. Cela s’explique en grande partie par les sanctions européennes et étasuniennes qui commencent au début des années 90 pour se renforcer à partir de 1997. La Chine s’est alors présentée comme l’un des rares partenaires possibles. Entre 1988 et 2010, la junte militaire au pouvoir contracte donc plusieurs prêts dont le remboursement devait commencer au bout de trente ans. Les prêts les plus anciens arrivent donc à échéance.
« Actuellement, nous remboursons environ 500 millions de dollars étasuniens par an pour le capital et les intérêts », constate un économiste et député de la Ligue Nationale pour la Démocratie (LND), le parti actuellement au pouvoir en Birmanie. Les taux d’intérêts chinois sont autour de 4,5 %, les plus élevés de tous ceux des créanciers de Nay Pyi Taw, ce qui n’est pas au goût de l’Auditeur général (l’équivalent du président de la Cour des comptes en France) : « La vérité est que les taux d’intérêts des prêts chinois sont plus élevés que ceux des institutions financières comme la Banque mondiale ou le FMI, et je suggère donc au gouvernement de moins recourir aux prêts chinois ». Depuis 2016, la plupart des sanctions internationales ont été suspendues et les possibilités pour emprunter se sont donc multipliées.
Le quartier du futur… en zone inondable !
La requête de l’Auditeur général arrive peut-être un peu tard… En 2018, un accord entre Pékin et Nay Pyi Taw annonçait la création d’un couloir économique – le China-Myanmar Economic Corridor (CMEC) – de 1 700 km entre la province chinoise du Yunnan et la ville de Kyaukphyu, sur le golfe du Bengale, dont le port en eaux profondes est le point d’orgue du projet. Les investissements prévus sont massifs : voies ferrées, parcs industriels, centrales électriques, etc. Massifs, mais pas toujours transparents. D’où de nombreux retards. Et il a fallu la visite du président chinois Xi Jinping en janvier 2020 pour que les deux gouvernements réaffirment la poursuite des projets. Le directeur de la communication de l’Institut birman de Stratégie et de Politique émet des doutes : « Les prêts chinois sont maintenant largement qualifiés de piège à dette, particulièrement à l’heure actuelle avec la mise en place des nouvelles routes de la soie ». Le nom qui qualifie le réseau de routes commerciales reliant la Chine à l’Europe en passant par l’Asie centrale, le Moyen-Orient et l’Afrique.
Autre projet phare de collaboration sino-birmane, mais là plus dans le secteur privé : le New Yangon City. Ce quartier de Yangon qui n’existe encore pour l’essentiel que sur le papier ambitionne de rivaliser avec les grandes métropoles asiatiques et devrait couvrir une superficie d’environ deux fois la taille de Singapour et en théorie avec la même modernité et niveau de services. Le Sandhi Governance Institute (SGI), une organisation de la société civile, soulève des réserves sur le sérieux du projet. Le futur quartier est, par exemple, situé sur des zones inondables, ce qui pose des questions sur sa faisabilité. Quant à l’énorme investissement de 1,3 milliard d’euros, son financement est encore inconnu, ce qui met à mal la viabilité du projet. Pour le directeur de SGI, « ce projet devrait être plus transparent. Par exemple, les données clés devraient être disponibles ».
Intérêt économique… mais aussi militaire et stratégique
Le SGI justifie ses réticences en prenant l’exemple de la zone économique spéciale (ZES) de Dawei dans lequel des difficultés de financement ont bloqué le projet. Ce projet initialement thaïlandais a été annoncé en 2008. Il prévoyait un investissement de l’ordre de 7 milliards d’euros, mais le budget n’a jamais été réuni et le projet est aujourd’hui au point mort. Signe des temps, une entreprise d’état chinoise s’est récemment rapprochée des gestionnaires de cette ZES pour y investir. Le SGI a également sorti un rapport sur la zone industrielle de Myitkyina dans l’Etat Kachin financée par l’entreprise chinoise Yunnan Tengchong Heng Yong Investment Company. Le groupe dénonce l’expropriation d’agriculteurs pour la construction du parc ainsi qu’un manque de transparence sur les détails et le financement du projet. Dans le Sagaing, PanAust Services a reçu en juillet 2020 le feu vert pour des explorations minières. Cette entreprise est certes basée en Australie, mais elle appartient à une société chinoise. Avec sept licences d’exploration, la société a déjà des droits sur plus de 1 500 km2.
En parallèle, la crise de la Covid mène à une intensification de la numérisation des activités économiques. Et là encore, la Chine a rapidement su saisir un créneau à occuper. Un communiqué de presse de l’ambassade de Chine publié le 9 juillet 2020 indique que la province du Yunnan assurera une formation sur le e-commerce aux acteurs de la région de Mandalay. Dans un contexte de baisse des échanges entre les deux pays à cause de la crise de la Covid, le but est de renforcer les exportations. Les produits ciblés sont majoritairement agricoles : bétails, riz, bananes ou ananas.
Pour la Chine, la Birmanie revêt aussi un enjeu géostratégique car Pékin cherche à s’allier aux pays voisins de l’Inde afin de peser sur son principal concurrent régional potentiel : le Pakistan, le Bangladesh, le Sri Lanka et donc bien sûr la Birmanie. Tous accueillent de nombreux investissements chinois qu’ils soient économiques ou militaires. Ainsi, le marché birman se classe en troisième position des exportations chinoises d’armes, même si l’état-major birman ne cache pas son agacement de voir la Chine soutenir également en sous-main certains mouvements combattants ethniques. Depuis 2013, la Birmanie a acheté des avions de combat, des drones, des frégates ou encore des véhicules blindés pour un total de 720 millions de dollars (un peu plus 630 millions d’euros).
La position birmane est toutefois ambiguë. Le 26 juin 2020, lors du sommet de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) – dont la Birmanie est membre -, les États ont publié une déclaration pour la résolution des conflits en mer de Chine méridionale. L’ASEAN dénonce l’accaparement des ressources halieutiques ou gazières par la Chine alors que la Birmanie permet aux Chinois une exploitation légale. Dans ce jeu de dupes, un économiste birman suggère à Nay Pyi Taw de mieux jouer ses cartes dans le contexte de la crise de la Covid-19 : « La Chine annule aujourd’hui la dette de certains pays […] Elle a assoupli ses conditions de remboursement. Le gouvernement actuel devrait négocier avec Pékin pour une exonération des prêts ».
Par Julia Guinamard – Lepetitjournal.com – 27 juillet 2020
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