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« Les enfants ont tous dit ‘on aime bien parce qu’on est actif »

Depuis septembre 2019, le français fait partie intégrante du cursus scolaire de grade 7, l’équivalent de la cinquième en France. Une grande première dans un pays où l’anglais était jusqu’ici la seule langue étrangère du cursus.

Nous évoquions hier comment le service de la coopération a obtenu cet éclatant succès tricolore. Aujourd’hui, Le Petitjournal.com Birmanie s’entretient avec les conceptrices pédagogiques de ce projet : Rose-Marie Lormel, directrice des cours à l’Institut français de Birmanie, et Roselyne Kyaw Turco, responsable du Centre français YMCA de Mandalay

Qu’avez-vous pensé lorsque vous avez su que le projet allait se faire ?

Rose-Marie Lormel : Quand l’ambassadeur Christian Lechervy a remis la proposition au ministre de l’Education, on n’y croyait pas trop. Et puis quand la lettre du ministère est arrivée, disant « voici la liste de 16 écoles », et que Cyprien me l’a transmise, je me suis dite « c’est incroyable ! On y va ! », et j’ai immédiatement contacté Roselyne.

Roselyne Kyaw Turco : Ma première réaction ? « 16 écoles ? Ils sont fous, c’est impossible ! » Et puis je me suis dite « ça y est on y est arrivées. Cela fait quatre ans qu’on en parlait. »

RML : Nous n’avons pas pensé un instant « comment faire ? » mais tout simplement « on fait ». Il a fallu dix mois pour qu’on puisse inaugurer, le 16 septembre à Mandalay et le 18 septembre à Yangon, les premières classes.

D’où vous est venue l’idée de proposer le français LV2 dans les écoles birmanes ?

RML : Nous pensions depuis longtemps qu’il fallait un débouché à tous ces jeunes qui sortent de l’Université des Langues Etrangères (YUFL) avec une licence de français. L’idée clef est que tous puissent se dire que désormais ils peuvent faire autre chose que guide touristique. Une autre filière professionnelle s’ouvre à eux, fondée sur une formation ancrée dans la réalité birmane et qui leur donnera un travail au sein des écoles birmanes.

RKT : Ça me dérangeait qu’ils deviennent guides parce qu’il y a d’autres choses que l’on peut faire avec le français. Comme les parents birmans ont souvent en tête que l’un des enfants doit devenir professeur, l’enseignement du français à l’école peut créer des débouchés, voire susciter des vocations.

Quels sont les premiers défis que vous avez eu à affronter ?

RML : Il fallait contacter les écoles, créer un programme… il a fallu tout faire. Il a fallu trouver le manuel pédagogique déjà. J’ai contacté le CREFAP (Centre régional francophone d’Asie-Pacifique), en leur disant qu’on allait lancer un programme et en leur demandant s’ils avaient un manuel, et s’ils pouvaient nous aider. Ils étaient en train de travailler sur le 3ème tome d’un manuel de français LV2 au Vietnam ! Nous avons obtenu de pouvoir le partager. C’est un ouvrage qui comporte six unités, et chacune est composée de plusieurs leçons. La méthode s’adresse à des jeunes ados de 11 à 15 ans. Nous avons retenu les deux premières leçons de l’unité 1 pour constituer le manuel utilisé actuellement dans les classes.

Et puis il a fallu créer une équipe pour travailler sur la contextualisation, un point essentiel et au combien difficile. L’adaptation au public birman, c’est d’abord travailler sur l’iconographie. Tout était fait pour des élèves vietnamiens et on se doute bien que les enfants et les enseignants des illustrations n’étaient pas habillés en longyi. Il a fallu modifier cela. Changer aussi les noms, et créer des exercices pour les mettre à l’heure birmane. Pour l’exercice des drapeaux des pays proches de la Birmanie, par exemple, il ne s’agissait pas uniquement de rajouter celui de la Birmanie. Il fallait rajouter des pays qui ont un sens pour la culture birmane, donc plutôt des pays de la région : Japon, Vietnam, Chine… C’est un travail de fourmi. Tout le manuel est en cours. On vient de terminer l’unité 4, et on publiera l’ensemble du manuel début décembre.

Autre défi : le domaine de l’éducation est extrêmement encadré, on ne rentre pas dans une école birmane comme ça. Il fallait des autorisations. Personnellement, je n’avais jamais mis les pieds dans une école birmane auparavant. Et cela ne s’est pas fait sans peine ! C’est très hiérarchisé. Malgré l’autorisation du ministre, plusieurs réunions avec la direction régionale ont été nécessaires. Et c’est finalement une nouvelle lettre du ministre qui nous a ouvert les portes des écoles… mais toujours sous l’œil de la direction régionale de l’éducation, qui nous a accompagné. Aujourd’hui, je vais dans les trois établissements participant une fois par semaine en tant que professeur tutrice pour aller assister au cours de nos jeunes enseignants, qui sont donc stagiaires.

Comment se déroulent les cours ?

RML : Nous avons opté pour un rythme assez lent. Nous nous sommes fixées comme objectif qu’à la fin de la classe de grade 12 [l’équivalent de la Terminale] qui va être créée par le ministère de l’Education pour conclure le cursus scolaire, les élèves soient capables de passer le Diplôme d’étude de langue française (Delf) de niveau A2 [maîtrise élémentaire du français]. On verra ! Nous voulons que les élèves acquièrent du vocabulaire pour être capables de communiquer en français. Le manuel est rempli de dialogues, de situations. On a beaucoup insisté auprès des parents là-dessus, sur le fait que les enfants vont apprendre à parler français. Ça paraît peut-être évident pour des Français, mais pas pour des Birmans ! Ici, on apprend surtout des règles en apprenant une langue. Tandis que là, si l’enfant ne sait pas compter jusqu’à 20 mais qu’il sait dire « bonjour, au revoir », s’il sait s’excuser, dire « je ne comprends pas », ça, c’est utile. On les oblige à penser. « Devinez, trouvez, cherchez, faites les connexions… ». On utilise aussi énormément la gestuelle en classe. Ils ne sont pas passifs. Et ça marche ! La télévision nationale birmane MRTV est venue en reportage dans deux écoles de Yangon et les enfants ont tous dit « on aime bien parce qu’on est actif ».

RKT : A Mandalay aussi. Pour nous, c’est donc une réussite.

RML : On fait des choses en français et on sait pourquoi on les fait. Quand je vais dans la classe, je suis un nouvel interlocuteur. Et ils sont toujours épatés quand ils me disent quelque chose et que moi, je réagis à ce qu’ils disent. C’est ce qui différencie ce cours de français des autres cours de l’école birmane, l’activité et la réactivité. On le voit quand les enfants arrivent : ils courent, ils sont contents, aucun ne traîne des pieds. Ils sont tellement contents de dire « bonjour ! » et que leur prof réponde. Cela les change de l’école birmane plus traditionnelle et hiérarchique où les élèves sont un groupe et ne sont pas des individus.

Il y a également eu beaucoup de discussions sur le nombre d’élèves par classe, que nous avons limité à 30. Ils sont tous du grade 7 [équivalent de la cinquième], mais pas tous d’une même classe, parce que les élèves doivent d’abord se porter volontaire, puis être sélectionnés par le principal. Ils sont choisis parce qu’ils sont de très bons élèves, et notamment très bons en anglais. C’est à double tranchant : on pourrait craindre qu’ils calquent la prononciation anglaise, mais d’un autre côté ils ont déjà appris une langue donc ils ont une certaine plasticité de l’esprit. Il nous faut juste travailler beaucoup la phonétique pour éviter une mauvaise prononciation.

RKT : C’est sûr que c’est plus facile d’avoir des enfants qui comprennent déjà un peu l’anglais, cela aide quand il y a l’intervention d’un prof français dans la classe de temps en temps, parce qu’il ne parle pas forcément birman. De façon générale, c’est sûr que c’est mieux pour les Birmans d’apprendre d’abord l’anglais, pour leur pays, l’environnement… et la plupart des situations dans lesquelles ils se trouveront durant leur vie. Le français est un plus.

Comment êtes-vous accueillies dans les écoles birmanes ?

RML : C’est une situation qu’il y a un an, je n’aurais jamais imaginé. Moi, rentrer dans une école pour aller voir un enseignant ! Maintenant, on y est. J’ai un très fort sentiment de satisfaction, même si ce n’est qu’un début. On se rend compte que les autres enseignants viennent voir nos cours. On a voulu limiter leur nombre pour permettre à nos professeurs de se sentir à l’aise dans leur classe – avec ces histoires de hiérarchie et d’âge, étant donné qu’elles sont très jeunes – mais c’est clair que ceux qui viennent sont un peu surpris par la façon de faire. On ne veut pas donner de leçon, mais évidemment qu’on espère que cette façon d’enseigner fasse un peu son chemin. On ne rêve pas trop non plus – c’est une goutte d’eau. Quand je vais à l’école, j’ai toujours un ou deux professeurs qui me croisent en me disant « bonjour ! » parce qu’ils entendent les enfants le dire. Au niveau de la collaboration avec les écoles, nous n’avons aucun souci. Les élèves accompagnés par leurs enseignants sont venus à la Journée de la Francophonie découvrir l’Institut français. J’ai beau réfléchir, à ce stade tout fonctionne, on n’a pas encore de challenge !

RKT : Nous avons eu zéro difficulté. Le principal de Mandalay est vraiment accessible. Si on demande des tables supplémentaires, des heures de cours supplémentaires, on les a. On vise 3 cours par semaine, car 45 minutes c’est court. Une troisième séance par semaine permettrait de pratiquer, de sortir du livre et de faire des activités et des jeux. Le but est que les enfants s’amusent en cours, et que le professeur aussi. En ce moment, c’est plutôt « il faut finir, il faut finir », et on n’est pas un bon professeur quand on a ça dans la tête. Le programme est conçu pour un rythme lent, mais même ainsi, quand on a 30 enfants dans la classe, si on veut rajouter du jeu et de la pratique et que tous participent, ce n’est pas simple… C’est compliqué d’interroger tout le monde, il faut repérer dans la classe à qui on a déjà posé une question, qui laisser parler… C’est un jonglage pédagogique nécessaire. Quand on a beaucoup d’expérience, ce n’est pas un problème, mais nos jeunes professeurs ne maîtrisent pas encore.

Et l’accueil des parents ?

RML : Contrairement aux autres classes, on enseigne tout dans les cours de français. Je veux dire qu’il n’y a pas besoin de « cours particulier » à l’extérieur comme c’est le cas pour presque tout dans les écoles birmanes. Et si un élève veut faire du français à l’IFB, il fera autre chose comme curriculum. Cela signifie qu’il n’y a pas de frais supplémentaire pour les parents. Ils peuvent ouvrir le livre à la maison si ça les amuse, mais ça ne sert à rien puisqu’il n’y a pas de devoir à la maison. C’est quelque chose qui a énormément rassuré les parents. Les enfants travaillent déjà beaucoup dans les autres matières.

RKT : A Mandalay, nous coopérons avec une école où les enfants commencent les cours à 9h15 mais sont convoqués pour 8h30 afin d’anticiper les retards. Et c’est là, entre 8h30 et 9h15, que le principal a placé le cours de français. Je craignais vraiment que cela ne marche pas, vu qu’on n’a pas demandé aux élèves de venir encore plus tôt et que les cours sont pour une durée de 45 minutes. D’expérience, je sais qu’au Centre français, les étudiants arrivent 15 minutes avant, pour parler avec leurs copains, rattraper leur retard, etc. J’ai donc expliqué aux parents lors du premier cours que « les 15 minutes d’avance, ce n’est que du bénéfice pour leurs enfants. Le professeur ne fera rien de nouveau, pas plus que des révisions du dernier cours, mais il reprendra des choses plus anciennes, et vérifiera les cahiers … ». Ça commence à marcher !

Comment s’organise la gestion des enseignants de français ?

RML : J’ai deux enseignants tuteurs, Lucya et Claude, et moi qui vient de temps en temps prendre le relais. Dans deux semaines, nous lançons un appel pour avoir de nouveaux enseignants stagiaires, en prévision de l’augmentation du nombre d’élèves : en juin prochain, lorsque la nouvelle année scolaire commencera, nous conserverons le niveau 1 de grade 7 avec de nouveaux élèves dans chacune des 4 écoles, et nous ajouterons un niveau 2 de grade 8 pour ceux qui auront déjà une année de français derrière eux, et nous ouvrirons deux nouvelles écoles à Yangon et une à Mandalay. Il faut former des enseignants et nous devons commencer ça le plus rapidement possible !

RKT : Pour Mandalay, je n’avais pas de stagiaire au Centre français parce que nous n’en avons pas les moyens. Je ne pouvais pas dire à quelqu’un « je te montre comment être professeur mais pendant les deux ans que la formation nécessite, je ne peux pas te payer ». J’ai fini par trouver un volontaire. Un jeune garçon qui vient d’être diplômé, de classe moyenne, avec le soutien de ses parents. Il sera là pour un an de stage. Son tuteur, qui, contrairement à Yangon, fait les cours lui-même, est un des enseignants du Centre français. L’enseignant stagiaire assiste aux cours de l’école et à ceux du Centre que je fais ou que d’autres professeurs font à différents niveaux. Après chaque cours, lui et son tuteur échangent leurs expériences. Nous avons l’espoir qu’en juin, il puisse reprendre le flambeau. Et dans l’optique de l’ouverture à une nouvelle école en juin, il faut que je me renseigne pour prendre un autre stagiaire dès maintenant, aux mêmes conditions de non-rémunération. Mon problème est que le Centre est très petit. En espérant qu’on devienne plus grand !

RML : Les professeures de Yangon sont toutes passées par l’Institut français. Elles sont toujours tutorées, avec un suivi très précis : à chaque cours, le tuteur est là, pour discuter à la fin du cours de la leçon, écrire les fiches pédagogiques ensemble et les partager avec les autres. Les élèves ont cours deux fois 45 minutes par semaine. Les profs stagiaires continuent aussi à observer et à participer aux classes de l’Institut : on leur demande quelque chose d’énorme ! Elles sont dans une classe avec 30 élèves dans un contexte d’école birmane avec des moyens différents, et en même temps elles observent des classes de dix élèves avec des tableaux blancs interactifs et autres moyens audio-visuels dont dispose l’IFB, tout en faisant des activités avec les élèves … ça leur demande une capacité d’adaptation incroyable, qui se travaille. On voit qu’elles sont de plus en plus à l’aise et prennent de l’assurance, malgré leur jeune âge : la plus âgée est de 1992, et les deux plus jeunes ont 20 ans. Elles ont toutes les 4 leur licence de français, l’une avec maîtrise, et une autre qui la passe cette année. On va les envoyer en France quelques semaines en immersion pour vivre dans une famille et augmenter vraiment leur niveau pour qu’elles soient toutes à de niveau Delf B2 [maîtrise générale et spontanée du français]. Pour elles-mêmes bien sûr, mais aussi parce qu’on a dans l’idée qu’une ou deux puissent devenir profs tutrices à leur tour dans un avenir assez proche. On veut réduire au fur et à mesure la présence des profs tuteurs de l’Institut de façon à ce que les profs soient de plus en plus autonomes. Nous, les Français, nous voulons pouvoir nous retirer au fur et à mesure et laisser cette organisation entièrement aux mains des birmans.

Lepetitjournal.com – 17 août 2020

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