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Les parlements régionaux/étatiques, oripeaux de la décentralisation

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Entre états, région, ethnies, zones auto-administrées, la Birmanie ressemble beaucoup à un puzzle de communautés n’ayant pas encore totalement convenues de partager un destin commun.

La Constitution du pays reflète bien ces tergiversations locales, régionales ou nationales qui dans un article donne aux uns ou autres des prérogatives pour les leur retirer à l’alinéa suivant… Et l’institution qui donne le mieux corps à cette indécision et cette indécidabilité pesantes est sans aucun doute le parlement régional ou étatique (PRE).

La Birmanie compte officiellement 14 états et régions, qui possèdent chacun.e leur propre Parlement local : sept pour les régions (Yangon, Mandalay, Magway, Sagaing, Bago, Ayeyarwady, et Tanintharyi) et sept pour les états (Kachin, Kayah, Kayin, Chin, Mon, Arakan et Shan). Un schéma que viennent compliquer les cinq zones auto-administrées, la division auto-administrée et le territoire de Nay Pyi Taw, qui sont parfois situé.e.s géographiquement dans une des 14 entités précédentes, parfois pas, mais qui n’ont dans tous les cas aucuns représentants spécifiques aux élections locales.

Des Représentants des Races Ethniques

A cette macédoine structurelle viennent s’ajouter les Représentants des Races Ethniques, un mécanisme mis en place pour tenir compte du fait que la Birmanie compte 135 ethnies officiellement reconnues. Dans chaque état/région qui possède une communauté ethnique d’une population supérieure ou égale à 0,1 % de la population totale de Birmanie (soit 55 580 personnes puisque la population officielle se monte à 55,58 millions), cette communauté ethnique pourra élire son Représentant des Races Ethniques, aussi parfois nommé « ethnic minister » en anglais. Ainsi, dans les circonscriptions concernées, une série de bulletins de vote et une urne supplémentaires seront mis à disposition des électeurs pour ce scrutin.

Parmi les éléments sujets à controverse pour ces représentants il y a bien sur la question de comment on définit l’appartenance à la communauté ethnique : dans l’état de Chine, par exemple, fort d’une population d’a peine 1,5 millions de personnes, pas moins de 53 communautés ethniques sont répertoriées officiellement, pour un état dont le parlement compte… 24 sièges ! Car c’est là encore un sujet de polémique entre parties et groupes de tout genre en Birmanie : la taille d’un PRE varie considérablement selon la population de l’état/région. Ainsi, le Parlement de l’état Shan compte 137 parlementaires tandis que celui du Kayin n’en compte que 23, et 20 dans le Kayah.

Deux députés locaux par circonscription

Sans compter que le système des Représentant des Races Ethniques ne s’applique aux minorités ethniques au plan national qui sont des majorités ethniques dans leur état/région… ou qui vivent dans un état/région où leur groupe ethnique possède sa propre zone auto-administrée. Par exemple, dans l’état de Shan, où vivent plus de Shan que de Birmans, il n’y aura pas de Représentant des Races Ethniques Shan. Même chose dans les zones auto administrées Wa, Danu, etc.

Au final, le même jour que se tiennent les élections pour les chambres haute et basse du parlement national, dans chaque état/région les électeurs voteront aussi pour designer deux parlementaires locaux par circonscription, quelle que soit la taille de celle-ci. Et dans ces PRE viendront s’ajouter les Représentant des Races Ethniques si les 0,1 % de population minimum sont remplis. Enfin, un quart du nombre total de parlementaires sera nommé par l’armée. A noter que les PRE ne comportent qu’une seule chambre, et non pas deux comme au Parlement national.

Etant donné que chaque PRE a les mêmes responsabilités et prérogatives, il est clair que dans ceux comptant le plus petit nombre de parlementaires, le Kayah par exemple, les parlementaires ont potentiellement plus de mal à représenter correctement les intérêts de tous leurs électeurs, sachant qu’en outre les circonscriptions ne comptent pas toutes le même nombre d’habitants. Certains députés ont donc énormément de travail au plan local. Quant aux Représentants des Races Ethniques, leurs pouvoirs et devoirs particuliers sont peu clairs : ils participent au PRE comme des parlementaires classiques mais leurs autres activités varient selon le Représentant.

Le Premier ministre, chef local désigné et pas élu

Le dirigeant de chaque gouvernement étatique/régional porte le titre de Premier ministre. Il est nommé par le Président birman parmi les parlementaires élus dans l’état/région et cette désignation est soumise à approbation par les députés locaux… qui approuvent presque toujours puisqu’ils ne peuvent rejeter un candidat qu’en prouvant que ses qualifications ne sont pas suffisantes, critère au combien suggestif ! Le mandat du Premier ministre est fixé à cinq ans mais peut être interrompu par une démission, par une affaire judiciaire – comme dans le Tanintharyi – ou par une requête en destitution signée par au moins un quart des députés de la région/état, cette requête devant ensuite être approuvée par le Président, le seul habilité à destituer un Premier ministre.

Le Premier ministre forme son gouvernement local, propose des lois, signe et promulgue les lois approuvées par le PER… A noter que la Tatmadaw, l’armée régulière, se réserve la nomination du Ministre régional/étatique de la Sécurité et des Affaires Frontalières. Quant aux zones et division auto-administrées, le président de la zone sera choisi par le Premier ministre parmi les membres du Parlement, choix ensuite approuvé par le Président du pays et les autres parlementaires de la région/état où se situe la zone.

Des députés peu armés face au pouvoir exécutif local

Le fait que le Premier Ministre soit nommé par le Président national et non élu par la population ou par les parlementaires locaux questionne sur la réalité de la décentralisation du pouvoir. Le pays fonctionne-t’il vraiment comme un état fédéral ou les Premiers ministres ne font-ils qu’appliquer les directives données par le Président à Nay Pyi Taw ? Comment s’établit l’équilibre des pouvoirs et des décisions entre les plans nationaux et locaux ? Un sujet brûlant dans les états où des décisions prisent à Nay Pyi Taw s’imposent aux populations locales même quand celles-ci et leurs élus s’y opposent, comme les grands barrages imposés par la force dans le Shan, le Kayin ou le Chin. Cette question épineuse de l’équilibre des pouvoirs a été à l’origine de nombreux débats au moment des discussions sur la réforme de la Constitution.

Le Président du pays peut ainsi nommer Premier ministre un parlementaire non élu, issu du quota de l’armée. Ce fut le cas pendant le gouvernement d’U Thein Sein en 2014, avec la nomination du major général Maung Maung Ohn comme Premier ministre de l’état de l’Arakan. Mais le Président peut aussi choisir de nommer Premier ministre un parlementaire élu… mais dont le parti n’a pas obtenu la majorité des sièges au PRE, ce qui aboutit à un gouvernement local qui ne reflète pas la majorité du parlement. Ainsi, toujours dans l’Arakan, l’Arakan National Party a obtenu une majorité de sièges au parlement local lors du scrutin de 2015, avec 23 sièges ; ce qui n’a pas empêché le Président de choisir comme Premier Ministre un membre de son parti, la Ligue Nationale pour la Démocratie, seulement huit sièges obtenus. De même dans le Shan, le Premier ministre est aujourd’hui issu de la LND dans un état dont son parti ne possède que 23 députés sur 137, avec deux autres partis ayant chacun plus de parlementaires locaux que le LND. En fait, tous les Premiers ministres appartiennent aujourd’hui à la LND, quelle que soit la composition du parlement local. Une primauté de l’exécutif sur le législatif qui explique en grande partie les frustrations dans les états ethniques puisque les partis locaux n’y sont que peu ou pas écoutés ou entendus.

Des parlements locaux finalement peu puissants

Comme pour le Parlement fédéral, le porte-parole d’un parlement local a un rôle central : tout parlementaire a besoin de son autorisation pour pouvoir poser une question en assemblée, pour proposer une motion, pour créer un comité… Important car les PER ont pour rôle de débattre et d’adopter des lois à l’échelle de tout ou partie de leur territoire, dans le cadre législatif voté par le Parlement national et fixé par la Constitution. Le gouvernement régional/étatique se charge ensuite de mettre ces lois en application.

Les responsabilités des états/régions sont définies dans la Constitution, et vont de l’élaboration du budget local à la gestion des zones industrielles (sauf celles gérées par le gouvernement central), en passant par la supervision des zones de pêche et d’agriculture, la gestion de la distribution d’électricité, des exploitations minières de petite taille, des hôtels… Côté développement, le PRE est en charge de la gestion du parc immobilier, de l’administration des écoles primaires, ou encore des services culturels.

Mais au final, le pouvoir du PRE est assez limité au regard des prérogatives du Premier ministre et du gouvernement local et de la forte implication du gouvernement national dans les législations et les supervisions régionales/étatiques. En outre, le PRE doit passer par l’administration locale, à plus petite échelle, dans un cadre qui reste flou. Car comme au plan national, la Direction de l’Administration Générale (DAG) tient les rênes administratives au niveau local. La DAG joue le rôle de secrétaire exécutif dans les régions/états et entre les gouvernements régionaux/étatiques et le gouvernement central. L’administrateur du quartier et l’administrateur de la circonscription qui constituent les deux niveaux administratifs en dessous du gouvernement local appartiennent tous deux à la DAG. Un schéma pratique qui conforte la place centrale de la DAG dans toute coordination ou communication entre le gouvernement et les responsables de quartier.

Les partis ethniques se méfient beaucoup de la LND

La mainmise du pouvoir central sur la composition des gouvernements locaux et sur le fonctionnement des parlements régionaux/étatiques met en évidence l’aspect très théorique de la décentralisation en Birmanie. Le manque de transparence du fonctionnement de ces institutions explique aussi en partie les réticences actuelles des mouvements ethniques dans les discussions de paix dites du « processus de Panglong » : les partis ethniques officiels ou officieux ne font pas mystère du fait qu’ils n’ont aucune confiance dans la LND, perçue par beaucoup d’entre eux comme encore plus intrusive et dirigiste que le Parti pour l’Union, de la Solidarité et du Développement (PUSD) qui dirigeait le pays durant la transition de la dictature vers les élections libres et équitables.

Lors des discussions pour amender la Constitution, divers partis ethniques ont soumis des suggestions pour rééquilibrer les pouvoirs des parlements locaux et surtout affranchir le pouvoir exécutif local du contrôle de Nay Pyi Taw pour le soumettre à celui des parlementaires locaux, suivant un schéma classique dans les pays démocratiques. Peines perdues : la LND a tout rejeté, alors même que certaines suggestions recevaient l’appui – intéressé certes… – du PUSD. Tout porte à croire que les dirigeants actuels trouvent leurs comptes dans ce système bancal et quelle perdurera bien après les élections du 8 novembre.

Par Ludivine Paques – Lepetitjournal.com – 20 août 2020

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